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2017: au-delà de l’élection, la présidence “symbolique”

2017, c’est maintenant. 2017, tout est possible. Déjà se bat la campagne, se fourbissent les arguments d’expert-comptable, faire baisser le chômage et monter l’économie, la politique entendue comme une offre rationnelle de chiffres.

Mais 2017 sera aussi le lieu de la croyance et du symbole. Parce que la mythologie politique détermine aussi le vote. Parce que, au moment de glisser le bulletin dans l’urne, pour un candidat et son programme, le vote se fera aussi pour un imaginaire. Pour celui qui aura offert la meilleure incarnation de l’égrégore français.

 « Nous, Présidents… »

2017 est là, mais avant, les précédents de 2007 et de 2012, qui auront vu l’élection de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande, racontaient déjà quelque chose d’utile à comprendre pour ce qui va se jouer dans les mois qui viennent.

Deux livres retiennent alors l’attention. Le premier, « La cause du Peuple » (Ed. Perrin), écrit par celui qui fut l’éminence grise (d’aucun diront vert-de-gris) de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson.

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Le second livre, « Un président ne devrait pas dire ça… » (Ed. Stock), des siamois en investigation, Fabrice Lhomme et Gérard Davet, retrace en temps réel le mandat de François Hollande.

Etonnant retour sur un mandat qui n’est pas encore clos même s’il est moribond, étourdissant exercice pour l’actuel chef de l’Etat qui narre sa présidence « se faisant » comme « une chanson de geste » qu’il voudrait tant inscrire dans l’histoire.

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Ces deux livres, diptyque bien imbriqué, offre un tableau utile pour éclairer 2017.

Buisson, l’homme du quinquennat Sarkozy

Le premier livre dynamite littéralement Sarkozy et le disperse « façon puzzle aux 4 coins de Paris ». Sous le langage ampoulé de l’auteur affleure une évidente volonté de tuer politiquement.

Drôle de personnage que ce Patrick Buisson, de ceux qu’on imaginerait volontiers en soutane, la langue onctueuse d’un ecclésiastique, mais du genre un peu Florentin, un peu Borgia.

Tout au long des pages denses de son livre, on comprend qu’il s’est  littéralement accaparé  le temps de cerveau disponible du candidat en 2007 et en 2012. Et ce qu’il dit dans son livre sur la Sarkozie, les petits secrets honteux, l’arrière-cours de la cuisine grasse politique, est symptomatique, au sens clinique du terme, d’une déliquescence politique.

Le délitement français en toile de fond

Ainsi cette scène. Sarkozy : « Il faut que je transgresse. Sur quoi je transgresse ? Hein ? Sur quoi ? » Réponse de Buisson toute en chattemite : « La transgression majeure, que cela plaise ou pas, c’est l’identité nationale ».

S’en suivra une déclaration à la télévision où Nicolas Sarkozy « transgressera » effectivement, sans état d’âme, liant dans la même question identité et immigration. Il appellera alors Buisson, sitôt la caméra éteinte pour lui dire sa gratitude : « je sais ce que je te dois ».

Pour comprendre et devancer les désirs des électeurs, la méthode Buisson était simple : « Sarkozy était nourri de notes « élaborées d’après des « réunions qualitatives où des animateurs [avaient] pour tâche de faire dégorger la souffrance sociale » …une méthode de marabout donc, lisant les entrailles fumantes des Français pour y deviner l’avenir.

Autrement dit, l’offre politique de Sarkozy suivait au plus près, grâce à ces « focus groupe » imaginés par Buisson, les variations d’opinion. Quitte à se condamner à la versatilité dans son adaptation constante. Une stratégie de « trader en politique » en somme.

Sarkozy, entre tics et pics

Mais entre ces deux-là, le désamour est vite venu. Buisson décrit alors un Sarkozy n’habitant jamais sa fonction, instable, « aux insincérités successives », totalement assujetti à « ses femmes », de Cécilia à Carla. « Plante aquatique « au développement tout en surface » dont Buisson rapporte des faits féroces ; l’entourage tout entier tourné vers l’argent, l’apparence (« comment sont les photos ? », question susurrée par Carla Bruni après la sortie « intime » au parc Disney), l’inconstance qui confine à l’inconsistance politique. Le coup d’éclat permanent comme seule politique pérenne.

Qu’ils mangent de la brioche…

Et ce mépris des électeurs, moqués sous le qualificatif de « ploucs », dont on flatte les instincts pour mieux en rire : « le mari de Carla » comme se plaît à l’appeler Buisson flatte l’opinion publique mais est bien décidé à n’en pas tenir compte une fois élu ». Une « ploucocratie » qui se transforme, après élection en une politique du « plouc-émissaire », comme le note férocement Buisson. Une anecdote qui rappelle hélas, les « sans-dent » du président actuel.

Sarkozy n’en sort en rien grandi (!), mais au-delà, la fonction présidentielle non plus. Et son successeur, François Hollande, qui s’est fait élire sur la promesse d’un président « normal », n’est pas mieux, à en juger par le livre de Davet et Lhomme.

Françoise Hollande, la fausse « normalité »

Les deux journalistes du Monde y racontent un homme tout entier contenu dans son obsession à entrer dans l’histoire.

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La Une de Libération après la victoire du candidat socialiste Hollande aux présidentielles

Eternel second qui, arrivé enfin à la première place en raison de circonstances exceptionnelles, l’explosion en plein vol d’un DSK, n’en revient toujours pas et a besoin d’enluminer la réalité de son mandat inabouti par la force du verbe créateur.

L’acharnement à construire sa légende hors du cadre étriqué d’une présidence terne en somme. Un président « Potemkine » édifiant lui-même les façades cachant la misère de son mandat.

Un costume trop grand

Car tout étonne dans ce livre, cette façon de se dire, de se (la) raconter dans un plaidoyer continu. Comme si, l’homme Hollande subodorait dès le début l’échec de sa présidence, de sa nouvelle candidature, et plaidait par anticipation pour le président François.

De « petites confidences » en « secret défense » tranquillement énoncés par Hollande, le président « normal » apparaît bien étrange.

Qu’il revisite par exemple la crise grecque, se présentant comme le protecteur d’Alexis Tsipras, premier ministre grec, alors que la réalité est tout autre. Hollande ayant surtout joué les Salomé, s’empressant d’apporter à Angela Merkel, après une danse du ventre habile, la tête grecque sur un beau plateau d’argent.

Une bien basse idée de la France

Et puis, cette crise grecque ramenée à une façon de couper l’herbe sous le pied de Mélenchon, de la gauche de la gauche, interroge sur sa propension à toujours réduire les enjeux internationaux à la basse cuisine franco-gauloise.

Comme si François Hollande n’était jamais devenu président mais avait géré la France comme il avait géré le PS, en Premier secrétaire, pire en conseiller général de Corrèze.

Sarkozy et Hollande, des jumeaux d’une même démonétisation de la parole politique. La couverture prémonitoire de Paris Match en 2005, où tous deux posaient, côte à côte, pour le « oui » à la constitution européenne, semblait l’annoncer.

quand-hollande-et-sarkozy-posaient-ensembleFrançois Hollande et Nicolas Sarkozy en 2005 pour une séance photo/ Paris Match

Leur politique ramenée à une conjuration de la cruelle réalité par le verbe politique créateur. Leur parole, si lourde par son omniprésence, se faisait alors si légère quand il s’agissait d’efficacité politique.

Où est passée le verbe de De Gaulle, qui estimait dans « Le Fil de l’épée » que la parole du président se doit d’être rare, distante, pour garder son poids et sa valeur.

Certes Sarkozy a pu s’essayer au président « jupitérien », celui qui balance la foudre. Mais c’était des éclairs inconstants, désordonnés.

Et Hollande ? S’il a refusé le style tonitruant de Jupiter, il a adopté, en réaction, la figure d’un président « saturnien », ce dieu du sommeil falot. Mais le même narcissisme que Sarkozy, en plus feutré, plus policée.

Être sur la photo pour Sarkozy, être dans le récit pour Hollande, mais pour tous deux, une obsession au final pour l’image, leur image.

Un président selfie pour Sarkozy et un président twitter pour Hollande. L’instantané de la photo pour l’un, l’instantané de la pensée pour l’autre.

2017, la quête du « père de la Nation »

letat-spectacleRoger-Gérard Schwarzenberg a bien montré, dans son livre, « L’Etat spectacle » (Ed.Plon), que chaque dirigeant figure un archétype scénique : De Gaulle a été le Père, lointain et charismatique.

Truman, Pompidou ont incarné l’homme ordinaire, le « common man » plein de bon sens et si semblable à ses électeurs.

Enfin, Kennedy et Giscard ont joué le rôle du leader de charme, celui qui cherchait moins à convaincre qu’à séduire.

Ces rôles se succèdent, ainsi, dans un mouvement bien rôdé. Après le Père étouffant suit le « common man » débonnaire. Puis, l’électeur lassé de cette banalité, fait généralement appel au leader de charme dynamique, lequel finit à son tour par inquiéter. Balancier électoral.

2002 a vu ainsi l’élection de Jacques Chirac, le Père symbolique dont la présidence rassurante mais endormie a permis à Nicolas Sarkozy de jouer sur le registre du « leader de charme » dynamique et moderne.

Sarkozy-Hollande, même combat

Mais dans sa boulimie narcissique, Nicolas Sarkozy a pu aussi endosser, en 2007 puis 2012, non pas un seul rôle, mais plusieurs.

S’il a pu se faire « Père de la Nation », surtout au moment des pics de tension internationale, son registre préféré est demeuré le leader de charme, avec tous les signes extérieurs de cette « charmitude » : épouse décorative, train de vie luxueux, jets internationaux.

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La fameuse Une de Libération “Boat people”, publiée alors que le président fraichement élu séjourne à Malte sur le yacht son ami Bolloré. (9 mai 2007)

Pourtant, aucun de ces costumes ne lui allait vraiment, qu’il soit trop grand, trop étriqué ou trop mal ajusté. Ainsi, quand il prit la stature de Père de la Nation, on douta tant Nicolas Sarkozy figure mieux l’éternel fils que le Père éternel.

Quand il s’essaya, très peu de temps, au « common man », la Rolex et les nuits au Fouquet’s démentirent ce rôle de composition de notre « cher » président.

Si sa campagne bégaie actuellement, voire radote, c’est que le temps est au désir non pas de sécurité, mais de protection. Les Français aspirent tout simplement à être rassurés.

Or Sarkozy, s’il joue volontiers sur la gamme du protecteur viril, du héros qui vole au secours de la France en détresse, ne peut jouer sur le registre de la sérénité.

François Hollande, lui, avait joué en 2012, le rôle du « common man », l’homme normal débonnaire et simple. Rôle de composition ou pas, toute sa stratégie s’est faite « contre » l’anomalie qu’a constitué le mandat sarkozyste.

Mais depuis, les attentats et la peur sont passés par là. Le « common man » ne peut plus suffire. La France aspire à la pacification et unité.

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Hollande s’exprimant au soir des attentats du 13 novembre 2015 (capture d’écran Itélé/Slate)

Marine Le Pen, la force devenue tranquille

Marine Le Pen l’a bien compris, elle qui joue sur le ressort de l’apaisement, comme pour mieux conjurer ce que son programme- sortie de l’Europe, priorité nationale, dénonciation obsessionnelle de l’immigration- a de fragmentant et d’inquiétant pour l’économie et la société française.

Marine Le Pen s’offrant même le luxe de déclarer, en pleine polémique sur le burkini, que « L’Islam est compatible avec la République », une question que les autres partis continuent pourtant à poser ouvertement. Avec l’évidente tentation d’y répondre par la négative.


Marine Le Pen fait monter les audiences de l’émission Vie politique (TF1) par Europe1fr
11 septembre 2016

Alain Juppé, la rupture dans le calme

Alain Juppé semble avoir aussi compris ce désir d’être rassuré. Sciemment il émaille ainsi ses interventions de mots comme « rassembler », « identité heureuse », ou appelle à « dépasser les clivages gauche-droite », se réclame de « la France de tous les Français ».

Là où Sarkozy et relativement Hollande qui parle dans le livre de l’Islam « comme d’un problème », font de la tension une stratégie constante.

Même son âge (d’Alain Juppé, ndlr), 72 ans en 2017, pourrait devenir un argument en sa faveur, là où le camp sarkozyste s’obstine pourtant à le souligner et à s’en moquer.

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Alain Juppé, maire de Bordeaux et candidat à la primaire Les Républicains
(photo/Le Monde)

La France semble souffrir au final d’une antépathie, d’un « c’était mieux avant » qui se traduit non plus par son obsession de l’identité, obsession habilement attisée par certains candidats, mais par un désir d’unité.

Un désir de « faire du tas un tout », selon l’expression de Régis Debray, de faire unité derrière un homme. Ce que ces mêmes candidats n’ont toujours pas compris, visiblement. Et c’est sans doute celui qui saura le mieux incarner cette figure tutélaire de « Père de la Nation » qui l’emportera.

Hassina Mechaï

Photo de Une: Philippe Leroyer, Bastille, 6 mai 2012

 

 

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