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Les binationaux peuvent-ils (aussi) écrire cette nouvelle Algérie?

Un cinquième mandat pour Abdelaziz Bouteflika? Depuis le 22 février, des milliers d’Algériens manifestent. Un rejet de la candidature du président actuel mais aussi d’un pouvoir opaque en place depuis 40 ans. Si toutes les wilayas frétillent à l’idée d’une renaissance du pays, à l’étranger, les binationaux, ces Français d’origine algérienne, regardent la situation évoluer. Entre étonnement, espérance et indifférence.


« Notre place à nous, c’est dans l’avion. En France, on n’est pas légitimes. Au bled, on est les immigrés. » Cette plaisanterie, les binationaux du Maghreb, l’ont maintes fois entendue. Ils s’en amusent. Parfois avec une point d’amertume. Certes. Mais toujours avec le sourire.


Karim Tabbou, né le 2 juin 1973 aux Ouadhias, est le porte-parole de l’UDS, un parti qu’il a créé après avoir démissionné du FFS, le Front des forces socialistes. Tabbou est premier secrétaire du FFS, principal parti d’opposition en Algérie, de 2006 à 2011. ©NM


Cette place, à cheval entre les deux rives de la Méditerranée, ne s’explique pas. Elle s’expérimente. Dans la joie, la douleur. L’espérance aussi. Une espérance palpable ce dimanche 24 février sur la place de la République où des centaines d’Algériens se sont réunis. Dans le sillage de la contestation qui s’est levée dans les rues d’Alger, ils ont tenus à soutenir leurs concitoyens du Sud.


Melting Pot algérien


Sur cette place emblématique parisienne, des dizaines de drapeau vert et rouge ont accompagné, le temps d’un après-midi, les chants en dialecte algérien. Une clameur que de nombreux binationaux, ces Français nés et grandis dans l’Hexagone, ont entonné avec allégresse.


Pour autant, la situation paraît inattendue, voire cocasse. D’habitude, gars d’Alger et binationaux ne se fréquentent pas vraiment. Les premiers ont historiquement trouvé refuge à Barbès pendant que les seconds circulent librement entre Paris, ses quartiers et sa banlieue.


Or, ce dimanche, tous laissent tomber les préjugés pour chanter cette Algérie qu’ils aiment tant. De près ou de loin, d’ailleurs. Avec une question lancinante. Cette contestation en sont-ils tous les dépositaires ?


Tous égaux ?

En d’autres termes, quelle place les binationaux, français et algériens, peuvent-ils jouer dans ce mouvement, hâtivement dénommé Printemps algérien ? Sont-ils légitimes à exiger le départ d’Abdelaziz Bouteflika, eux qui ne le connaissent plus qu’ils ne le subissent ?


Nora, 40 ans est avocate. Elle vit en France depuis 2006 mais n’a pas la nationalité française. Elle est arrivée à Paris après avoir exercé au barreau de Tizi-Ouzou, en Grande Kabylie. Dimanche, elle battait le pavé à République, drapeau et smartphone à la main. Un événement de cette ampleur, cela s’immortalise.


« Il y avait beaucoup de jeunes, beaucoup d’Algériens en résidence aussi », constate-t-elle. Si elle confirme avoir aperçu des binationaux, elle s’interroge sur leur place dans ce soulèvement. « Dans ma liste d’amis Facebook, il y en a pas mal » des binationaux.


Suite au mouvement inédit et spectaculaire de vendredi 22 Février, où les Algériens sont descendus simultanément et en masse dans les rues de plusieurs régions du pays pour contester contre le 5ème mandat de Bouteflika. Plusieurs centaine d’Algériens sont venus se réunir à République (Paris) en soutien ce dimanche 24 Février 2019.
©NM

De son aveu même, « peu ont réagi à ce qu’il se passe, actuellement, en Algérie ». Échantillon représentatif ? Peu probable. Alors, Nora ose une interprétation. « Peut-être sont-ils plus intéressés par les Gilets jaunes ou l’affaire Benalla », estime-t-elle, avec recul.


Or, la quadragénaire tient à l’affirmer : « ces manifestations concernent tout le peuple algérien. Tout le monde est le bienvenu ». Chaque petite main a son rôle à jouer où qu’elle se trouve, faut-il entendre. Justement, cette séquence émane aussi d’une expérimentation, celle de la vie en Algérie.


L’Algérie du vécu


Car l’Algérie vue de France est parfois romancée. Et si la foule, debout, proteste aujourd’hui contre le cinquième mandat de Bouteflika, c’est parce que les velléités présidentielles de ce dernier, au regard de son état de santé, sont une insulte à la dignité des Algériens.




Au-delà de la situation économique, l’affront d’un mandat supplémentaire constitue bien auprès du peuple, le déclencheur. Comment accepter d’être la risée du monde, là où il fut la boussole pour les luttes anti-impérialistes.


Et puis, cette vague de manifestations dépasse le simple cas Bouteflika. Il incarne, même diminué, ce système vicié depuis 40 ans qui a poussé dans le terreau de la corruption et dont les Algériens ne veulent plus. Mais dont les binationaux, n’en n’ont pas subi les affres, que par ricochets. Le temps d’un été ou à travers les pérégrinations algériennes relatées par les proches, depuis le pays.


Si le drapeau made in DZ (ndlr : El Djazaïr arabe) a souvent inondé les rues parisiennes lors de soirées sportives, il constitue avant tout, une forme d’ersatz du rapport à la nation algérienne.

Se proclamer algérien, sans y vivre, sans parler la langue, sans éprouver ce pays et ses difficultés, sans subir le poids de ce pouvoir castrateur, a-t-il du sens ?

Les binationaux, certes, ont la chance d’habiter l’Europe. Et les avantages qui en résultent, en termes de libertés et de possibilités, sont sans commune mesure avec cette vie que tant d’Algériens tentent de fuir.


Entre deux chaises


Cette posture, de part et d’autre de la Méditerranée, a un prix. Finalement, les binationaux sont toujours les étrangers de leurs compatriotes, qu’ils soient Français ou Algériens. Pourquoi serait-ce différent, alors, au sein même de la contestation ?


Bien sûr, rien n’empêche aux binationaux de chanter l’espérance soulevée par les manifestations actuelles. Mais, leur participation révèle, en creux, un inconfort. « Peut-être, ont-ils peur de représailles ? », pointe Nora.


Suivre l’actualité algérienne avec assiduité, pis avec enthousiasme, n’est-il pas périlleux quand les injonctions à prouver sa loyauté républicaine sont monnaie courante dans la France post-2015 ?


Nous sommes les combats que nous menons. Et quand un binational déporte le regard des Gilets jaunes vers la révolte algérienne, la grille d’interprétation est tributaire de biais.


« Apatride binational »


Nadia T, une juriste de 42 ans, contemple la situation, depuis Paris, avec distance. Non qu’elle redoute les accusations de déloyauté républicaine.

« Je ne me sens pas concernée au premier plan. Je vis en France, pas en Algérie. Je me dis, aussi, que les Algériens n’ont pas besoin de mon vote», explique-t-elle.


Nadia T.

Dans son livre, Les Indésirés, Antoine Menusier, journaliste, ex-rédacteur en chef du Bondy Blog, parle de « apatride binationaux ». Une formulation duale qui porte en lui le bonheur et la tragédie de cette condition. L’identité hybride est faite d’enchevêtrements, mille-feuille de questionnements, de doutes et d’affirmations, aussi?


À l’origine de ce concept, la collision de deux faits d’actualité. Le débat français sur la déchéance de nationalité dans le sillage des « attentats de 2015 » mais, aussi l’adoption par le parlement algérien des articles 51 et 73 restreignant « les conditions d’éligibilité » tout comme des « fonctions élevées de l’exécutif, du législatif ou de la sécurité intérieure. »  


Dans les deux cas, les binationaux furent visés par ces mesures dont la première, contrairement à la seconde, n’a pas abouti.

“On baigne dans le grotesque”, soutient Nadia T. Du tragique au comique il n’y a qu’un pas. De l’humour, les Algériens en ont. A voir, la quantité de détournements comiques mis en ligne sur les réseaux sociaux, l’autodérision est une réaction, presque chimique, au pouvoir algérien.



Des binationaux à distance

“Apatrides binationaux”, une expression juste pour affleurer cette condition bancale de la binationalité.


Nadia la résume bien.


« Je ne me suis jamais sentie traitée comme une Algérienne à part entière », constate-t-elle, détachée. Et de comparer l’approche totalement différente du Maroc. « Le gouvernement marocain a créé le MRE », ministère délégué chargé des Marocains de l’étranger et des affaires de la migration ».

Nadia T.

En 2017, le pouvoir marocain a entamé une série de mesures pour impliquer sa diaspora dans le développement du pays.


Parmi les actions, la relance du « MDM invest », fond financier dédié à soutenir et promouvoir les investissements de la diaspora au Maroc. Un volontarisme à 1000 lieux des articles 51 et 73 votés par l’Algérie… Les binationaux, finalement, le sont, d’abord, dans les yeux des pays d’origine des parents.


Sofiane, 41 ans, balaie, lui, cette question d’un revers de manche. « Je suis la situation en Algérie depuis de nombreuses années. Je suis franco-algérien mais pas à 50/50…je vis plutôt à 100% chacune de ces identités », affirme-t-il.


Entrepreneur et élu local, Sofiane vit pleinement cette posture à la croisée des cultures. Et puis, « mon grand-père fut un cadre du FLN dans le 20e arrondissement de Paris ». Et l’élu de poursuivre, « alors, oui, l’avenir de l’Algérie nous intéresse ».


Ravi de cette « prise de conscience collective », Sofiane reste perplexe quant aux débouchées du mouvement, pointant, « une étape » clé dans le processus « démocratique » du pays.


« En revanche, les autorités algériennes ont tout fait pour faire de nous des citoyens de seconde zone parce qu’elles redoutaient que le changement vienne d’ici. Je me réjouis que ce soit les Algériens de là-bas qui se soient levés », persifle-t-il. Le pouvoir algérien regarde encore son peuple de trop haut. De trop loin même. Un tort. Les Algériens compte bien « aller le chercher.»


Entrepreneur des médias, Fondatrice de MeltingBook, Directrice de la publication et des Éditions MB.

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