Parcoursup & Réforme du bac… Les dommages collatéraux des algorithmes
[#Billet Orientation]
Un bac 2020 maintenu, mais sur la base d’un contrôle continu total. Une rentrée 2020-2021 dont les contours restent flous… L’après Covid-19 pose encore différemment la question de l’orientation. La crise sanitaire risque de renforcer davantage l’impression d’opacité chez les élèves et leurs familles. Les algorithmes d’Affelnet et de Parcoursup s’appuient sur des critères d’évaluation objectivés tels que le dossier scolaire, le rang de l’élève dans la classe, l’appréciation des professeurs. Mais, au-delà des critères affichés, l’appréciation des notes, de la réputation du lycée et de sa localisation, semblent jouer un rôle prépondérant.
Des algos et des Hommes. Derrière les algorithmes, des personnes, en chair et en os, paramètrent, à partir de leurs représentations, ce que doivent être les « parcours types ».
Objectif annoncé, faciliter l’orientation scolaire des jeunes.
En pratique, il s’agit de déterminer le profil d’élèves qui s’oriente vers tel ou tel type de formations. Entre en jeu, un facteur essentiel : la politique en vigueur de l’éducation nationale (EN).
Tant pis pour les parcours singuliers
Les trajectoires sont « pré-pensées » et tant pis pour les élèves qui entendent suivre un parcours singulier.
Ainsi, suivant la logique des quotas définis par le ministère de l’Éducation nationale, un bon élève de lycée général désireux de débuter son parcours d’études supérieures par une filière professionnalisante peut se voir refuser l’accès en BTS au profit d’un élève de niveau moindre, mais sortant de filière professionnelle, donc prioritaire.
Si les débouchés classiques des formations doivent être privilégiés, il serait intéressant que la notion de parcours et de choix « originaux » soit intégrée dans le processus d’affectation.
Or là, il y a quelque chose de déshumanisant, puisque ce sont les algorithmes qui, en définitive, décident du sort des élèves.
À partir du moment où l’on se voit proposer une formation, le « contrat » est rempli. Dès lors, les seules réponses attendues sont “l’acceptation”, “la mise en attente” ou “le refus”.
Une plateforme déshumanisée
En 2019, la plateforme Parcoursup a introduit les points d’étape. Il s’agit de bilans obligatoires pour les candidats encore en attente dans tous leurs vœux et pour ceux qui n’ont pas validé définitivement une proposition.
Les candidats ne disposaient que d’un délai de 3 jours pour répondre. Le but était clairement de désengorger la plateforme en conservant ou en libérant des places si les personnes ne sont plus intéressées. Mais en cas de d’incompréhension, vers qui se tourner, à qui adresser sa plainte ?
Il a bien été prévu la mise en place de commissions d’accès à l’enseignement supérieur pour répondre aux candidats sans réponse. Mais on peut néanmoins douter de la capacité de ces dites commissions à dépasser le cadre strictement académique et sortir d’une logique 1 demande = 1 proposition, pour entendre et traiter les désillusions de ces candidats malheureux.
Bien que les délais de réponse aient été raccourcis, l’attente n’est pas sans effet sur les élèves. Il y a d’un côté ceux qui sont choisis, élus et de l’autre, ceux qui doivent restés en attente ou pire qui se voient refuser l’accès à la formation de leur choix. Quel impact au plan psychologique de se savoir moins désiré(e) que d’autres par tel ou tel organisme de formation ? Dans quel état d’esprit intègre-t-on sa formation après avoir attendu durant des semaines en scrutant quasi quotidiennement sa progression dans la liste d’attente ?
Les atteintes narcissiques de la mise en attente ou du refus ne sont pas à négliger et cela quel que soit le niveau de tension ou de sélectivité de la formation choisie. Avec les algorithmes, tous les élèves sont soumis à ce régime. Aujourd’hui, l’accès aux études supérieures n’est plus seulement conditionné par la réussite au Bac.
Quid des élèves qui décrochent leur bac, mais qui n’ont aucune perspective de poursuite d’études. Comme l’exemple d’Elise, fraîchement diplômée en Bac pro Gestion administration mais dont tous les vœux de BTS sur Parcoursup ont été refusés. À l’annonce des résultats du Bac, elle n’eut qu’une question en tête : « Qu’est-ce que je peux faire maintenant ? ».
Après plusieurs mois de recherche vaine de formations en alternance, elle a renoncé. Avec le concours de la mission locale, elle s’est résolue à changer de projet professionnel. Bien qu’elle n’écarte pas la piste des formations professionnalisantes, elle a privilégié la recherche d’emplois non qualifiés et relativement éloignés de ceux auxquels elle pensait pouvoir accéder en poursuivant des études.
Pour les élèves recalés de la phase principale, le dispositif a prévu la phase complémentaire entre juin et septembre, dernière chance pour espérer décrocher une place dans les formations qui n’ont pas encore fait le plein de candidats. Pour tous ceux-là, la réussite à l’examen n’aura pas ouvert de droit les portes de l’enseignement supérieur.
L’orientation : déni d’initiés ?
La sélectivité de plus en plus précoce amène les parents d’élèves les plus avertis à élaborer des stratégies pour garantir à leurs enfants l’accès à certaines filières supposées d’excellence au risque de les dévoyer de leur fonction d’origine. A l’instar des sections européennes ou des classes bi langue qui accueillent des élèves triés sur le volet et présentant les meilleurs dossiers scolaires sans toujours avoir d’appétence particulière pour les langues.
Il est vrai que l’élaboration de stratégies de contournement n’est pas un phénomène nouveau. Il est de notoriété publique, ou du moins pour ces parents « initiés », que le choix d’option particulière (langues rares, Classes à Horaires Aménagés…) participe des stratégies de contournement de la carte scolaire et offre l’assurance de voir son enfant se retrouver dans un bon établissement et dans une bonne classe avec un niveau homogène.
Cependant, avec la réforme du lycée, les enjeux de l’orientation post-bac s’invitent dès la classe de seconde avec le choix des spécialités qui seront suivies en première. Ce sont les filières post-bac qui définissent leurs attendus et qui donnent le ton, donc.
Avec la suppression des filières S, ES et L, l’orientation peut apparaître comme une entreprise périlleuse pour bon nombre de familles. Dès lors, il s’agit de faire le bon choix parce que déterminant pour la suite de son parcours d’études. La tentation est alors grande d’opter pour des combinaisons de spécialités qui reconstituent les filières tout juste supprimées.
Dans ce contexte, la mission d’accompagnement confiée aux professeurs principaux et aux psychologues de l’Éducation nationale est essentielle. L’on peut néanmoins se poser la question des moyens qui y seront alloués, au-delà du nombre d’heures dédiées, notamment concernant la prise en compte des dimensions psychologique, sociale et familiale dans le processus d’orientation.
Sans remettre en cause l’engagement et la compétence des professionnels, il y a fort à parier que cette mission d’accompagnement va se réduire à une mission d’information et de mise en conformité avec le calendrier de l’orientation.
Du propre aveu d’une CPE en collège qui estime être en plein “paradoxe”. Les échéances sont de plus en plus courtes alors qu’il s’agit “d’aider à construire des parcours de vie”. Quant aux psychologues de l’EN, ils ont de moins en moins de temps pour mener leur travail d’orientation auprès des élèves.
Pour illustration, une conseillère d’orientation-psychologue peut recevoir jusqu’à 30 élèves dans la journée. A ce rythme, quel travail d’évaluation individualisé est possible ?
Désormais, l’information et l’anticipation président à l’orientation. Ce qui laisse moins de place qu’auparavant à l’expérimentation, aux réorientations, aux passerelles entre les différentes voies et les différentes options.
Avec cette réforme, les parcours se veulent linéaires pour des jeunes encore en maturation sur le plan psychologique et en pleine construction identitaire.
La réforme du Bac et du lycée est de nature à creuser les inégalités territoriales par une offre de formation inégale sur l’ensemble du territoire et un poids croissant du contrôle continu qui risque de dévaluer les résultats d’élèves provenant d’établissements moins cotés.
Mais aussi les inégalités sociales puisque les familles ayant le plus de moyens financiers pourront recourir à toutes sortes de services (cours particuliers, coaching d’orientation privé…) pour construire les parcours les plus adaptés aux filières visées, tandis que les familles les plus modestes se contenteront de suivre les préconisations des enseignants, au risque de voir leur enfant subir son orientation faute d’avoir pu l’anticiper.
Là encore, rien de nouveau sauf qu’aujourd’hui plus que jamais c’est le dossier scolaire avec les enseignements de spécialités suivis au lycée qui conditionnent l’accès aux études supérieures. L’on peut imaginer que les filières sélectives (Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles, double licence, IEP…) conserveront leur caractère méritocratique tandis que les filières universitaires classiques demeureront plus démocratiques.
Il n’en demeure pas moins que les nouveaux programmes s’avèrent ambitieux et visent à relever sensiblement le niveau d’exigence, notamment dans les capacités d’argumentation (orale et écrite) et les capacités de démonstration mathématique. Si l’on ne peut que saluer l’ambition affichée, les premières générations, celles qui vont passer le Bac en 2021, en 2022 et peut-être encore en 2023, vont probablement devoir essuyer les plâtres.
Logiques divergentes
Il s’agit là d’enjeux éminemment politiques qui en partie éclairent le point de rupture atteint dans le bras de fer qui a opposé les enseignants grévistes et leur ministre de tutelle Jean-Michel Blanquer lors de la session du bac 2019.
Comment expliquer que des enseignants, qui ont pour vocation d’accompagner leurs élèves tout au long de leur scolarité au lycée vers le but ultime de décrocher leur Bac, en viennent à retenir des copies d’examen, à ne pas communiquer les notes aux jurys de délibération ?
Au cours de cette année 2019/2020, les tensions ont ressurgi entre les enseignants et leur ministre de tutelle à l’occasion de la première session d’épreuves communes de contrôle continu (communément appelées E3C), émaillée par des blocages d’établissement et des reports d’épreuves.
La prépondérance des algorithmes en matière d’orientation, l’absence de concertation et de dialogue entre les décideurs et les professionnels de terrain rendent compte d’une pensée gestionnaire dans laquelle les réformes et le calendrier afférent deviennent le seul point de vue.
Les professionnels délogés de leur position d’accompagnants, se retrouvent captifs des procédures, ce qui peut générer une forme de souffrance éthique contre laquelle ils cherchent à se défendre en adoptant des formes de résistances ou au contraire en se réfugiant dans une résignation dépressive.
Les réformes du bac et Parcoursup font la part belle au contrôle continu. La suppression des examens et concours écrits en lien avec la crise sanitaire du Covid-19 vient le rendre également incontournable pour la dernière génération concernée par le bac “ancienne formule”. Pour eux aussi, c’est le dossier scolaire qui fera foi et permettra d’obtenir le diplôme, qui n’en sera pas pour autant un sésame pour l’enseignement supérieur.
L’orientation post-bac se construit sans l’ombre d’un doute dès la classe de première et la classe de seconde constitue indéniablement un palier d’orientation déterminant.
Dès lors, il nous apparaît pertinent d’ouvrir des espaces tiers pour les élèves et leurs parents, en dehors de l’institution scolaire et des canons de l’Éducation nationale. Il s’agit de leur proposer un travail d’accompagnement complémentaire afin de leur permettre de dépasser les enjeux de l’orientation, d’ouvrir aux jeunes des voies d’exploration et des perspectives et, ainsi, de transformer leurs craintes et peurs légitimes en potentialités de réussite.