Amel Filali, spécialiste en maladies infectieuses : « Tu n’as jamais fini d’apprendre en médecine »
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Médecin avec une spécialiste en maladies infectieuses et en néphrologie, Amel Filali est engagée auprès de Médecins Sans Frontières. Son mantra : apprendre et rêver. À 34 ans et après dix ans d’études de médecine, un master en sciences en biologie de la santé et immunologie et un master 2 de sur-spécialisation en immunologie, elle se forme en géopolitique. Portrait.
J’ai rêvé. Aujourd’hui, je vis la vie dont j’ai vécu. » Voilà qui résumerait presque le chemin du docteur Filali. Pour elle, l’école était « assez facile ». Pourtant, faire médecine ne relevait pas de l’évidence.
Amel grandit à Dunkerque et obtient son baccalauréat scientifique, dans un établissement situé en Zone Éducation Prioritaire et poursuit ses études avec la bourse de la Fondation Euris, rattachée à la Fondation de France. Une précision importante pour elle :
« Ce qu’on ne donne pas au gamin en ZEP, c’est cette capacité. Quand tu as l’envie, tu peux y arriver. C’est de la discipline, du travail, de la rigueur. On est son pire ennemi. Il ne faut pas s’auto-limiter. »
« Je ne crois pas à l’éducation par la souffrance »
Elle revient sur son périple de ses années de médecine : ce parcours difficile où tu crées des liens.
« Quand tu es interne, tu te rends compte de ce que c’est de travailler 24 heures ou 36 heures d’affilée. 80 à 90 heures par semaine. Ou quand à 19 ans, tu es appelé à disséquer un cadavre. La difficulté est d’être confrontée à l’humain. On finit en huit-clos, c’est une tendance. Cela demande beaucoup d’autodiscipline et beaucoup de travail », note Dr Filali.
Des études de médecine assez bien construites, même si elles manquent de bienveillance :
« Le problème de l’éducation médicale, c’est qu’elle n’est pas bienveillante. C’est en train de changer. Je n’ai pas envie de simplifier, parce que c’est hétérogène, mais il y a une culture de la souffrance en médecine : il faut donner, toujours plus. Je ne crois pas à l’éducation par la souffrance. Et c’est aussi pour cela que j’ai quitté le cadre hospitalier français, car j’avais peur de reproduire moi-même ce modèle », souligne Amel.
Diplômée, Amel Filali exerce et est promu cheffe de clinique à Lille. Mais, elle veut avant tout construire un parcours professionnel qui lui ressemble. Très vite, elle tourne en rond.
« C’est probablement une forme d’égo. On ne parle pas de changer le monde, mais je m’ennuyais à l’hôpital, en France. ».
Amel postule alors à Médecins Sans Frontières (MSF), un organisme indépendant et sans interférence politique. En tant qu’infectiologue, elle traite les maladies infectieuses du VIH à la tuberculose, en passant par la résistance parasitaire des malades.
« La première fois que je suis partie en mission c’était en funambule. Tu es stimulée à tous les niveaux. Il faut être créatif parce qu’on n’a pas les mêmes moyens », relate Amel. C’était en 2017. Elle s’envole vers la Grèce, dans un camp de réfugiés.
Là, c’est « un basculement » : « Ça été une leçon d’humilité. J’ai la conviction d’avoir une chance incroyable », réalise la jeune femme. Elle revient sur ces personnes croisées qui « chantaient et dansaient », malgré leur catastrophe.
Ce qui frappe chez Amel après sa détermination, c’est son goût d’apprendre. Ce qui l’a le plus aidé : « ce sont les gens qui m’ont encouragé. La clé est de s’entourer de personnes qui nous poussent à être nous-même. L’autre clé est de continuer à apprendre. »
« Si tu ne te formes pas, tu deviens mauvais »
En 2018, elle retourne sur les bancs de l’école qu’elle n’a jamais vraiment quitté. En master 2 sciences politiques à l’IRIS. Elle y mène un parcours à distance pour comprendre ce qu’il se passe dans les pays où elle intervient. Un parcours pluridisciplinaire qui force l’admiration. Pourtant, à l’entendre, rien d’exceptionnel : « En France, on ne valorise pas assez la transversalité. Ce qu’il faut c’est la volonté, du travail, de l’envie, » précise-t-elle avec humilité.
Amel Filali offre un pied-de-nez aux normes préétablies. Son parcours médical se ponctue de défis, avec une pointe de défiance. Une volonté de « ne pas prendre la route la plus courte. Moi, j’ai envie de me perdre et ça me va bien. »
Passée par la République Centre Africaine, Gaza, Haïti… À chaque fois, le même ressenti. La responsabilité de témoigner de ce qu’elle y a vu et traversé. « J’ai pour projet d’écrire pour témoigner et c’est dans l’ADN de Médecins Sans Frontières. »
Le docteur Filali est en perpétuel réinvention, à l’image de son métier :
« Si tu ne te formes pas, tu deviens mauvais. Tu n’as jamais fini d’apprendre en médecine », argue-t-elle. « J’ai beaucoup enseigné, j’adore transmettre. Il faut démystifier les études de médecine », explique docteur Filali.
Un parcours qui sonne comme une ode à la persévérance.