À Montfermeil, Hollande dit adieu aux banlieues
Mercredi 19 avril, le président de la République s’est rendu sur le plateau de Clichy/Montfermeil (Seine-Saint-Denis). Il y a inauguré une fresque monumentale où apparaissent plus de 800 habitants des deux villes. Cette œuvre d’art réalisée par le célèbre photographe JR et le réalisateur Ladj Ly est ainsi exposée face au quartier des Bosquets de manière définitive.
Une visite symbolique en plein cœur de l’épicentre des émeutes de 2005. Une dernière image, point d’orgue de son quinquennat en ce qui concerne la politique menée dans les quartiers populaires.
Ce « vernissage présidentiel », dernière sortie du président en banlieue, est l’occasion de dresser son bilan à quelques jours de la passation de pouvoir qui pourrait être historique en cas de victoire du Front national. Et ternir si besoin un mandat plus que mitigé.
Visite côté pile
On avait rarement vu autant de policiers aux Bosquets depuis les épisodes des révoltes urbaines de 2005. Contrôle de détecteurs de métaux aux différentes entrées du quartier, chiens renifleurs, barrière de sécurité pour encadrer le public, voitures banalisées, cette visite présidentielle a eu lieu dans un contexte on ne peut plus tendu.
Malgré l’actualité tendue, François Hollande est venu au plus près des habitants des quartiers populaires en prenant le temps de dialoguer avec cette population comme pour lui dire adieu mais aussi pour se rassurer sur les actions menées durant ce quinquennat.
« En 2005, il y avait de la rage, de la colère, du doute sur la possibilité de vivre ensemble. Vous pouvez être fiers d’avoir transformé votre cité avec tout ce qui fait qu’on peut vivre ensemble. Cette fresque est un élément de notre patrimoine, de ce que nous arrivons à faire ensemble aujourd’hui. Je me demande si je ne vais pas classer l’œuvre ! (…) Soyez fiers ! Vous êtes la France, c’est l’espérance qui se lève, il y a encore beaucoup de choses à régler mais nous allons y arriver » déclarait donc enthousiaste le président.
le 19 avril 2017.
Le discours fut sincère. Le président a rappelé que sa présence à ce vernissage était tout sauf anodine, que ses habitants ne devaient plus se sentir à l’écart. Il se sent proche de ce plateau et s’était déjà déplacé en mars 2015 aux obsèques de Claude Dilain, ancien maire de Clichy-sous-Bois.
Il était, déjà, venu à la demande de l’édile en 2005 et c’est Jean-Pierre Mignard, l’un de ses proches qui avait défendu la plainte des familles de Zyed Benna et Bouna Traoré contre la police pour non-assistance à personne en danger. La mort des deux adolescents qui fuyaient un énième contrôle de police avait déclenché une explosion de colère inédite dans l’Hexagone.
le 19 avril 2017.
On est loin du ghetto qui avait choqué le monde entier en 2005.
À son arrivée, le Président est ovationné par une foule composée de jeunes enfants profitant de leur mercredi après-midi, de parents et de grands parents aussi.
Le tramway qui arrive prochainement pour mieux relier les deux villes à la capitale, l’accélération du plan de rénovation urbaine avec plus de 700 millions d’euros engagés qui en fait le plus vaste chantier du pays en matière de politique de la ville, l’ouverture d’un Pôle-emploi en 2014, l’arrivée de la villa Médicis en 2016 qui a d’ailleurs organisé ce vernissage et le Grand Paris Express qui passera aussi par là en 2024, tout cela a été permis en grande partie par cette volonté de l’Elysée. Il faut le reconnaître.
D’ailleurs, Hollande a même forcé le passage des communes avoisinantes (Le Raincy, Livry Gargan et Pavillon-sous-bois) réfractaires à voir le tramway relier leurs villes, favorisées à celles, défavorisées, du plateau.
Le Président a-t-il œuvré pour la réconciliation? Cet intérêt pour ce plateau n’est donc pas nouveau. François Hollande l’avait ainsi manifesté lorsqu’il fit venir Ladj Ly et JR, à l’Elysée en septembre 2015.
Les deux artistes venaient de participer au festival new-yorkais de Tribeca avec leur court-métrage « Les Bosquets ».
Une œuvre d’art plus qu’un film où des danseurs du New-York city ballet dont le mondialement connu Lil Kud dansent sur les toits du Chêne Pointu, cité jumelle des Bosquets qui n’a pas encore elle été réhabilitée et qui permettait ainsi de réaliser un contraste esthétique éclatant.
En effet, en 2004, leur exposition portraits de générations avaient déplu au maire. N’ayant pas reçu de demande de tournage, préalable, il avait ainsi porté plainte pour dégradation. Il n’imaginait pas ces photos géantes faire le tour du monde et assurer au quartier des Bosquets une renommée mondiale.
En décembre 2016, cette réconciliation était entérinée avec la diffusion du court métrage en plein cœur du quartier lors des « temps suspendus » un festival organisé déjà par la villa Médicis.
Le maire de Montfermeil déclarait donc fort justement devant la fresque:
« Cette mosaïque humaine où chacun a sa place, je lui ai donné un nom : la fresque de la réconciliation ».
Place des musulmans, rapports jeunes police et bataille de l’emploi : des chantiers sont loin d’être finis voir même pas commencés…
D’autres réconciliations sont à mener.
Visite côté face
Le 29 mars, le tribunal de Bobigny ordonnait la fermeture du principal lieu de culte musulman de la ville, un pavillon transformée en mosquée il y a quinze ans.
Les travaux de la future grande mosquée, engagée il y a maintenant plus d’un an vont devoir être suspendus faute du lieu recevant les dons de fidèles.
Il faut dire que l’enjeu est de taille pour cette communauté. L’arrivée du mois du Ramadan est proche et c’est la période de l’année où les fidèles sont le plus assidus à la mosquée et les plus généreux.
En 2016, plus de 430 000 euros avaient ainsi été récoltés pour le financement de la nouvelle mosquée. Il manque 1.4 million d’euros, nécessaires pour boucler le projet.
C’était l’un des principal sujet de conversation dans le quartier où il ne reste que les arrières boutiques de deux commerces pour prier, locaux qui ne peuvent réceptionner l’ensemble des fidèles de la ville.
«On est dégoutés, en 2017, nos pères qui ont construit ce pays prient sur un trottoir, dans le froid », lâche un homme d’une quarantaine d’années.
L’image est pour le moins terrible. Le vendredi précédent, des centaines de fidèles avaient prié sur des bâches, le long du trottoir de leur lieu de culte fermé.
« Nous pouvons trouver des solutions tous ensemble plutôt que d’aller en justice », Ladj Ly.
C’est l’un des combats de Ladj Ly. En pleine « affaire Théo » le réalisateur a d’ailleurs défrayé la chronique avec « Les Misérables », un court métrage détonnant recevant le prix Canal Plus du festival de Clermont.Pendant une quinzaine de minutes, le réalisateur nous embarque avec une équipe de la BAC. Un jeune policier commet une bavure et il s’agit de retrouver l’adolescent qui a filmé la scène avec son drone piloté depuis le toit d’un immeuble.
« La misère sociale est toujours là »
« La colère est toujours là, c’est flagrant même. La plupart des personnes l’intériorise. Mais jusqu’à quand ? Il faut du changement avec de l’emploi et le rapport police jeunesse », lâchait-il au micro d’un journaliste de France Inter fin 2015.
« C’est vrai qu’on a refait les tours, avec les plans de rénovation urbaine, c’est plus joli… mais la misère sociale est toujours là. La base serait de trouver des emplois aux gens, parce qu’ils veulent travailler et vivre dignement. L’histoire se répète. »