Terrorisme, l’équation cynique : les intérêts économiques au prix de la sécurité ?
Après l’attentat de Manchester, lundi soir, le profil du kamikaze émerge et avec lui des points communs avec les terroristes du Bataclan ou le tueur de Nice. Au fanatisme religieux, la question du rapport à l’Etat émerge comme une piste de réflexion pour lutter contre ces terroristes. Point de vue.
Encore un réveil douloureux. La veille, un jeune homme né sur le sol britannique s’est fait exploser à la sortie d’un concert emportant avec lui des vies innocentes. Leur seul tort est d’avoir été au mauvais endroit, au mauvais moment.
Tristesse. Incompréhension. Colère. Une série d’émotions nous envahit, nous secoue, nous submerge. Pour certains, ces émotions se transforment en passions. La raison n’est plus. L’irrationnel prend le dessus.
Est-il permis de prendre le temps de la réflexion dans ces moments de douleurs et de doutes ? Est-ce que vouloir comprendre, c’est en quelque sorte une façon de prendre de la distance par rapport à l’acte lui-même, et donc d’être insensible à la douleur collective ?
Un ancien Premier ministre Français a même osé le fameux : « Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser ».
Manuel Valls : “On ne doit chercher aucune…par LCP(“Aucune excuse…”, à 1 mn 25)
Certes, il ne faut surtout pas excuser les criminels qui ont participé, de près ou de loin, à ces actes barbares. Faut-il cependant se couper de toutes réflexions permettant de comprendre ce qui pousse des jeunes nés chez nous à commettre l’injustifiable ?
Peu importe le support qui a permis à ces barbares d’exprimer leurs ressentiments, leurs colères, leurs haines, leurs vengeances. Il est vrai que leurs actions sont menées au nom de leur vision de Dieu, de la religion, de l’Islam…
Certaines personnalités médiatiques le disent : « Il y a un devoir de nommer le mal pour mieux le combattre ». Ils tombent dans le piège que ces barbares terroristes nous tendent.
Ces mêmes personnalités médiatiques, contestataires de la « bien-pensance », se précipitent pour moquer les slogans des réseaux sociaux, les fameux : « pas en mon nom », « prions pour Manchester », « vous n’aurez pas ma haine », « restons unis », « pas d’amalgame » …
Ils moquent la supposée naïveté de ces citoyens qui font l’effort de contenir leur colère, pour éviter d’empirer une situation qui met en péril la cohésion d’une Nation.
Faut-il donc interdire l’Islam ?
A leurs yeux, les hommes politiques qui appellent à l’unité, et les citoyens qui les suivent sont des lâches. Ils n’auraient pas l’honnêteté de nommer le mal, l’Islam, pour mieux le confronter.
La question est de savoir s’il faut nommer le mal supposé, en l’occurrence l’Islam.
Partons du principe que ces criminels le font au nom de l’Islam. Faut-il donc interdire l’Islam ? Interdire la construction de nouvelles mosquées ? Voir leurs fermetures définitives ? Certains proposent même la “réimmigration”, comme ce fut le cas pour les Français d’Algérie en 1962.
Faut-il réformer l’Islam ? Certains proposent de réformer son Livre le Coran. Il faudrait en ôter les parties les plus virulentes, celles qui pourraient être mal comprises par des individus malveillants. Quid de la quasi-totalité des musulmans qui suivent cette religion et les enseignements de son Livre sans en avoir une vision d’exclusion et de passage à l’acte meurtrier ?
Dans le cas où certaines de ces mesures seraient prises, le risque de voir une frange de Français de confession musulmane sombrer dans le camp de la frustration et du ressentiment est non nul.
Les criminels en rêvent. Ils verraient la base de leurs aspirants s’élargir.
Le risque de nommer le prétendu mal que serait l’Islam est évident : les solutions possibles n’apportent aucune réponse au problème d’insécurité. Au contraire, cela ne ferait qu’empirer le mal déjà existant.
D’ailleurs, quand bien même, par un coup de baguette magique, les Français de confession musulmane renieraient tous ensemble leur foi, qui peut croire que les individus mal intentionnés disparaîtraient de nos contrées ?
Qui peut croire qu’aucune nouvelle cause, bonne ou mauvaise, prendrait le relais comme support de haine à tous ces criminels ? Personne.
L’approche pénale plutôt que religieuse
Pour faire face au risque terroriste, il faudrait donc avoir une approche moins religieuse et moins passionnelle du problème, en se plaçant dans un référentiel strictement pénal. Quel est donc l’angle d’attaque pour résoudre ce mal ?
Tout d’abord, il va de soi que le sentiment de sécurité est un droit fondamental auquel chaque citoyen aspire. L’Etat est garant de cette sécurité. Il lui revient donc de mettre tout en place pour permettre à chaque citoyen de se sentir en sécurité.
Pour cela, il a à sa disposition un arsenal de moyens juridiques, les services d’intelligence, les services de police, la gendarmerie, l’armée…
Dans le cas des actes dits de terrorismes, les criminels sont avant tout des individus ayant enfreints la loi. Ils ont rompu le pacte de sécurité qui unit chaque citoyen. Peu importe leur foi. La loi n’est pas supposée juger une croyance, mais des actes criminels.
L’Etat, garant de notre sécurité, est supposé être « agnostique » face au crime.
Il est donc insupportable d’entendre des politiques porter des jugements de valeurs sur la prétendue foi musulmane de tel ou tel criminel. Ils se discréditent quand ils osent la rhétorique suivante : « Les terroristes ne sont pas des musulmans ». Dans le cas spécifique de la France, cela va même contre l’esprit strict de la laïcité.
Il est donc important de traiter les terroristes dans leur dimension citoyenne et surtout pas religieuse.
Aussi, en plus d’être des crimes de droits communs, les actes terroristes comportent une dimension qui dépasse même l’infraction à la loi. Le terrorisme renvoie a la notion d’intelligence avec l’ennemi.
En effet, les exécutants de ces actes criminels, sont téléguidés par une propagande extérieure disponible aisément sur les réseaux sociaux, parfois même relayée de l’intérieur.
La souffrance instrumentalisée
Cette propagande se nourrit des guerres au Moyen-Orient ou en Afrique, de leurs lots de morts, d’images insupportables d’enfants assassinés au moyen d’armes vendues par nos pays, en Occident. Parfois même, utilisées par notre propre contingent.
Le but étant de sensibiliser une jeunesse, vivant en Europe, aux malheurs d’une population à laquelle ils peuvent facilement s’identifier. Jadis, la fibre nationaliste était mise en avant, grâce au mythe de l’appartenance à la Nation Arabe, allant de Rabat à Bagdad.
De nos jours, le vecteur mis en avant, est plutôt religieux. La propagande est simple mais bien rodée : « Vous, musulmans, qui vivez en Europe, en sécurité, comment pouvez-vous accepter que vos frères et sœurs en religion, puissent être massacrés de la sorte ? Où est passée la solidarité religieuse censée transcender les frontières ? Agissez et combattez notre ennemi commun, comme votre religion vous le prescrit ».
Cependant, chaque individu vivant sur le sol européen, est tenu par un contrat passé avec l’Etat. Ce contrat, qui peut être une nationalité ou un droit de séjour, implique un respect des lois et une allégeance à ce pays. Celui qui ne respecte pas ce contrat d’allégeance et qui ne tient pas ses engagements, devient, alors, un “ennemi de l’intérieur”.
Cette allégeance n’implique pas un alignement systématique sur les lois ou les politiques géopolitiques de cet État. Celles-ci peuvent être débattues, dénoncées, modifiées. Mais dans le respect du droit. Celui qui devient un ennemi déclaré de l’Etat, et donc de ses citoyens, doit être poursuivi. Le contrat qui le lie à l’Etat devient caduc. Il doit être “neutralisé” au plus vite pour garantir la sécurité des citoyens.
L’intelligence avec l’ennemi ne se matérialise pas par un passage à l’acte seulement. L’adhésion aux idées de l’ennemi, leurs approbations, leurs justifications, leurs propagations sont suffisantes pour justifier une neutralisation immédiate. Il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour se rendre compte que les ennemis de l’intérieur agissent en liberté absolue.
Cet angle d’actions est très peu exploité par les autorités. Pourtant le code pénal actuel est sans ambiguïté sur le sujet avec l’article 411-4 :
« Le fait d’entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, avec une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents, en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France, est puni de trente ans de détention criminelle et de 450 000 euros d’amende.
Est puni des mêmes peines le fait de fournir à une puissance étrangère, à une entreprise ou une organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents les moyens d’entreprendre des hostilités ou d’accomplir des actes d’agression contre la France ».
Enfin, sans vouloir expliquer, est-il légitime de s’interroger sur l’efficience de cette propagande contre nos pays ? Quelles raisons peuvent pousser des jeunes individus nés en Europe à tuer froidement leurs concitoyens ? Le passage à l’acte nécessite une propagande forte, capable de justifier l’injustifiable aux yeux des plus fragiles et mauvais d’entre nous.
Pour trouver un élément de réponse, citons, encore une fois, le fameux ancien Premier Ministre mentionné plus haut : « Le terrorisme a frappé la France, pas pour ce qu’elle fait en Irak, en Syrie ou au Sahel, mais pour ce qu’elle est » (19 novembre 2015).
“Nos guerres, nos armes, leurs morts”
Pas besoin de chercher plus loin. La propagande criminelle s’appuie principalement sur les atrocités commises en notre nom ou avec nos armes au Moyen-Orient et en Afrique. Ces guerres commises en notre nom, ont pour but de protéger des intérêts géopolitiques et géostratégiques. En d’autres termes, nos intérêts économiques.
Le récent contrat colossal de vente d’armes signé par Trump lors de sa visite en Arabie Saoudite, sur les lieux saints de l’Islam, est là pour nous rappeler que la dimension économique est centrale dans les relations entre un Moyen-Orient meurtri par les guerres et un Occident fort de sa puissance militaire.
Une façon simple mais très naïve de couper l’herbe sous le pied de la propagande criminelle, est d’arrêter d’intervenir dans les affaires africaines et du Moyen-Orient.
Arrêtons de nous mêler de leurs affaires intérieures.
Arrêtons de mettre en place les régimes qui seront à notre botte.
Arrêtons de provoquer des guerres sous couvert d’instaurer notre mode de vie et notre démocratie.
Arrêtons de vendre des armes qui sèment la destruction et la mort.
En somme, soyons justes avec ces pays. Nous voulons la paix chez nous, mais nous sommes insensibles aux victimes de nos guerres, là-bas : « Nos guerres, nos armes, leurs morts ».
Est-il possible d’être en paix sur nos terres en semant l’injustice ailleurs ? Tout le monde souhaite la paix. Peu sont capables d’être justes.
Si les intérêts économiques sont si cruciaux, alors arrêtons notre hypocrisie. Arrêtons de voir ce conflit sous le prisme des religions. Regardons la vérité en face. Nous menons une guerre totale pour protéger nos intérêts géopolitiques et économiques. Une guerre sans merci au prix de la vie d’autrui.
Devoir d’éduquer notre jeunesse
L’équation est alors simple pour les dirigeants politiques qui nous dirigent. Nos intérêts économiques valent-ils la vie des victimes d’actes terroristes ? Quelle cynique équation !
Certes nos dirigeants continueront la lutte antiterroriste pour essayer de diminuer le nombre des victimes collatérales. Mais dans ce cas, ils devront porter seuls ce fardeau. Les musulmans d’Europe qui n’aspirent qu’à vivre en paix, doivent être délestés de cet injuste poids. Chacun devant faire face à ses responsabilités.
En attendant, levons-nous tous ensemble, quelles que soient nos supposées origines ethniques, couleurs de peaux, religions, que sais-je encore, et soyons unis face à la menace terroriste.
Il est du devoir de chacun de nous, d’aider l’Etat dans son énorme tâche de nous protéger. Il est de notre devoir d’éduquer notre jeunesse, et de ne pas rentrer dans le jeu de la propagande criminelle qui cherche à nous diviser et à semer la mort parmi nous.
Levons-nous tous ensemble aussi et exprimons l’esprit de justice et d’humanité qui est en chacun de nous. A tous ceux qui croient que chaque vie humaine est sacrée, je dis : comment peut-on vouloir la paix chez nous, si nous semons l’injustice, la guerre et la mort ailleurs ?
Nous devons nous lever tous ensemble contre l’interventionnisme de nos pays en Afrique et au Moyen-Orient, et ailleurs. Nos intérêts économiques ne vaudront jamais l’injustice que nos dirigeants sèment ailleurs. Nous voulons la paix chez nous, nous voulons la même paix ailleurs, par esprit de justice.
Ainsi, nous devons exiger de nos dirigeants qu’ils cessent de suite de vendre des armes à ces pays en proies à la division et au chaos. Ces pays ont le droit de vivre en paix aussi. Comme nous.
Leurs enfants ont le droit à la même insouciance que nos enfants !
Anice Lajnef
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