Rohingyas. Un “nettoyage ethnique” enfin médiatisé
En Birmanie, les exactions s’intensifient ces derniers jours à l’encontre des Rohingyas. La minorité musulmane, déjà considérée comme peuple le plus persécuté au monde, est contrainte de fuir vers le Bangladesh. Les gouvernements de la communauté internationale, eux, peinent à se mobiliser contre ce génocide. Avec un impensé sous-jacent: le déni du statut de victime à ces musulmans.
1. Retour sur les faits
Un « nettoyage ethnique ». C’est en ces termes qu’António Guterres, le secrétaire général de l’ONU a dénoncé les violences des forces birmanes à l’égard des Rohingyas.
Les discriminations à l’encontre de la minorité musulmane en Birmanie ne cessent de gagner en intensité. D’après les derniers chiffres de l’ONU, près de 125 000 Rohingyas ont fui leurs pays pour tenter de se réfugier au Bangladesh, pays frontalier. Depuis le 25 août 2017, les massacres et les persécutions semblent avoir atteint un niveau inédit.
Impossible pour les observateurs internationaux d’accéder à la zone de conflit, dans l’Arakan (appelé aussi Rakhine), région où se situent majoritairement les Rohingyas. Les journalistes ne sont évidemment pas les bienvenus, tout comme les experts de l’ONU et les humanitaires.
Aung San Suu Kyi, « prix Nobel de Paix » (ndlr : un titre largement contesté aujourd’hui, nous y reviendrons), a expressément refusé la venue sur le territoire d’experts de la commission des droits de l’Homme de l’ONU ayant pour mission d’enquêter sur les précédentes accusations de viols, tortures et meurtres par les forces de l’ordre, relatées par les rescapés.
2. Qui sont les Rohingyas ?
Les Rohingyas sont considérés (à juste titre) comme la minorité la plus persécutée au monde, selon l’ONU. La Birmanie reconnaît officiellement 135 groupes ethniques.
Pourtant, les musulmans Rohingyas ont été dépouillés de leur citoyenneté et rendus apatrides. Ils subissent des discriminations de longues dates : privés de travail, d’accès à l’école et aux hôpitaux.
Pourquoi ? Il s’agit d’un groupe minoritaire de confession musulmane vivant au sein d’un pays à majorité bouddhiste. Ils ne représentent qu’environ 1, 3 million d’individus sur une population totale de 50 millions de personnes.
Originaire du nord-ouest du pays, ils vivent presque tous à Rakhine, l’un des états les plus pauvres, avec une population de trois millions d’individus. Vivant dans des camps, ils ne peuvent quitter la zone sans autorisation du gouvernement.
3. Comment la presse couvre cette crise humanitaire ?
Du côté de la presse étrangère, The Guardian, la BBC, Al-Jazeera assurent une couverture médiatique factuelle, sans minimisation de la réalité. Les survivants témoignent et y relatent les exactions dont les civils ont fait l’objet, entre viols, incendies, tortures… Les familles y expliquent qu’elles n’ont, aujourd’hui, d’autre issue que l’exode.
Pour autant, la prudence est de mise quant au relais d’informations, de photos ou de vidéos, non vérifiées, sourcées et authentifiées, notamment via les réseaux sociaux. Quand celles-ci s’avèrent être des fake news, elles peuvent au contraire desservir la cause soutenue.
Ces dernières semaines, certains médias et journalistes ont dénoncé la circulation de fausses informations de la crise en Birmanie. En effet, sur les réseaux sociaux, des images détournées ont circulé comme l’explique, en détails, The Guardian.
En revanche, dans certains médias, il s’agit de relayer sans pointer directement la responsabilité de Aung San Suu Kyi.
4. Comment les autorités birmanes se justifient-elles ?
Dans le pays, la majorité dominante conduite pas des moines bouddhistes radicaux, désigne ces « Bengalis » comme une « menace terroriste ». Le général Min Aung Hlaing, chef de l’armée, justifie ces atteintes aux droits de l’Homme comme suit : « Militaires et policiers se battent ensemble contre les terroristes bengalis », déclarait-il dans un post Facebook.
La bataille de la communication ne s’arrête pas là. Pour la chef du gouvernement birnan Aung San Suu Jyi parle d’ « un iceberg de désinformation » pour justifier les violences commises à l’encontre des Rohingyas :
« Ce genre de fausse information est seulement la partie émergée d’un énorme iceberg de désinformation créé pour générer des problèmes entre les différentes communautés et promouvoir les intérêts des terroristes ».
Une déclaration faite au président turc Recep Tayyip Erdogan, lors d’un récent échange téléphonique et relayé par son service de presse.
Recep Tayyip Erdogan a reçu son feu vert pour l’envoi d’un convoi humanitaire de 1.000 millions de tonnes comportant nourriture et vêtements. Ils seront acheminés par hélicoptères, dès ce mercredi 06 septembre.
Le président turc qui qualifie cette crise de « génocide » a condamné l’attitude du gouvernement birman. À l’instar des dirigeants du Bangladesh, de l’Indonésie et du Pakistan, il a expressément demandé aux autorités de mettre un terme aux violences contre les Rohingyas.
5. Et le reste du monde ? Un silence immoral et indécent
“Génocide” : certains n’ont pas hésité à utiliser le terme face à ce drame qui n’a que trop duré. (ndlr : définition du mot génocide : Extermination systématique d’un groupe humain de même race, langue, nationalité ou religion par racisme ou par folie.)
A contrario, d’autres gouvernements de la communauté internationale, et pourtant “fervents défenseurs des Droits de l’homme” (sic), n’ont dit mot. Les grandes puissances peinent encore à condamner les actes commis en Birmanie. Un silence immoral face aux exactions et persécutions que subit ce peuple.
Des voix se sont levées pour dénoncer ces atrocités. Comme celle de Malala Yousafzai, la jeune Pakistanaise Prix Nobel de la paix 2014 :
« Ces dernières années, je n’ai cessé de condamner le traitement honteux dont ils font l’objet. J’attends toujours de ma collègue Prix Nobel Aung San Suu Kyi qu’elle en fasse de même », a-t-elle déclaré via Twitter.
My statement on the #Rohingya crisis in Myanmar: pic.twitter.com/1Pj5U3VdDK
— Malala (@Malala) 3 septembre 2017
Le Pape François a également lancé un appel à la mobilisation en faveur de cette minorité, à l’issue de la prière de l’Angélus, ce dimanche 27 août :
«De tristes nouvelles sont arrivées sur la persécution de la minorité religieuse, nos frères Rohingyas, a déclaré le Souverain Pontife, je voudrais leur exprimer toute ma proximité, et nous tous, demandons au Seigneur de les sauver, et de susciter des hommes et femmes de bonne volonté pour les aider. Qu’ils leur donnent de pleins droits, prions pour nos frères Rohingyas ».
Pourtant, seule une mobilisation de cette “communauté internationale” peut permettre de débloquer cette situation de crise en faisant pression sur le gouvernement birman.
Le président français Emmanuel Macron a également reconnu ce “nettoyage ethnique”. Il demandé “l’arrêt des opérations militaires” lors de son discours à l’ONU, le 19 septembre 2017. Et a réclamé de libérer “l’accès à l’aide humanitaire internationale”.
Discours d’@EmmanuelMacron à l’Assemblée générale des Nations Unies. #AGNU #UNGA #Macronhttps://t.co/ezIKbzwswi
— Élysée (@Elysee) 19 septembre 2017
6. Manifestation et pétition
En l’absence d’une action politique, la mobilisation citoyenne, elle, se met en place. Une pétition a été lancée exigeant le retrait du “Prix Nobel de la Paix” attribué à la dirigeante birmane et la fin des violences. Elle réunit, pour l’heure, 350 842 soutiens.
Une manifestation de soutien s’organise à Paris, ce samedi 16 septembre à 14h, au départ du 5-7 Place du Trocadéro, à Paris. « Le lieu est modifié et maintenant confirmé mais en attente de certains éléments administratifs », précise l’organisateur. Pour l’heure, près de 760 participants indiquent leur participation sur l’événement Facebook dédié.
Sarah Hamdi