“Les conditions du Brexit sont loin d’être réglées”
Un divorce à rebondissements ! Si les négociations du Brexit ont commencé, elles butent sur le montant de la sortie de la Grande-Bretagne mais aussi la question de la frontière irlandaise. Alexander Seale, journaliste britannique, revient sur ce Brexit que certains espèrent interrompre. Entre 35 et 39 milliards d’euros, c’est le montant de la facture.
N. H-M : La semaine dernière, Theresa May est allée à Bruxelles pour déjeuner avec Jean-Claude Juncker. Michel Barnier et Donald Tusk au sujet de l’Europe. Point d’achoppement, la frontière entre l’Irlande du Nord et de la République d’Irlande. L’Europe et le Royaume-Uni espéraient un accord mais sans succès. Puis, un accord a été trouvé avant un énième rebondissement. David Davis exige un accord commercial avant de payer les 35 milliards d’euros à l’UE. La confusion règne. Où en est-on aujourd’hui ?
Alexander Seale : Pour bien comprendre cette inertie, il faut regarder en arrière. Après les législatives de juin dernier, Theresa May a gagné d’une courte majorité. Elle a donc dû s’allier avec le Parti unioniste démocrate d’Irlande du nord (DUP), dirigé par Arlene Foster. Les conservateurs avait, alors, remporté 317 sièges et les DUP 10 sièges.
C’est le parti ultra-conservateur de Grande-Bretagne avec des positions anti-LGBT et anti-UE. Il a fait une petite coalisation avec les conservateurs sans entrer au gouvernement.
Ils ont en échange assuré leur soutien lors des votes de confiance, du budget. En quelque sorte, May doit composer avec plusieurs contraintes et sans majorité parlementaire, surtout.
Le DUP se positionne d’ailleurs contre le Brexit…
A. S. : Oui tout à fait. Le DUP veut une rupture nette entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.
La semaine dernière, le gouvernement pensait avoir trouvé un accord avec l’Union européenne.
Surtout, elle a précisé qu’il n’y aurait pas de discussion vis-à-vis de l’Irlande du Nord.
Une déclaration qui provoqué la colère d’Arlene Foster.
May a dû interrompre son déjeuner avec Michel Barnier pour s’entretenir avec la leader du DUP, très remontée contre elle.
La vraie divergence entre DUP et May concernait la frontière de l’Irlande du Nord (appartient au RU) et la République d’Irlande.
Le DUP plaide pour une rupture nette et totale avec le Royaume-Uni. C’est pourquoi, il veut une frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande.
Une idée que Theresa May soutenait au début…
Oui. May était vraiment prête à dire oui. Elle était partisane d’un « hard Brexit ».
Mais, vendredi soir, face à ses interlocuteurs européens, elle a fait un accord à la douce pour sauver sa peau et rester au 10 Downing Street.
Quelles sont les exigences du DUP justement ?
A. S. : La leader DUP n’a pas aimé que May ne la consulte pas. Arlene Foster veut une frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande.
Le Royaume-Uni essaie de trouver une solution mais la question est épineuse. D’autant que cette question réveille les revendications d’autres régions.
Nicola Sturgeon, première ministre d’Ecosse, l’a bien dit. Si l’Irlande a un statut spécial, il faudrait que l’Ecosse l’obtienne, également.
D’ailleurs, l’Ecosse est toujours prête à demander son indépendance en cas de mauvaises négociations.
Tout comme Sadiq Khan qui exige un statut particulier pour Londres. Comme il le répète, « London is opened ».
Le maire de la capitale voudrait que sa ville reste dans le marché unique contrairement à son rival pendant les municipales, qui, lui était pour le Brexit.
David Davis a annoncé que sans accord commercial, la Grande-Bretagne ne paierait pas le divorce. Qu’en pensez-vous ?
A. S. : Theresa May était, à ce moment-là, sous pression car Michel Barnier lui avait donné 48 heures pour finaliser un accord. N’oublions pas qu’il y a une rencontre très importante à Bruxelles, le 15 décembre.
Theresa May y assistera évidemment et doit trouver des soutiens. Or, en interne, la situation est compliquée.
Au Parlement, David Davis ne parvient même pas à répondre clairement aux députés qui lui demande des comptes.
Plusieurs membres des Libdem et du Labour lui demandent des réponses sur l’union douanière et le marché unique.
Mais là encore, il ne peut même pas apporter de réponses. D’ailleurs, il a reconnu que son gouvernement ne disposaient pas des 58 études d’impact du Brexit sur les différents secteurs en Grande-Bretagne qu’il avait assuré avoir réalisé.
Même si la première phase du divorce est conclue, il reste un long chemin périlleux.
Il n’y a donc pas de plan du Royaume-Uni pour préparer sa sortie de l’Union européenne, pourtant souhaitée…
Exactement. Vu les délais très courts, cela est très périlleux pour le pays. Si aucun accord n’est trouvé d’ici le 15 décembre, tous les débats au parlement seront bloqués.
Que ce soit le commerce, l’agriculture, la pêche, l’éducation…Il y a des lois qui ont été votées mais tout risque d’être bloqué.
Le gouvernement est dans une impasse. En tout cas, sans accord, il va s’effondrer.
Jeremy Corbyn, leader du Labour, était à l’origine contre le Brexit. Mais, très vite, il n’a pas donné pas l’impression d’avoir été fer de lance contre le Brexit…
A. S. : Le labour de Corbyn a pris parti, en quelque sorte, pour les conservateurs de May. Il n’a pas été dans l’opposition. Il a été très critiqué à ce sujet.
Certains membres du Labour n’ont pas voté pour son parti, préférant le Libdem.
Comment expliquez-vous le positionnement de Jeremy Corbyn ?
A. S. : C’est un leader du Labour assez faible en termes de posture. Il faut se rappeler qu’il a toujours eu des propos ambigus sur l’Europe. Le Labour doit jouer un rôle d’opposition. Or, concernant le Brexit n’a jamais ce rôle.
Seuls les Verts et le Libdem, même s’ils ne constituent pas une majorité, ils ont représenté l’opposition.
Si, par exemple, Jeremy Corbyn gagnait les élections, ce serait la faillite en Grande-Bretagne au niveau économique pour certains. Il est, certes, proche des gens.
En revanche, beaucoup de banquiers, dont des Français, sont inquiets d’une éventuelle victoire de Corbyn qui signifierait la guerre contre la finance, véritable poumon économique du Royaume-Uni.
Le Labour n’a pas joué son rôle pour s’opposer au Brexit. Quand on écoute Nick Glegg, il tente de faire entendre une voix anti-Brexit.
Mais, c’est difficile. Les Libdem étaient en coalition avec les Torries de David Cameron. Ils n’auraient jamais dû opter pour cette alliance. Un gouvernement de coalition, cela ne fonctionne pas.
Face à cette impasse, des voix comme Tony Blair, John Major ou Nick Clegg plaident pour un deuxième référendum. Est-ce possible de faire marche arrière, selon vous ?
A. S. : Je pense que c’est impossible à moins de futures élections où la question du Brexit sera posée. Pour l’instant, le gouvernement de Theresa May fait la sourde oreille.
Plusieurs politiques ont tenté de plaider contre la sortie de l’UE. Il y a eu des manifestations qui faire stopper le Brexit. Cela n’a pas ouverts de perspectives différentes.
Il y a toujours un duel entre les « brexiteers » et « remainders » ce qui montre que la population est très divisée. Si à Londres, on veut rester, ce n’est pas le cas à Manchester par exemple.
Après en cas d’élections législatives anticipées, le Labour pourrait organiser un second référendum. Reste à voir si l’Union européenne est prête à laisser une seconde chance à la Grande-Bretagne.
Sadiq Khan plaide pour un statut particulier pour Londres. Peut-il encore « sauver » sa ville ?
A. S. : Sadiq Khan veut que Londres reste porteuse d’emplois, un centre financier. Or, des banques commencent à aller à Paris et Francfort.
Et puis, la concurrence est large. Dernièrement, j’ai assisté à une soirée organisée par des entrepreneurs français. Ils essaient d’attirer leurs concitoyens dans d’autres régions comme les Hauts-de-France.
Il y a un vrai travail de lobbying pour que la France tire son épingle du jeu. Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle, l’avait bien senti.
Quand il était candidat, il est venu dire aux Français, revenez en France. En tant que président français, il essaie de défendre l’Europe et les intérêts français.
Cela semble marcher, puisque certains Français songent à revenir en France.
Propos recueillis par Nadia Henni-Moulaï
Alexander Seale, journaliste britannique basé à Londres, correspondant pour MeltingBook.