Oprah Winfrey présidente : Serions-nous tous devenus cinglés?
Notre #Sélection de la presse étrangère. Régulièrement, MeltingBook traduira pour vous en exclusivité des articles publiés par des médias étrangers. Cette semaine, une tribune publiée par Mehdi Hasan, éminent journaliste britannique, dans The Intercept.
“Oprah Winfrey for President: Have We All Gone Bonkers?” – my new column for @theintercept:https://t.co/MaCXF6hPXn#oprah #Oprah2020
— Mehdi Hasan (@mehdirhasan) 8 janvier 2018
Dimanche soir, #Oprah2020 commençait à monter sur Twitter après qu’Oprah Winfrey ai livré un vibrant discours contre la misogynie et le racisme, lors de la cérémonie des Golden Globes.
Si Oprah Winfrey a toujours écarté l’idée de briguer toute fonction officielle, son compagnon de longue date, Stedman Graham a déclaré au Los Angeles Times :
« Elle le ferait, c’est clair » pendant que CNN rapporte qu’Oprah Winfrey « songe sérieusement » à la course à la présidence.
Est-ce qu’Oprah 2020 est réellement une chose à prendre au sérieux ? Est-ce que les gens considèrent, réellement cette animatrice de talk-show devenue magnat des médias comme une candidate sérieuse pour se mesurer à son célèbre concitoyen milliardaire Donald Trump, dans trois ans ?
“Je ne sais absolument pas si Oprah ferait une bon candidate ou président », écrivait Jon Favreau, auteur des discours d’Obama, « mais la discréditer sous prétexte que Trump est une célébrité aussi semble irréfléchi”.
Vraiment ? Je suis assez vieux pour me souvenir d’une époque durant laquelle les Libéraux se souciaient de l’expérience, des qualifications et des compétences ; quand les Démocrates ont raillé l’idée que Trump, une ancienne star de téléréalité et promoteur immobilier incapable de faire la différence entre le Hamas et le Hezbollah, puisse se présenter aux élections présidentielles.
Lors de la campagne, l’ancien président Barack Obama a moqué Trump pour son « exceptionnelle incompétence », manquant des « connaissances de base » et « vraiment pas préparé » pour occuper le job poste de commandant en chef.
Dans un contraste saisissant, il affirmait qu’il « n’y avait a jamais eu eu d’homme ou de femme plus qualifié qu’Hillary Clinton pour exercer la fonction présidentielle aux Etats-Unis ».
D’ailleurs, Clinton avait qualifié Trump d’« incompétent » pendant qu’une tribune libre de l’équipe du New York Times intitulée « Pourquoi Donald Trump ne devrait pas être président », soulignait le fait qu’il «n’avait aucune expérience dans la sécurité intérieure ».
Trois jours après l’élection, Vox sortait un papier titré : « Donald Trump est le seul président américain jamais élu n’ayant aucune expérience politique ou militaire ».
Et bien, chers Libéraux et Démocrates, devinez quoi ? La présidente Oprah Winfrey serait la seconde ! Est-ce vraiment là, ce qu’une majorité d’Américains souhaitent ou ce dont le gouvernement des Etats-Unis a besoin ?
Une autre célébrité qui n’y connait rien, détentrice des codes nucléaires ? Un autre magnat milliardaire, qui n’aime pas payer ses impôts, en charge de l’économie ?
Et comment ne pas y voir toute l’hypocrisie des Démocrates qui consiste à présenter une candidate, non qualifiée et inexpérimentée aux élections présidentielles de 2020, compte tenu de tout ce qu’ils ont dit au sujet de Trump en 2016 ?
On vous l’accorde, Oprah n’est pas une égocentrique déchaînée ou une raciste ; elle n’a pas de liens avec les suprémacistes blancs, n’est pas accusée de collusion avec un gouvernement étranger et n’a pas été surprise dans une vidéo, en pleine agression sexuelle.
Oprah ferait certainement une meilleure présidente, plus intelligente et plus stable que Trump, dans l’absolu. C’est bien beau tout cela, bien sûr, mais c’est mettre la barre bien bas, très bas.
Comme Christina Wilkie, exprimant une divergence rare sur Twitter, le résume : « j’aime regarder Oprah parler de choses inspirantes à la télévision. Mais, j’aime aussi voir des personnes qui ont une expérience politique être élus aux affaires publiques ».
Qu’en est-il de l’ancien acteur d’Hollywood, Ronald Reagan, que certains supporters d’Oprah peuvent brandir ?
Le Gipper (surnom), néanmoins, fut aussi, deux fois gouverneur de Californie.
Obama, également, a été accusé d’être un poids plume en politique quand il devint candidat à l’élection présidentielle.
Or, il était un sénateur en exercice, un ancien professeur de droit constitutionnel et l’auteur de deux ouvrages sur les politiciens et la politique, applaudis par la critique.
Même l’ignorant Georges W.Bush avait remporté deux élections pour être gouverneur au Texas avant de se lancer dans la bataille des présidentielles de 2000.
Avant Trump, les seuls présidents à n’avoir jamais occupé de fonctions publiques avant d’être élus à la Maison Blanche étaient Zachary Taylor, Ulysses S. Grant, et Dwight Eisenhower.
Le premier gagna la guerre mexico-américaine ; le second, la Guerre civile et le troisième, la Seconde Guerre Mondiale.
Est-ce qu’Oprah a quelque chose de comparable sur son CV qui puisse se comparer à cela ?
Est-ce que l’émotion télévisuelle ou le fait de distribuer des voitures gratuites même si, admettons le, cela renvoie à un empire média valant des milliards, construit en partant de rien- peut réellement remplacer une expérience militaire ou politique ?
Est-ce que la culture politique s’est dégradée à ce point ? Suis-je élitiste ? Peut-être.
Mais quel est le problème avec le fait de vouloir des personnes ayant de l’esprit, de l’expérience et des qualifications pour occuper l’un des postes les plus importants ?
Comme une célébrité libérale semblable à Oprah, Jon Stewart, l’a dit une fois : « Non seulement, je veux un président d’élite mais je veux quelqu’un qui est supérieur à moi, de manière presque insolente, quelqu’un qui parle 16 langues et dort deux heures par nuit la tête à l’envers dans une assemblée…»
Bien sûr, les fans d’Oprah peuvent argumenter qu’elle pourrait s’entourer de cerveaux. Mais n’est-ce pas le même argument brandi par les supporters de Trump ?
Voulons- nous vraiment un autre président se référant à des généraux illégitimes et à Goldman Sachs ?
Et nous pensons qu’une animatrice de talk-show qui promouvait la carrière de charlatans comme Dr Phil et Dr Oz, donnant une tribune à des actrices farouchement opposées à la science Jenny McCarthy et Suzanne Somers, est capable de constuire une équipe de rivaux à la façon d’un Lincoln ?
Une ligue de justiciers politique et économique ? Allons bon. Fran-che-ment ! Faut arrêter !
Pour être clair: je ne dis pas qu’Oprah ne peut pas être ou ne sera pas présidente. Les sondages sont faits pour les dupes, et Trump a prouvé que tout est possible.
Les supporters d’Oprah- à juste titre – peuvent montrer du doigt toutes les fois où elle s’est levée contre le racisme et la misogynie, sans compter son éloquence ou son parcours.
Ses archives sur l’Irak sont bien meilleures que celles de Clinton ; une fois, elle a même présenté une émission sur la couverture de santé universelle, avec Michael Moore.
“Cela pourrait même paraître un acte de justice divine si Trump, héros des suprémacistes blancs et des néo-Nazis, était remplacé par une femme noire aussi forte.
Les critiques sur Oprah Winfrey – à juste titre également- peuvent relever ses accointances avec des multinationales et sa place comme « l’une des meilleurs égéries mondiales du néolibéralisme ».
Ils pourraient aussi s’interroger sur : « les positions d’Oprah sur les attaques de drones au Pakistan ?
Sur le soutien apporté à l’Arabie-Saoudite dans sa guerre contre le Yémen ?
Sur la régulation du commerce mondiale ? Sur le système public? Sur la réforme fiscale ? A-t-elle un plan pour la paix au Moyen-Orient ?
Est-ce qu’une personne, qui paraissait surprise, une fois, de voir des Indiens encore manger avec leurs mains, peut désamorcer la crise nucléaire dans le sous-continent indien ?
Pourtant, nous devons aller au-delà d’un listing des « pour » et « contre » la présidence d’Oprah -je ne peux pas croire que j’écris ces lignes- et poser des questions plus larges : A quel point la culture de la célébrité aux Etats-Unis porte préjudice à la politique ?
Pourquoi les idéologies ou même les idées ne semblent plus compter ? Les progressistes ne devraient-ils pas défendre les vertus du gouvernement et de l’action collective, d’où, l’importance d’élire des personnes compétentes, expérimentée et avec un haut niveau d’expertise dans les postes à responsabilités ?
Ne devraient-ils pas plutôt souligner que des stars de télévision milliardaires n’ont rien à faire dans la course à la présidence, aboutissant à exercer le boulot le plus puissant de la planète, qu’il soit un homme orange appelé Trump ou une femme noire nommée Oprah Winfrey ?
Certains commentateurs ont suggéré que les Démocrates ne peuvent gagner sans un candidat-célébrité comme Oprah en 2020.
« Si vous avez besoin d’un voleur pour attraper un voleur… », écrivait le néoconservateur John Podhoretz, dans une tribune parue dans le New York Post en septembre 2017, retweeté par Oprah Winfrey elle-même, « …vous avez besoin d’une star- immense, énorme, courageuse que Trump ne peut impressionner et à qui il ne peut faire de l’ombre- pour attraper une star ».
Mais ce n’est simplement pas vrai. En août 2017, le Public Policy Polling annonçait que Trump était talonné par Joe Biden (à 15 points), Bernie Sanders (14 points), Elizabeth Warren (7 points), Cory Booker (5 points) et Kamala Harris (1 point) dans la perspective du duel pour 2020.
Le mois dernier, un sondage NBC/Wall Street Journal poll, avançait que Trump perdrait face à un « candidat démocrate-lambda » en 2020, de 16 points.
Si cinq sénateurs et un candidat démocrate lambda peuvent battre ce président républicain pourquoi cette excitation autour d’une animatrice de télévision ? Et pourquoi s’arrêter à Oprah Winfrey ? Qu’en est-il de Mark Zuckerberg ? Mark Cuban ? Dwayne ‘The Rock’ Johnson? Kanye? Jusqu’où va t-on aller comme cela ?
La réponse des Libéraux à la montée de Trump ne peut pas et ne devrait pas être : « Trouvons notre plus grande, notre meilleure version de Donald ».
Comme l’éditorialiste Emily Arrowood l’a écrit en mai 2016 : “Que Trump soit parfaitement incompétent pour la fonction serait vrai fut-il monsieur Gentil, une personne aimée de tous, dotée des aspirations de Jimmy Steward dans le film « Mr. Smith va à Washington”.
L’ironie est qu’Oprah Winfrey pourrait, en fait, être madame Gentille. Pour autant, elle reste “parfaitement incompétente” comme Trump. Ressaisissons-nous les amis !
Mehdi Hasan pour The Intercept