Parcoursup: “Il y a une notion complètement biaisée de l’égalité”
À quelques jours des épreuves du bac, trois-quarts des élèves ont obtenu au moins une réponse positive de Parcoursup. Pourtant, le nouvel algorithme laisse des milliers d’entre eux en marge. À commencer par les futurs bacheliers basés en banlieue. Peter Gumbel, journaliste britannique, revient sur les enjeux de la sélection à l’université. Des enjeux qui échappent toujours à l’Éducation nationale.
Regarder la France avec des lunettes extérieures. C’est ce que réussit à faire Peter Gumbel, journaliste anglophone installé à Paris. Parmi ses ouvrages autour de l’éducation, Elite academy (Denoël), paru en 2013, est probablement l’un des plus éclairants sur le système français.
Dans une enquête, où il raconte aussi son expérience, il étrille les élites françaises, dont les grandes écoles en sont une émanation. Selon lui, “elles (ces élites, ndlr) n’ont pas été formées pour réussir dans le monde mais dans le centre de Paris”.
À coup de données chiffrées, l’auteur démontre comment le système éducatif français permet aux plus privilégiés d’en cueillir les fruits, à l’inverse des moins favorisés. Un système qui laisse peu de place à l’originalité ou à la créativité, contrairement aux écoles américaines. La culture du débat, précieuse pour le développement de soi, y est, par exemple, une pierre angulaire, ce qui est moins vrai dans les écoles françaises, sanctuaires du conformisme. Une lecture salvatrice pour qui veut comprendre pourquoi “La France est malade de ses grandes écoles”.
Nadia-H.Moulaï: Selon Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, sur dimanche sur BFM politique, « Parcoursup marche en réalité mieux que ce que l’on avait dit ». Qu’en pensez-vous ?
Peter Gumbel: Je ne veux pas juger trop vite. Mais, j’ai eu des retours qui confirment que le système Parcoursup a mal fonctionné. Même dans les bons lycées, il y a des élèves qui n’ont pas eu les réponses attendues.
Au-delà de Parcoursup, il est clair que l’outil s’inscrit dans ce mouvement de plus en plus tourné vers un système de sélection élitiste.
Aujourd’hui, le système actuel est source d’un gâchis total pour les étudiants. En gros, on accepte tout le monde pour mieux les éjecter après la première année.
C’est tout le paradoxe du système français. A l’étranger, la sélection se base certes sur la note mais aussi le dossier. Cela donne plus de clarté au système.
N.H-M: Cette absence de transparence n’est-elle pas une façon d’écarter ceux dont le profil ne correspond pas aux canons de l’élitisme ?
P.G: En tout cas, si les politiques voulaient aller chercher les étudiants de banlieue pour les intégrer dans des universités prestigieuses, ils le feraient. Or, il n’y a pas de volonté de construire une sélection positive.
Que ce soit Harvard, aux Etats-Unis, ou à Oxford, au Royaume-Uni, il y a une prise conscience. Celle de la nécessité d’avoir des universités qui soient des miroirs de la société avec des étudiants de tous les horizons, pas toujours les mêmes.
Il faudrait, alors, ouvrir des bureaux d’admission dans chaque université, mener une politique claire et dédier des budgets. Cela permettrait d’évaluer le potentiel de chaque étudiant.
N.H-M: L’idée de « sélection » à l’université créé souvent des débats. Mais ce n’est pas le problème, selon vous…
P.G: Oui. Quand il n’y a pas de sélection à l’université, cela induit l’absence de suivi des étudiants. La première année à l’université, les taux d’échecs atteignent des sommets. Le système universitaire n’aidant pas à réussir.
A ce titre, la réponse Parcoursup parait vraiment partielle. Il faut repenser toute la sélection à l’entrée. Il s’agit d’un vrai tabou français.
N.H-M: C’est-à-dire ?
P.G: Mes propos ne sont pas politiquement corrects. Mais, au nom de l’égalité à la française, on refuse la sélection à l’entrée de la fac. Or, elle est faite, tacitement, à la fin de la première année. L’instaurer permettrait à chacun de mieux trouver sa place et de rendre le système plus performant.
N.H-M: La question dépasse, donc, Parcoursup ?
P.G: Oui. Si l’on fait un parallèle avec les filières professionnelles, c’est parlant. Par exemple, 45% des Bac pro abandonnent l’université après la première année. C’est une honte.
Même si l’on est admis, la fac ne vous aide pas à réussir. Pourquoi ne pas dire : « on accepte la sélection mais on va tout faire pour que les admis réussissent » ? Et pour ne pas laisser les autres sur le carreau, cela suppose d’avoir beaucoup de filières.
N.H-M: En même temps, l’université française est plus accessible qu’ailleurs…
P.G: Aux Etats-Unis, il y a des sélections nettes mais aussi des voies alternatives avec des cycles plus courts. Au lieu de 4 ans, vous pouvez faire 2 ans d’études, avoir un job en parallèle et revenir dans le système universitaire si vous avez réussi.
En Europe, en Allemagne, par exemple, on a des facultés peu couteuses qui s’appuient sur une sélection pour faire réussir les élèves. En France, la fac est ouverte à tous mais elle génère un vrai gâchis pour les jeunes et les pouvoirs publics.
N.H-M: Finalement, ce système laisse penser que l’Etat, la République ont fait le travail, celui d’emmener la jeunesse à l’université. En réalité, ils creusent les inégalités ?
P.G: Il y a une notion complètement biaisée de l’égalité. On ne dit pas que tout le monde est capable de faire médecine. Mais, faire entrer tout le monde en faculté et exclure 80% des effectifs, à la fin de la première année, c’est totalement insensé.
Il y a des possibilités pour tout le monde, à condition, d’accompagner les jeunes après le bac. On sait que les étudiants installés en banlieue partent avec des désavantages par rapport à ceux du centre de Paris. Il faut donc revoir le système pour que tous puissent trouver leur place.
Sans sélection à l’université, seule une minorité réussie. Cela creuse les inégalités sociales.
N.H-M: Vous appelez à revoir le système. Au-delà de l’université, quel chantier vous semble t-il essentiel de mener ?
P.G: Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, a commencé à revoir tout le système de la formation professionnelle. Je pense que c’est une très bonne chose.
Mais, aujourd’hui, il est nécessaire de réformer, de valoriser, la filière professionnelle. Les bac pro, s’ils sont revalorisés, peuvent aboutir à une qualification pour réussir à l’université.
Si l’on améliore cela, on pourra réduire la pression qui s’exerce sur les facs.
Propos recueillis par Nadia Henni-Moulaï
Crédit Photo :© Capture d’écran site Parcoursup de l’Education nationale.