Benalla-Macron. “Cela fait penser à Trump ou à Poutine, c’est inquiétant pour la France”
Critique du journalisme, fake news, stratégies politiques, violences policières… Alexander Seale, notre correspondant à Londres, revient sur l’affaire Benalla-Macron vue d’Outre-Manche. Pour lui, trop de questions restent en suspens.
Nadia Henni Moulaï : Comment l’affaire Alexandre Benalla est-elle vue en Angleterre ?
Alexander Seale : Chaque jour, il y a un rebondissement. En Angleterre, ce sont surtout les journalistes qui la suivent avec la BBC world service pour apprendre ce qu’il se passe. Les Anglais étaient passionnées par l’élection présidentielle française. Mais, l’affaire Benalla c’est différent. Ce sont les gros titres qui analysent l’affaire.
The Guardian, journal plutôt de gauche, parle de scandale d’Etat. Emmanuel Macron a été élu pour changer la vie politique française et moraliser sa vie politique. The Guardian se demande où est passée cette transparence. Le journal se dit donc très déçu.
Chez The Independent, on parle d’Alexandre Benalla et de Vincent Crase comme de « voyous ». On dit aussi que si les gardes du corps de Macron tabassent des manifestants, cela veut dire que la sécurité de l’Etat est hors de contrôle.
The Telegraph, un journal conservateur, a moqué la France en disant : en Angleterre, il y a une canicule mais en France, il y a des grèves, il y a l’affaire Benalla, Macron est en berne dans les sondages. Mais au final, les journaux britanniques parlent beaucoup de brutalités policières.
N. H-M : Est-ce que l’on parle d’affaire d’Etat ?
A. S. : Oui, cela est une affaire d’Etat. Elle pose quelques problèmes à Emmanuel Macron. C’était son garde du corps. Un magazine de droite a publié un article en se demandant si les Français auront oublié cette affaire d’ici les européennes. Pour le magazine, Macron est entouré de spin-doctors qui sont très intelligents, capables de résoudre de tels scandales. A noter, si les journaux britanniques ne parlent pas des enquêtes en cours, ils suivent surtout l’évolution de la situation pour le président de la République. D’ailleurs, il n’y pas de live autour des auditions et de la commission d’enquête. Mais, pour les observateurs britanniques, il s’agit bien d’un scandale d’Etat qu’Emmanuel Macron doit affronter.
N. H-M : En tant que journaliste très au fait de l’actualité française, est ce qu’il s’agit de l’affaire Macron ou de l’affaire Benalla ?
A. S. : J’ai longtemps vécu à Paris avant d’être en Grande-Bretagne, je pense que c’est une affaire très sérieuse. La commission d’enquête a été mise en place très rapidement. Pour autant, on ne sait pas qui dit la vérité ou pas. Plusieurs députés ont quitté la commission accusant les députés LREM d’étouffer l’affaire. Tout laisse penser qu’Emmanuel Macron a certainement des choses à cacher. Son mouvement est très nouveau, il n’a pas une grande expérience.
N. H-M : Et donc il peine à tenir ses troupes…
A. S. : A chaque affaire, Emmanuel Macron et son équipe ont toujours réagi efficacement. Or, après les révélations du Monde, il a attendu cinq jours avant de s’exprimer, il a même annulé son déplacement au Tour de France. Pour un président de la République, c’est grave. C’est l’affaire Benalla-Macron selon moi car elle dit beaucoup du président des Français.
N. H-M : S’agit-il d’un tournant pour la présidence Macron ?
A. S. : C’est la plus grande crise du quinquennat pour l’instant. Après, est-ce que les Français vont oublier avec l’été ? Nous verrons bien dans quelques mois mais je pense que ce sera difficile. Beaucoup de questions restent en suspens. Il faut être prudent mais Emmanuel Macron devrait parler à la télévision, pas devant un parterre de députés convaincus. Nicolas Sarkozy ou François Hollande ont toujours pris la parole lors de crises, à la télévision ou face à la presse. Macron doit parler honnêtement devant les Français.
N. H-M : Vous pointez aussi comme cette affaire révèle le rapport de Macron à la presse…
A. S. : Oui, il a critiqué le rôle du journalisme alors qu’il a voulu faire une loi sur le fake news. On ne peut s’empêcher de penser à Trump ou à Poutine. C’est inquiétant pour la France. Human Rights Watch a lancé une question à ce sujet.
N. H-M : Y aura-t-il ou non un avant/après affaire Benalla ?
A. S. : Cela va laisser une trace selon moi. On est presque début août. De plus, les chiffres du chômage sont en légère hausse donc tout cela n’est pas positif pour lui.
J’ai vu les récents tweets d’Emmanuel Macron. Et si l’on lit les commentaires en réponses, c’est très insultants. Les gens veulent qu’il soit honnête et qu’il explique pourquoi il a autant protégé Alexandre Benalla. C’est la question que tout le monde se pose.
Propos recueillis par Nadia Henni-Moulaï