À l’école, trop de violence et pas assez d’amour
[#Éducation]
Dans un billet publié Un Prof sur le Front (Politis.fr), Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géographie revient sur l’affaire du lycéen qui braque une arme factice sur son enseignante. Une violence qui cache un mal bien plus profond.
L’affaire du lycéen qui a braqué une arme factice sur son enseignante à Créteil a déclenché une réaction importante de la communauté enseignante notamment avec le hashtag #PasDeVague sur Twitter. La récupération politique de cette affaire tant par l’extrême droite que par le gouvernement ne laisse rien présager de bon. En proposant plus d’autorité et moins de moyens humains, on ne résoudra rien.
Notre profession est difficile, je ne peux nier que pour certains c’est même une souffrance. Combien de profs en larmes, se remettent en cause après une journée éprouvante ? Combien de démissions, de dépression ? Nul ne peut être épargné par les montées soudaines de colère d’adolescents souvent perdus.
Oui, il y a de la violence mais je ne crois pas qu’elle soit plus massive qu’avant, elle est surtout plus médiatisée. Pas de caméras, pas de réseaux sociaux dans les année 90. Oui l’institution appelle à faire le moins de vague possible quand cela arrive mais ce grand déballage #PasDeVague est contre productif. Car c’est du pain bénit pour les récupérateurs de tous bords, y compris nos dirigeants, qui proposeront des petits pansements pour cicatriser une plaie immense. On en oublie ainsi les causes du mal et il est profond.
Envoyer des policiers ou des retraités de l’armée pour gérer la sécurité ? Quel échec !
Violence dans le recrutement des profs
La plus grande violence, celle qui ne fera pas la une des médias, ce sont les 2 600 enseignants en moins dans le secondaire pour 2019. Une grève nationale dans les collèges et les lycées est prévue pour le 12 novembre.
De facto, ce seront des classes plus chargées. Ce seront aussi des professeurs contractuels que l’on appellera au pied levé pour faire face aux aléas car les effectifs d’enseignants sont à flux tendus. Et où retrouve t-on le plus ces contractuels ? Dans les établissements de banlieue pauvre, là où il faudrait justement des professeurs chevronnés.
On recrute moins au Capes et on dévalorise ainsi l’investissement d’étudiants tout en les recrutant une fois qu’ils ont échoué au concours. Ceux qui réussissent l’écrit mais ne passent pas le cap de l’oral sont souvent sollicités par les rectorats au lendemain de leur échec mais avec des contrats précaires. Certains abandonneront ensuite l’idée d’être titulaire, faute de temps et de motivation.
Violence du système qui exclut les élèves
Nos élèves ont besoin d’amour, d’attention, de bienveillance. Tant pis si cette phrase me fait passer pour un bisounours. Voilà ce que j’en ai déduit après avoir passé deux ans à coordonner une structure pour décrocheurs scolaires. Dispositif né d’un partenariat entre l’éducation nationale et des acteurs de différents horizons, il avait pour objectif d’aider des élèves à se réinsérer scolairement. Ces adolescents âgés entre 13 et 15 ans étaient pour la plupart exclus définitivement de leur établissement.
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Je venais à la fin de leur conseil de discipline pour leur proposer de s’y engager un mois avant leur nouvelle affectation. La gorge nouée, j’avais comme l’impression d’être à la sortie d’une cour d’assises. Ces conseils de discipline, ce sont des tribunaux, ceux devant lesquels certains s’étaient déjà présentés ou se présenteront malheureusement après leur sortie rapide du système scolaire. La sentence de l’exclusion définitive équivaut à de la prison ferme. Quand elle retentit, cette peine fait mal à tout le monde.
Les larmes des mères, le regard bas des pères ou des grands frères/sœurs qui sortent d’une salle chargée en tension, les professeurs chamboulés par la violence de ce jugement où l’on passe en revue l’itinéraire souvent chaotique des élèves et de leurs familles. Une bonne moitié des élèves accueillis dans la structure étaient suivis par l’aide sociale à l’enfance ou la protection judiciaire de la jeunesse. En les excluant à répétition, l’Éducation nationale ne fait qu’amplifier leur marginalisation. Cela ne résoudra pas leur problème, de violence notamment.
Que l’on ne s’y trompe pas, l’école est perçue par beaucoup d’entre eux comme le prolongement direct de ce qu’ils vivent dans leurs quartiers, le même déclassement, la même autorité ressentie comme injuste.
On ne nous aime pas et on leur rend bien !
Voilà ce que me disaient en substance des élèves qui enfilaient les établissements comme les perles sur un collier. Pourtant, il faut prendre le temps de les découvrir, de constater leur potentiel, de les apprécier pour les aider. Impossible de faire cela dans une classe de 30 élèves. Ils n’étaient que 4 ou 5 dans le dispositif, ça aide.
Les cours les plus prolifiques sont ceux où les effectifs sont réduits, où l’on peut se pencher vers un élève, le guider, le conseiller. Ces classes de 12 élèves en CP et en CE1 dans les réseaux d’éducation prioritaire, mesure phare du quinquennat, fonctionnent bien. Ce n’est pas un hasard. Mais cela ne doit pas se faire au détriment du secondaire.
Dans ce dispositif contre le décrochage scolaire, on leur a donc proposé de manière détournée d’apprendre en prenant en compte leur difficulté. On les a aussi fait parler dans des groupes de parole, au théâtre, chez le psychologue. Ils ont même eu affaire à la justice de manière plus apaisée avec le délégué du procureur. Parler, vider toute cette frustration et éviter ainsi de recourir à la violence physique. Mais autant d’adultes pour si peu d’élèves ça coûte cher. Pourtant, quel investissement sur le long terme !
Violence de l’orientation
La violence à l’école, c’est aussi cette compétition perpétuelle de la primaire à l’université, où on fait comprendre à ces élèves qu’ils n’ont pas le niveau. On les envoie ensuite en fin de troisième dans des formations professionnelles qu’ils n’ont pas choisies pour la plupart (formation professionnelle qui mériterait d’ailleurs une meilleure reconnaissance de la société tout entière). Ces secondes professionnelles offrent peu de mixité (de genre mais aussi d’origine) contrairement à celles des lycées généraux et technologiques et leurs « secondes normales » comme certains les appellent. Eux ne sont donc pas dans la norme… C’est pour beaucoup une punition, des sortes d’antichambre d’un échec programmé.
La violence c’est aussi Parcoursup qui offre aux « moins bons » un projet de vie qu’ils n’ont pas forcément choisi. On appelle ça la société du mérite… Il a bon dos le mérite.
Notre école est donc, à l’image de notre société, violente. Dans les banlieues pauvres les inégalités étant plus grandes, les frustrations et les violences le sont aussi.
Violence de l’institution
Pour conclure, la plus grande violence subie dans mon collège de banlieue, ce n’est pas celle de mes élèves mais bien c’est celle de l’institution quand on nous a enlevé notre Réseau d’éducation prioritaire en 2014. On a réduit tout notre travail à des statistiques et des arrangements politiciens. 200 réseaux d’éducation prioritaire en moins cette année-là. On coûtait trop cher. Il faudrait que les enseignants se sentent respectés, écoutés. Notre mission est noble mais la société ne s’en rend plus compte, pire, on nous envie sans vouloir pour autant notre place.
Nos élèves ont besoin d’être en petits effectifs, suivis par des professeurs expérimentés, d’avoir un.e infirmièr.e, des conseillèr.e.s d’orientation, des assistant.e.s sociales, des AVS qui suivent sur le long terme les élèves qui en ont besoin, des assistant.e.s d’éducation, des psychologues… Mais ça coûte cher.
Au lieu de ça, le nombre d’élèves par classe gonfle et on nous demande de colmater des brèches que l’institution a elle même provoquées. Brèches qui génèrent cette violence que l’on cible aujourd’hui avec ces faits divers alors qu’elle n’est qu’une conséquence de cette politique du chiffre dictée par les financiers.
Une politique violente et sans amour qui nous coûte cher au final.
Jean-Riad Kechaou
©Photo de Une : Capture du film La Haine.