Pas de Printemps pour les Gilets jaunes ?
Cyril Garcia, historien, spécialiste du Maghreb et du Proche-Orient, livre une analyse sur les Gilets jaunes à partir du Printemps arabe.
En 2011 et 2012, nos regards se sont tournés vers les pays d’Afrique du Nord et du Maghreb (Tunisie, Egypte, Libye, etc.) où des révoltes populaires firent tomber des régimes au pouvoir depuis parfois plus de cinquante ans.
L’Algérie s’était déjà embrasée en 1988 avec des émeutes urbaines. Le président Chadli Bendjedid avait calmé le jeu en démocratisant la constitution… puis ce fut le FIS, la guerre civile et aujourd’hui une démocratie paralysée.
Corruption, chômage, absence de démocratie et régime répressif… Sidi Bouzid, en Tunisie, symbole du martyr de Mohamed Bouazizi, qui s’immole par le feu, le 17 décembre 2010, après avoir été humilié par un agent municipal.
De Place Tahrir
La place Tahrir au Caire (Egypte) devint à plusieurs reprises le symbole de la Liberté dans tout le monde arabe où des milliers de personnes affrontèrent l’armée, avec souvent l’appui des Occidentaux.
Tahrir était devenue « Une place de la Bastille» orientale. La Syrie connaît, de son coté, un printemps sans fin et personne ne sait aujourd’hui quand les oiseaux pourront recommencer à chanter. Ni quel air…
De notre côté, les « Gilets jaunes » battent le pavé. On peut penser que ces deux séries n’ont rien à voir avec le printemps arabe mais se battre pour plus de justice est un combat universel, et ce, quelque soit le versant de la Méditerranée.
Bien entendu, la France d’Emmanuel Macron n’est pas l’Egypte de Moubarak ou la Tunisie de Ben Ali. Il n’y a pas 25 % de chômeurs comme en Tunisie. Ni 1 million d’enfants mendiant comme dans les rues du Caire.
Les violences policières, les fumigènes, les coups de matraque, lamentables, de notre police républicaine-à bout de souffle elle aussi- ne peut être comparée avec la terrible Mukhabarat, la police spéciale égyptienne.
Seulement dans un contexte européen de pays développés, cet « automne » français a des côtés bien printaniers.
« Notre » France est, également, un pays à bout depuis de trop longues décennies.
Les Français demeurent les plus imposés d’Europe. Les retraites sont de plus en plus faibles. Le chômage l’un des plus hauts des pays développés. Et l’abstention est, depuis très longtemps le premier parti de France, dans un pays qui vota un « Blum » en 36 quand ses voisins viraient au « brun ».
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La fermeture de nombreux services publics dans les campagnes (bureaux de postes…) une école à deux vitesses et le sentiment d’être de moins en moins compris voir méprisé par nos gouvernants.
Provoquer « les gaulois réfractaires », c’est oublier notre inconscient révolutionnaire. Erreur de débutant sans profondeur historique. Le dépucelage politique à la barricade. Comment se gargariser d’un régime qui envoie au pouvoir un homme élu avec près de 60 % d’abstention ?
Alors quand une énième taxe sur le gazole est apparue, l’annonce a fait l’objet d’une véritable bombe. Dans un pays, ou des millions de personnes en province sont obligées de conduire pour travailler, faire ses courses et tout simplement « vivre », quelle mouche a piqué le gouvernement ?
Les travaux du géographe Christophe Guilluy ont bien montré lors de la présidence de Nicolas Sarkozy à quel point les zones périurbaines recouvraient à la fois l’emploi du secteur secondaire mais aussi les couches plus fragilisées, loin des studios de Canal+ ou de BFM.
A l’instar des Printemps arabes, c’est de « Facebook » qu’est venu le cri de ralliement. Comme en Egypte et dans une moindre mesure en Tunisie, les partis d’opposition et les syndicats n’ont joué qu’un rôle très secondaire dans la structuration du mouvement.
Alors « Automne Français » ?
Elargie à l’Europe, la comparaison n’est pas absurde. Ce n’est pas dans les « si » consensuelles contrées de Scandinavie ou d’Allemagne qu’un tel évènement se produirait.
Et lorsque les mineurs britanniques se mirent en grève, les classes moyennes ne bougèrent pas d’une oreille et votèrent de nouveau pour la dame de Fer. Seule, l’Italie de Grillo et Saviani peuvent éventuellement ravir la comparaison dans le rejet des élites traditionnelles… et « encore » puisque tout s’est effectué de manière organisée par le vote.
A Paris comme en province, on trouve de tout: des jeunes salariés, des retraités, des petits fonctionnaires, des petits patrons… De la même manière qu’au Caire et à Tunis, les marchands des souks côtoyaient des dockers, des jeunes chômeurs, ces fameux « piliers de murs ».
Un peuple dans toute sa diversité sociale uni et fier. La « Marseillaise » autour du Soldat inconnu en fut le plus beau symbole.
Excepté l’éternel parasitage des groupuscules d’extrême-droite ou d’extrême-gauche, les slogans sont totalement sociaux et égalitaires. Pacifique pour le noyau dur. Aucun appel au meurtre, ni discours antirépublicains. Bien au contraire. Un appel « drapeau tricolore » en main pour plus d’égalité et de fraternité comme en 36 !
C’est ce qui nous différencie de nos «voisins arabes». Le poids du « fascisme » dans les foules. Qu’il soit brun ou vert. Ce que tout le monde savait en dehors des naïfs et des cyniques dans la presse française. Les groupuscules islamistes « tendance » Frères musulmans avaient noyauté l’opposition.
L’entrisme, cette pratique pensée par l’intellectuel le plus influent du mouvement fondé à Ismaila en 1928, l’économiste Sayyid Qubt, pendu en 1966 par le régime de Nasser. Une méthode qui porta ses fruits avec la prise du pouvoir par Morsi en Egypte.
Quid de nos leaders d’opinions ?
Le fameux paradoxe français pour plagier l’historien israélien Simon Epstein: «Révolutionnaire à Tunis, Réactionnaire à Paris ».
On aurait espéré naïvement, que la presse et les intellectuels ayant soutenu avec le plus de vigueur les « Printemps arabes » auraient sauté le pas en France avec le même romantisme révolutionnaire.
Faire corps avec son peuple. Après tout, le Printemps des peuples de 1848 était né dans l’Hexagone, avant de se propager à l’Italie, la Pologne ! Et bien pas du tout !
Pour un Emmanuel Todd, auteur d’ «Allah n’y est pour rien» prophétisant les Révolutions arabes, retrouvant son « patriotisme » avec les Gilets jaunes, combien de Bernard-Henri Lévy et de Romain Goupil pourfendant ces « Beaufs conservateurs » en « Gilet jaune », de cette « France rance » ?
L’éternel héraut de l’idéologie française n’hésite pas dans un tweet à accuser les Gilets jaunes de casser le contrat social en France.
La presse de gauche n’y a pas été de main morte, elle, non plus. Une révolte populaire noyautée d’islamistes oui, une révolte civique attaqué par des nervis incontrôlables, non. Allez comprendre…
Toutes ces « bonnes âmes » ont pourtant un lourd passif. Qui se souvient de Romain Goupil soutenant Bush lors de sa croisade irakienne ou de l’atomisation de la Libye « façon puzzle » grâce au lobbying de Bernard-Henri Lévy auprès du président Sarkozy ? Deux interventions contre la tyrannie et pour la Liberté bien sûr…
Le désordre chez les autres, l’ordre à la maison.
Tel semble être le leitmotiv idéologique de ces petits « Gustave Hervé ». Hier trotskiste ou maoïste. Aujourd’hui, néo-conservateur.
Heureusement pour les Gilets jaunes, ce que l’on accepterait pas d’un plombier ou d’un facteur, c’est que ces petits marquis se sont toujours trompés.
L’automne sera-t-il un beau « printemps » vers une France fidèle à ses valeurs ? Réponse dès cet hiver ! Avec plein d’espoir : « Inch’allah » !
Photo de Une : © Chris Belsten : In memory of Mohammed Bouazizi. The artists having just put the finishing touches to this marvellous portrait, on Avenue Bourguiba.