Achraf Ajraoui, cinéaste génération Do It Yourself
[#Portrait]
Le synopsis promet. « Karim, la trentaine, est rappeur. En attendant de signer avec un label qui lancera sa carrière, il distribue le journal gratuit à la sortie du métro. Un matin, il croise son ex. »…la honte.
Même pour les non arabophones, le terme est bien connu. Les héritiers de l’immigration, d’origine maghrébine connaissent bien : le terme est presque transmis de génération en génération…
Attention à son sens très large et des degrés variables pour chacun. « La hchouma » peut aussi bien désigner la petite gêne risible, l’humiliation, le tabou, ou encore l’opprobre et le déshonneur ultime.
Pour Achraf, il est plutôt synonyme de « Meilleur Film », prix reçu lors du Festival Hallnaywood.
Un court-métrage qui enchaîne les distinctions : du “Grand Prix Nolita” au “Prix du Public” à l’Urban Film Festival.
Le film est sélectionné pour 13e édition du Festival Cinébanlieue dont le parrain est Reda Kateb, ce jeudi 15 novembre 2018.
Un succès tel qu’Ibrahim Maalouf lui cède les droits d’auteur, à titre gracieux, d’un de ses titres les plus connus, utilisé dans sa bande originale.
Achraf raconte son atterrissage dans le monde du cinéma. Une sacrée histoire, ponctuée par son accent de Provence-Alpes-Côte d’Azur, que sa parisianité n’a pas pu effacer.
Après une enfance dans la province de Châteaurenard, Achraf grandit près d’Avignon.
Tous les étés, il participe au Festival d’Avignon : « le théâtre s’est imprimé en moi très jeune ».
« Au collège, j’étais très timide. Le théâtre m’a permis de prendre confiance en moi. J’adorais l’ambiance de troupe. Quand on était tous ensemble sur scène, » se souvient-il.
Achraf a le déclic pour la profession. Et lorsqu’il reçoit son premier cachet, c’est la révélation.
” Je voyais mes parents aller au travail en moonwalk… Pour moi, le travail, c’était de la souffrance “, explique-t-il.
“Avec ce cachet, on m’a payé pour kiffer ! Là je me suis dit, on va faire durer le truc…” se souvient Achraf.
Autre électrochoc : le film L’Esquive, d’Abdellatif Kechiche. ” Je me dis c’est ça que je veux faire. Je passe mon bac L, je n’attends même pas les résultats.
Je préviens mes parents, je leur dis que je vais monter à Paris pour devenir comédien, ” raconte Achraf.
Devant les caméras
Quand il débarque à Paris en 2006. Achraf a 18 ans et aucun réseau dans le cinéma :
« Je pense que mes parents ce sont dit : ‘Paris, c’est trop cher, trop compliqué, il n’a aucun réseau. Il est jeune laissons–le faire son expérience, il reviendra, CQFD.
Pas de manière négative. Mais, je ne suis jamais redescendu dans le Sud ! »
Dans la capitale, Achraf monte sur les planches. Pendant trois ans, il étudie l’expression scénique dans une école de théâtre. Tout de suite, Achraf capte qu’il préfère voir les autres faire, les faire répéter.
Il enchaîne les expériences : des web-séries, de la figuration, des apparitions à télé : « rien de ouf », souligne l’artiste.
Après une parenthèse d’un an en Australie pour performer son anglais, Achraf revient à Paris.
Achraf se retrouve face à un constat : « je me rends compte qu’en fait, le théâtre ce n’est pas pour moi : interpréter ce n’était pas pour moi. C’est devenu une évidence flagrante ».
Derrière les caméras
On est alors en 2015. Une expérience va le marquer à vie : “j’avais déjà des signes, mais je ne les ai pas écoutés.
En tournage, ce jour-là, je suis devant la caméra et après 2-3 prises, impossible de sortir mon texte.
Tout mon corps me faisait comprendre que j’allais dans la mauvaise direction. Je sors de là déprimé : j’avais bloqué sur un métier pendant 10 ans”, relate-t-il.
Achraf se retrouve sans aucun plan B. Sans diplômes propices à une reconversion professionnelle.
“J’étais au bout de ma vie. J’avais perdu mon temps. Et j’allais avoir 30 ans… Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? “.
En surfant sur les réseaux sociaux, il tombe sur la phrase de Mandela : Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends.
“Je me dis que je vois toutes ces années comme un échec, mais en réalité, j’ai forcément appris… C’est pas grave d’échouer “.
Il décide de se mettre à écrire. Écrire un scénario. Achraf répond dans la foulée à un appel à candidatures pour jeunes auteurs : « La Ruche », de Gindou Cinéma. Il se forme ensuite à la dramaturgie au CEFPF de Paris.
Accompagné dans la phase d’écriture de scénario pendant six mois, il écrit les premières versions de son premier scénario “Cactus” qu’il pitch quelques mois plus tard au “Talent en Cours”, au Jamel Comedy Club. Un vrai tremplin pour les cinéastes.
Accompagné d’une boîte de production, le scénario est en recherche de financements. À 32 ans, intermittent du spectacle, Achraf travaille sans filets : ” c’est le prix de la liberté pour avoir le temps pour créer.
J’ai toujours fait des petits boulots à côté pour vivre. J’avais envie de parler de la galère à 30 ans, de la honte sociale et rendre hommage à mes amis artistes qui, attendant de vivre de leur art, survivent de petits boulots. “
De là émerge le scénario de ” La Hchouma “. Animé par un sentiment d’urgence, il le réalise avec les moyens du bord et le tourne en moins de six heures à cause de la météo.
“J’ai tenté de faire un film qui me ressemble, que j’aurais aimé voir. J’ai écouté mon intuition. Je suis surpris que cette histoire fasse écho chez autant de monde… “
« Vous avez le savoir-faire, débrouiller pour le faire savoir. »
En filigrane du parcours d’Achraf, un travail acharné. Et une envie de changer les prés carrés du cinéma français “.
Dans le circuit des comédiens maghrébins, plein de stéréotypes. Avec une lassitude : toujours les mêmes rôles : “la caillera”, “le dealer”, “le terroriste”.
“Il y a mille raisons qui m’ont donné envie de faire du cinéma. Mais je ne me retrouvais pas dans les personnages dits ” de la diversité ” qui sont censés me représenter.”
Lui souhaite proposer un nouveau récit.
“On est tous soumis à des pressions. Quand tu es né enfant d’immigrés, tu nais avec le poids de l’exil sur tes épaules.
Tu connais les sacrifices de tes parents et tu te dois de viser l’excellence, de réussir. L’enjeu, c’est de les rendre fiers… Pour moi, c’est que le début.
Tout reste à faire. Mais si ça peut inspirer d’autres à se lancer alors banco ! ” précise Achraf.
Et de conclure : “en général, les gens ne voient souvent que la réussite et pas les sacrifices. Il ne faut pas oublier qu’il y 12 ans d’échecs, de doutes et surtout de travail !”.
Par Sarah Hamdi
Photo de Une : ©Julia Cordonnier : séance de pitch au Talent en cours @JamelComedyClub
Pour voir ” La Hchouma ” ce jeudi 15 novembre 2018.
FESTIVAL CINÉBANLIEUE 2018
18h00 à l’UGC Ciné Cité 19
166, Boulevard Macdonald,
75019 Paris
Entrée libre sur réservation : contact@cinebanlieue.org
Plus d’infos : www.cinebanlieue.org.
RELAIS FESTIVAL
19H au cinéma l’Ecran
14, passage de l’Aqueduc
93200 Saint-Denis
Entrée libre.
GENERIQUE COMPLET
Interprétation : Nabil Cheik-Ali, Anne-Sophie Picard,
Marie-Claire Arenes, Arnaud Baur.
Scénario : Achraf Ajraoui
Cadreur : Denis Larzillière
Assistante image : Marik Renner
1er assistant : Jonathan Louis
Scripte : Mélaine Blon
Ingénieur du son : Renaud Triboulet
Maquilleuse : Bertille Rakotazaka
Régisseur Général : Sébastien Max
Montage : Achraf Ajraoui / Nicolas Houver
Mixeur : Benoit Gargonne
Génériques : Jalil Naciri
Musique : Ibrahim Maalouf
SÉLECTIONS DEPUIS JUIN 2018 :
34e rencontres du cinéma de Gindou à Gindou.
Festival d’Hallnaywood d’Aulnaie-Sous-Bois.
Festival EN BREF ! de Choisy-Le-Roi.
L’Urban Film Festival de Paris.
Compétition SO FRENCH du Poitiers Film Festival de Poitiers.
Festival Cinébanlieue de Saint-Denis.
Urbanfilmsfestival
Bravo !!!
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