Affaire Tariq Ramadan. De la sidération
Déferlantes populaires sur les réseaux sociaux, puis médiatiques. L’affaire Henda Ayari vs Tariq Ramadan” ne cesse de faire polémiquer les uns, de diviser les autres. Karima Mondon nous livre son point de vue.
Les récentes plaintes visant M. Ramadan ont plongé les Français musulmans dans un état de stupeur. Elles font écho à un mouvement plus large qui permet aux femmes victimes d’agressions sexuelles de dire ce qui leur est arrivé.
J’utilise à dessein stupeur car il y a bien eu une suspension collective de nos capacités à réfléchir. Preuve en est le recours au complotisme qui est toujours un aveu d’impuissance, impuissance à voir le monde avec des nuances plutôt qu’en noir et blanc.
Évidemment, loin de moi l’idée de condamner ou de juger M. Ramadan, je ne suis ni la justice, ni Dieu. Évidemment, je respecte les plaignantes et les soutient face à la violence qu’elles affrontent depuis leur dépôt de plainte. Je ne suis qu’une citoyenne dont l’identité n’est pas monolithique et qui observe ce qui se passe. Ce que je vois, ce que j’entends, ce que je ressens n’est guère réjouissant.
En effet, les réactions sont étonnantes et me mettent très mal à l’aise. Je ne parlerai pas ici de ceux qui vomissent l’Islam, et tout ce qui s’y rapportent de près ou de loin : eux, continuent d’être, avec une constance qui forcerait presque le respect, dans la caricature et l’anathème. Ils continuent à jouer leur rôle et doivent être trop heureux que l’on apporte de l’eau à leur moulin. Ils se repaissent de la douleur mais c’est ce qu’ils ont toujours fait. Je les laisse donc à leur festin, ils sont au-delà du dialogue.
Il y a ceux qui disent qu’ils savaient et auquel cas pourquoi n’avoir rien dit avant ? Pourquoi ne pas avoir tenté de protéger d’autres personnes, d’accompagner les victimes ?
Silence
Il y a ceux qui, pour préserver la dignité d’un être, traîne dans la boue celle d’autres. Les plaignantes n’auraient donc, elles aussi, pas le droit à la présomption d’innocence ? Pourquoi en faire des menteuses, des auxiliaires d’un complot ? Ne sont -elles pas réputées victimes jusque preuve du contraire ?
Il y a ceux que l’on n’entend pas et qui, pourtant ont une responsabilité, soit qu’ils soient des personnages publics, soit qu’ils soient des organisations qui entretenaient des relations de travail avec M. Ramadan. Était-ce compliqué d’écrire : « Nous prenons acte des plaintes visant M. Ramadan. Nous laissons à la justice le temps et le soin de faire son travail. Nous respectons les plaignantes et appelons nos sympathisants à ne pas attenter à leur intégrité sur les réseaux sociaux notamment. Nous suivrons avec intérêt les suites données à ces affaires. » ?
Clivage
Ce silence, je me l’explique par la sidération de certains musulmans, inspirés par l’enseignement de Tariq Ramadan.
J’imagine que ces hommes et ces femmes ont été sidérés par ces révélations et que cela a entrainé leur mutisme. La même sidération qui paralyse les victimes lors d’une agression. Sidérés parce que notre mal vient de plus loin. Face à l’hégémonie, au sens gramscien du terme, exercée par M. Ramadan dans la construction des citoyens de confession musulmane, nous n’avons pas pu, pas voulu, construire un autre possible.
Les médias tenaient un bon client (même lorsqu’il était interdit, cela faisait au moins parler) et les citoyens musulmans un rôle modèle. Si cela vacille, par quoi le remplacer ? C’est cette hégémonie qui a ouvert la porte à un engluement des pensées, à la construction d’un monde binaire ( « tu es avec ou contre moi »). C’est cette hégémonie, d’où qu’elle vienne, que nous devons combattre. Nous devons nous réapproprier nos luttes, nous devons accepter de construire par essai-erreur la place que nous voulons occuper dans la société.
Repli
Ces plaintes ont été le révélateur, non pas de la moralité d’un homme, mais de notre difficulté à saisir le monde en nuance, à écrire seuls les pages de nos histoires. Poussés dans nos retranchements par une société qui clive nous avons cédé à la facilité du repli, nous avons délégué notre représentation et nous nous sommes faits confisquer la parole.
La sidération est dit-on un état passager : gageons, qu’après elle, nous retrouverons les chemins qui conduisent au désir, du latin desidere, c’est-à-dire à la fin de la fascination.
Karima Mondon
Nina
Même silence assourdissant que pendant les attentats…. On ne peut pas mettre en permanence en avant sa religion et disparaitre ou refuser le débat dès qu’il y a un problème.
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