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APPEL. “La réforme de la Loi travail doit passer par la lutte contre le racisme”

La prochaine loi sur le travail qui sera proposée à l’Assemblée nationale ne saurait ignorer la question des discriminations. Pour ce qui est des inégalités liées au sexe ou au handicap, plusieurs lois ont déjà été votées, et il faudrait encore les renforcer, notamment au niveau de leur application. Mais pour ce qui est des origines, tout ou presque reste à faire.

Certes, il existe des lois pour condamner le racisme dans le monde du travail, mais ces textes ne visent que les discriminations individuelles. En revanche, les discriminations collectives ou systémiques, qui sont par définition les plus nombreuses, mais aussi les plus invisibles, ne sont guère prises en considération. Les débats en cours devraient permettre de les mettre en lumière et de mieux les combattre.

Une première discrimination légale devrait clairement être dénoncée et abolie. Depuis le 1er janvier 2014, un retraité de nationalité française peut résider à l’étranger, en dehors de l’Union Européenne, tout en bénéficiant de la couverture de la sécurité sociale (L.311-9 du Code de la Sécurité Sociale).

Cette disposition a été mise en place au regard du nombre croissant de citoyens français désireux de quitter la France et de vivre leur retraite sous d’autres cieux, notamment dans les pays du Sud, pour bénéficier d’un climat plus agréable à leurs yeux, et d’un pouvoir d’achat plus avantageux.

Mais les retraités de nationalité étrangère, qui ont vécu, travaillé et cotisé en France, comme les autres, pendant de longues années, sont tenus de résider en France au moins six mois par an. Là est la rupture d’égalité.

Les retraités français peuvent se rendre à l’étranger, notamment dans les pays du Sud, tandis que les retraités étrangers, notamment ceux des pays du Sud, sont obligés de résider en France.

On voit clairement ce que cette mesure a de discriminatoire, et même de vexatoire. Il convient de rétablir l’égalité, ce qui permettra à ces retraités d’origine étrangère de finir leur vie, pour la majorité d’entre eux, dans leur pays d’origine, avec leurs proches.

C’est une mesure de justice, qui aura en outre pour effet de baisser le coût des soins médicaux (car ils se feront en dehors de la France), et de libérer des places dans les foyers de travailleurs qui ne sont pas censés être des maisons de retraite, mais qui se sont transformés en véritables mouroirs ces dernières années. Dès lors, puisque le souci éthique et l’intérêt économique convergent, il n’y a aucune raison de ne pas avancer.

Pour ces raisons d’équité et de bon sens, il convient de rendre justice à ces retraités qui représentent aujourd’hui plus de 803 000 personnes. Il faut qu’ils puissent finir leur vie où ils le souhaitent, que ce soit en France ou dans leurs pays d’origine, après toutes ces années de dur labeur, dans les emplois souvent les plus modestes et les plus pénibles.

Afin de corriger cette injustice, l’association CAP SUD MRE a déjà porté une proposition de loi en ce sens, enregistrée à la présidence de l’Assemblé nationale le 25 janvier 2017, sous le numéro 4211. Il suffirait donc que le gouvernement reprenne ce texte, qu’il en fasse un article dans son projet de loi, et qu’il le soumette au vote des parlementaires lors de la prochaine session.

Au-delà des retraités de nationalité étrangère, un second sujet doit être évoqué, car c’est l’ensemble des minorités ethniques qui sont discriminées dans le monde du travail. Bien que cette réalité soit souvent occultée, elle n’en demeure pas moins vraie. Les données disponibles tendent à prouver que, à travail égal, les Français noirs ou arabes notamment sont moins payés que les autres.

Il y a quelques années, par exemple, un procès a eu lieu dans une grande entreprise du CAC 40. Les ouvriers affirmaient que dans les usines, les travailleurs appartenant aux minorités ethniques, embauchés au SMIC, partaient à la retraite au SMIC, et cela, quelles que soient leur compétence et leur notation, tandis que les ouvriers blancs avaient une progression salariale tout à fait régulière. Pour les groupes racisés, ce n’était même plus le plafond de verre, c’était carrément le « plancher collant ».

Déboutés en première instance, les plaignants ont alors constitué des cohortes, avec l’aide de la CGT, afin de démontrer qu’il y avait une corrélation très nette entre l’évolution salariale et professionnelle, d’une part, et l’origine ethnique, d’autre part.

La courbe des salaires de certains évoluait à la hausse, au fil des années, quand la courbe des autres demeurait plate, désespérément plate. Dans ces conditions, en appel, le juge a pu condamner l’entreprise, les données recueillies ayant prouvé l’existence d’une discrimination raciale systémique, inconsciente, peut-être, mais tout à fait évidente.

Cependant, bien que les actions de groupe soient désormais possibles en droit, on ne saurait multiplier les procédures pénales, ouvrant le chemin à une judiciarisation de la vie économique. Il vaut mieux prévenir que guérir, en donnant aux entreprises l’occasion de vérifier par elles-mêmes, régulièrement, s’il existe des discriminations collectives liées aux origines ethniques.

C’est pourquoi, de même que le bilan social des entreprises réalisé chaque année inclut un volet sur la situation des femmes, il faudrait que ce bilan comporte également un chapitre sur l’égalité professionnelle en fonction des origines ethniques, en étudiant toutes les questions liées à la rémunération, à la promotion, aux conditions de travail, etc.

La méthode dite « François Clerc », déjà reconnue et validée par la Cour de Cassation, pourrait être utilisée. Cet outil disponible pour tous, salariés, syndicats et dirigeants, permettrait d’organiser le dialogue social sur la base d’une information transparente et partagée.

Cette mesure ne permettrait pas seulement de corriger des injustices raciales, dont la société n’est pas toujours consciente. Ce serait aussi un remarquable levier de performance économique. En effet, on n’y pense guère, mais la discrimination appauvrit et le discriminé, et le discriminant.

Par définition, chaque fois qu’une entreprise discrimine, que ce soit de manière consciente ou pas, elle se prive d’une personne qui lui aurait apporté davantage que celle qui a finalement été recrutée ou promue. C’est donc un mauvais calcul économique, qui porte préjudice à l’employeur comme à l’employé.

Tout récemment, France Stratégie, organisme sous l’égide de Matignon, a publié les résultats d’une étude dont le CRAN avait demandé la mise en œuvre. Il s’agissait d’examiner le coût de la discrimination. Les conclusions de ce rapport sont tout à fait édifiantes.

Si la France n’améliore pas son action contre les discriminations, elle perdra dans les vingt ans qui viennent environ 20 milliards d’euros par an, soit un total de 400 milliards d’euros. Ce chiffre colossal doit faire réfléchir.

En d’autres termes, loin d’être une charge pour les entreprises, le dispositif ainsi proposé, destiné à lutter contre les discriminations raciales, sera en outre une source de performance et d’excellence pour dynamiser la vie économique dans notre pays.

C’est pourquoi, dans le cadre du projet de loi sur le travail, qui sera bientôt discuté à l’Assemblée, nous invitons le gouvernement à se saisir également de cette seconde question, et à l’intégrer à son texte afin que la vie économique dans le pays soit à fois plus juste et plus performante.

Appel initié et rédigé par Banlieue +, CAP SUD MRE, le Collectif des Chibanis de Gennevilliers, le CRAN

Autres signataires : AFAC, Amitié Judéo-noire, Amivogt Europe, An Nou Allé, Cifordom, Armepes, Azec, CAP, Comité d’Organisation du 10 mai, Conseil Représentatif des Comoriens de France, Debout l’Afrique, Deddip, Ecclethique, Esprit marron, Fadom, Mouvement des Sarrasins de France, Nasyon Kaf, Orchidée, Solidarité Africaine de France, SOS Racisme, Partage, P’ Jelow, République et Diversité, Tremplin, UPKN.

Raconter, analyser, avancer.

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