“Ben pourquoi tu veux pas qu’on t’appelle Momo ?”
[#Témoignage]
Nous inaugurons une nouvelle rubrique, celle des retours d’expérience. Transmettez nous vos ressentis sur des situations que vous vivez. Nous avons, donc, reçu ce témoignage de Mohammed, en recherche d’emploi depuis un an et demi. Pour lui, son faciès et son nom ne sont pas étrangers aux discriminations qu’il a subi et subi encore.
C’est Nadia (ndlr. N. Henni-Moulaï, directrice de la publication MB) qui m’a convaincu d’écrire. J’ai lu cet article sur franceinfo.fr intitulé : “J’ai dû lui expliquer qu’ici, c’était très compliqué” : un jeune issu de l’immigration quitte la France, dégoûté des discriminations qu’elle avait relayé en précisant qu’“elle aurait pu l’écrire il y a dix ans”.
J’étais seul dans ma chambre, mes filles et mon épouse étaient dans la cuisine. Les rires fusaient pendant que je m’écroulais en larmes. J’étais dévasté.
J’ai écrit deux commentaires sur le fil de cet article afin d’extérioriser mon désarroi.
Nadia m’a répondu en message privé en me proposant d’écrire.
Alors voilà, je m’appelle Mohammed, j’ai plus de 40 ans. Je suis marié et j’ai deux filles de 6 et 2 ans.
Je suis “demandeur d’emploi” (j’ai beaucoup de mal avec le terme “chômeur”), depuis plus d’un an et demi.
Je suis né à Paris dans les années 70. J’ai grandi dans une ville du Val d’Oise rendue célèbre par le décès de deux jeunes adolescents à moto, percutés par une voiture de police.
J’ai obtenu mon bac scientifique au milieu des années 90. Je suis parti faire des études d’économie et finance à Orléans. Je suis revenu en région Parisienne pour décrocher un DESS en économie de l’immobilier à la Faculté de Paris XII Créteil.
C’est étrange, j’ai longtemps pensé que tout a commencé à dérailler après l’obtention de mon troisième cycle, alors que rétrospectivement je dirai, aujourd’hui, que tout a véritablement débuté à mon entrée en maternelle.
“Ben pourquoi tu veux pas qu’on t’appelle Momo ?”
Je n’ai jamais été un élève brillant ou encore un étudiant sortant du lot. J’ai parfois été capable de fulgurances qui ont surpris mes professeurs. Je crois bien que je n’aspirais pas à être le meilleur, mais simplement être heureux dans ce que je vivais. Et à ce titre, mes années d’études ont été assez agréables.
Je prends un mur en plein visage à la sortie de mon DESS ! Nous sommes une vingtaine d’étudiants. Dans un domaine qui ne souffre pas vraiment de la crise, en tout cas qui a laissé celles du milieu des années 90 derrière elle.
Mes camarades ont tous trouvé un poste assez rapidement à l’exception d’un étudiant tunisien qui est retourné dans son pays, un autre qui a décidé de faire de la musique et donc moi-même.
Presque deux ans plus tard, je finis par signer un CDD de 3 mois avec ICADE sur la base d’une rémunération annuelle de 26 K€ brut. De mémoire, les juniors débutaient avec 30 K€.
Après avoir signer un deuxième CDD, j’ai très vite compris que je n’intéressais pas grand monde dans cette BU (Business Unit). Je me suis souvent demandé si cela avait un rapport avec mon refus concernant le surnom que l’on souhaitait m’attribuer : Momo.
« Ben pourquoi tu veux pas qu’on t’appelle Momo ? On a eu un stagiaire qui s’appelle comme toi et ça lui posait pas de problèmes qu’on l’appelle Momo ! C’est quoi ton problème ?! »
Je me souviens également de ce responsable de travaux, Michel, la cinquantaine fan de Johnny :
« C’est grâce à moi que t’as mangé quand t’étais gosse ! Et ouais ! C’est des mecs comme moi qui donnaient du boulot à des gens comme ton père ! »
Cette première expérience m’a tellement écœuré que je n’ai pas accepté un troisième CDD (oui, c’est illégal, mais très courant à cette époque).
J’ai donc préféré passer par la case ANPE. Trois mois après, je décidais de ne pas rester inactif et je devenais assistant d’éducation dans mon ancien lycée. J’y ai passé deux ans et demi sans trop d’ambitions, mais dans une sérénité appréciable, même si j’ai vécu la première année comme un déclassement pour le moins humiliant.
Nous sommes en 2007, le CPE avec qui je bosse se désespère de me voir à l’arrêt dans ma vie professionnelle et me pousse à repartir dans mon domaine de formation. Je me souviens de ses paroles :
« Mohammed, ce costume d’AE est beaucoup trop « serré » pour toi ! Ta place n’est pas avec nous, même si j’adore bosser avec toi »
Si tu savais Jean-Pierre tout ce que tu m’as apporté…
Parallèlement à cela, les révoltes de banlieues semblent avoir levées le voile sur une réalité sociale particulièrement catastrophique.
Je suis contacté par la société chez qui j’avais effectué mon stage de fin de DESS. Une catastrophe ! Cinq ou six entretiens pour une réponse négative. Un naufrage ! (Cf. l’article de presse de l’époque)
Un Mohammed « bardé de diplômes » selon leurs propres termes.
Une amie me met alors en contact avec une personne dans une société de gestion immobilière en insistant sur la nécessité de ne pas me laisser dans cette situation. Je suis donc recruté dans cette société à un âge ou on est un cadre confirmé pour un salaire de junior.
Je constate rapidement que mes collègues sont pour la grande majorité titulaires, au mieux d’un Bac+2… Avec tout le respect que j’ai pour les BTS ou autres DUT. J’ai connu cinq entreprises.
Ce que j’en retiens humainement ?
- La gêne des personnes faisant face à un Mohammed « bardé de diplômes » selon leurs propres termes.
- L’idée inconcevable d’être « managé » par un Mohammed.
- Le caractère supposément agressif et arrogant de Mohammed, dès lors que celui-ci fait preuve de fermeté, alors que Nicolas, lui a du tempérament et du « leadership »
- Les questions désobligeantes sur l’Islam, alors que vous n’avez pas envie d’y répondre. Et si vous ne le faites pas, cela devient très vite suspect.
- Les préjugés de toutes sortes.
Mon faciès associé à mon prénom : des facteurs aggravants
Je me souviens de ce collègue, contrôleur des risques financiers avec qui j’avais quelques discussions intéressantes qui arrive un matin en me disant bonjour d’un salut nazi ! pourquoi ce geste ?
Ce comptable qui ne m’adressait pas la parole car convaincu de mon homophobie !
J’ai compris que mon faciès associé à mon prénom (pour le moins symbolique en Islam) allaient être des facteurs aggravants pour n’importe quelle situation.
Le traitement différent réservé aux femmes d’origine maghrébine (si en plus elle apparait séduisante) m’a, par ailleurs toujours interpellé.
La dernière société dans laquelle j’ai évolué m’a licencié dans le cadre de la loi El Khomri. Un comble !
J’y ai passé presque cinq ans. Connaissez-vous l’étude de l’économiste Marie-Anne Valfort concernant les discriminations religieuses à l’embauche ?
Des résultats alarmants qui n’ont finalement soulevé que très peu d’intérêt médiatique… Je vérifie tout les jours les conclusions de cette étude !
Par Mohammed