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Ces bénévoles associatifs changent le monde

Dans son ouvrage Young Muslim Change-MakersWilliam Barylo, sociologue, s’est penché sur ces musulmans de la ‘majorité silencieuse’. Et qui font rarement la Une des journaux et fortement investis dans le milieu associatif. L’auteur nous en parle.

Young Muslim Change-Makers est le livre adapté de ma thèse de doctorat en sociologie à l’EHESS. J’ai effectué 7 ans de recherche autour d’associations locales en France, en Pologne et au Royaume-Uni.

Ces associations caritatives offrent des services divers : repas aux sans-abris, correction d’examens et denrées alimentaires pour les étudiants universitaires, créent des médias alternatifs et bien d’autres.

Fondées par des jeunes Français musulmans, ces associations offrent des services à tous et comptent de nombreux bénévoles de diverses cultures ou croyances.

Ce travail intervient alors que les médias internationaux et même le monde universitaire aiment à se pencher sur des sujets marginaux ou sensationnels quand il s’agit des musulmans : salafisme, terrorisme, extrémisme, immigration, conversions, violences conjugales, pratiques maritales ou sexuelles… cependant de très rares chercheurs se sont intéressés aux musulmans de la ‘majorité silencieuse’ qui ne fait jamais la Une des journaux.

Tout a commencé en 2009 lorsque, encore étudiant en chimie fondamentale à l’Université Pierre et Marie Curie, j’avais repéré une association gérée en majorité par des jeunes musulmans.

Malgré toutes les controverses autour de l’islam et des musulmans à l’époque, je fus intrigué comment parvenaient-ils à avoir autant de succès auprès des étudiants ?

Plus tard, après avoir réalisé des entretiens avec l’administration, j’ai pu voir qu’à partir du moment où un dialogue s’établit entre l’Etat et les associations de terrain, les barrières tombent. Les représentants de l’Etat se rendent compte que ces musulmans, qui dans l’imaginaire collectif sont perçus comme entité abstraite et menaçante, ont des noms et des visages, et plus encore, contribuent à l’harmonie sociale.

Développement d’une “confiance forte”

Il se développe ce qui s’appelle en sociologie une « confiance forte » entre personnes qui se parlent face-à-face, à l’opposé d’une confiance « faible, » celle par défaut que les citoyens ont envers l’Etat ou des consommateurs ont à l’égard des grandes marques.

Les bénévoles de ces associations n’ont pas de profil particulier : on y trouve de tous les âges, toutes professions, tous niveaux d’éducation, toutes cultures et tous courants religieux, croyants et athées.

Pareil brassage de différences a pour effet d’équilibrer les opinions : certains confortent leur pratique de l’Islam, tandis que les interprétations plus rigoristes s’ajustent.

Ces associations donnent un sens et une motivation à des jeunes, et l’occasion d’agir concrètement et de développer un sens critique. Surtout dans les quartiers défavorisés, ces associations sont preuves que les approches criminalisantes ne sont pas une solution. Ce qui fonctionne est d’encourager la culture d’un fort capital social.

Ce qui fournit l’impulsion à ces jeunes n’est pas seulement l’islam, c’est avant tout un constat citoyen : l’Etat ne peut pas résoudre tous les problèmes. Ainsi, si personne ne fait rien, qui s’en occupera ? L’islam est pour ces bénévoles bien plus qu’une religion au sens commun ; c’est un complexe système de pratiques, de croyances et un code éthique qui rime avec la définition d’une citoyenneté active.

Une anecdote m’a marqué en particulier, lorsqu’avant de distribuer les repas aux sans-abris, une association suggère aux bénévoles de « sourire aux bénéficiaires, » car en islam, le sourire est un acte d’adoration.

Young Muslim

Pour eux, participer à la vie politique est un acte d’adoration, et vivre leur religion est un acte citoyen. À ce titre, leurs références religieuses offrent des opportunités d’expérimenter de nouvelles formes de démocratie, comme avec le concept de Shura, qui est un processus consultatif de prise de décisions par consensus.

Tocqueville dans De la Démocratie en Amérique nous parlait déjà des dangers du suffrage universel à majorité, l’appelant « la tyrannie de la majorité. » Comment éviter qu’une majorité mal informée prenne une décision aux conséquences redoutables pour l’ensemble d’une localité ou d’un pays ? Ces associations, en pratiquant ce qui s’appelle une forme « primaire » de démocratie, ont peut-être des éléments de réponse.

Cette recherche questionne aussi le néolibéralisme à travers une perspective décoloniale. Dans le monde néolibéral moderne, les échanges commerciaux sont une éthique à part entière, gouvernant les actions humaines : tout ce qui ne peut pas être mis en chiffres, des valeurs comme la compassion, le pardon, l’amour, la foi, n’a aucune valeur.

En conséquence, certains vont gommer leur appartenance religieuse ou culturelle dans l’espoir de montrer que les musulmans sont des citoyens comme les autres car ils participent à l’économie. De l’autre côté, cela a pour effet d’encourager certains musulmans à transformer l’islam en machine à sous, de promouvoir les idéaux de succès matériel comme objectifs de vie et justifier la course aux profits monétaires par des versets du Coran.

Ces modes de pensés sont très répandus dans le monde Anglo-Saxon, et arrivent en France à toute vitesse. J’ai pu assister à un séminaire où on comparait Dieu au gérant d’une entreprise où les croyants étaient Ses salariés et les Hassanates la monnaie d’échange. Lorsque, pour se rendre légitime au sein d’une société dominante, les gens se sentent obligés de sacrifient leur culture et leurs valeurs religieuses, c’est ce que le professeur en psychologie Hussein Bulhan décrit comme une « métacolonisation » : nous sommes passés d’une époque d’occupation des terres à une époque d’occupation des consciences.

Une illustration de ce phénomène se trouve sur les médias sociaux : comment se fait-il que les personnalités Musulmanes les plus populaires sur YouTube ou Instagram sont toutes de peau claire, minces, riches et hyper-féminines ou hyper-masculines selon les critères dominants en Amérique et en Europe ? En plus de l’Islamophobie et du racisme, les jeunes de cultures diasporiques sont confrontés à ces pressions internes sur les réseaux sociaux de se conformer à ces idéaux, et nombreux travaux démontrent leurs effets catastrophiques sur la santé mentale.

 Construire un avenir harmonieux

Cependant, les associations étudiées dans cette recherche sont des exemples d’espaces décoloniaux : alors que la société moderne essaie de mettre en sourdine les valeurs religieuses, les héritages culturels et pousse à l’individualisme, ces associations sont des espaces refuges de libre expression et de célébration des traditions où les bénévoles trouvent le moyen d’articuler leur héritage dans la modernité.

Ce sont des espaces où des gens de cultures diasporiques parlent ouvertement de protection de l’environnement, de justice sociale, de santé psychologique, de bien-être émotionnel… Les jeunes générations ont assimilé le travail des anciennes qui consistait à donner un sens à leur identité complexe, se battre pour que justice soit faire et critiquer les systèmes d’oppression – et ces combats sont toujours en cours. Cependant, ils passent désormais aux phases suivantes que sont de panser les blessures, se redresser et construire un avenir harmonieux en toute indépendance.

William Barylo 

En savoir plus :William Barylo est sociologue, diplômé de l’EHESS-Ecole des hautes études en sciences sociales et du CESPRA – Centre d’études sociologiques et politiques Raymond Aron. Son livre Young Muslim Change-Makers: Grassroots Charities Rethinking Modern Societies a été publié en juillet 2017, par la maison d’édition britannique Routledge.

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