Concentration des médias: “La presse, cet accélérateur de business”
La concentration des médias, ce sont ceux qui la pratiquent le plus qui en parlent le moins. Pilier de la démocratie, la presse et son manque d’indépendance, ne font que rarement la Une des titres. À voir le taux de concentration dans les médias français, on comprend mieux pourquoi.
Pourtant les faits parlent d’eux-mêmes. Aujourd’hui, le paysage médiatique français gravite autour d’industriels et de magnats des télécoms. Un fait acquis voire nourri, passivement par les pouvoirs publics.
Votée le 6 octobre 2016, la loi sur l’indépendance des médias s’apparente davantage à un coup d’épée dans l’eau. Si elle protège (un peu) mieux le secret des sources, quid du problème majeur de la presse française. Rien sur la concentration des médias.
Le droit à « la conviction personnelle ». Bonne avancée mais en réalité compliquée à appliquer pour le journaliste lambda :
“Tout journaliste a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de signer un article, une émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté”Article 1er de la loi
Le « secret des sources » est quant à lui préservé…sauf si :
“Il ne peut être porté atteinte au secret des sources, directement ou indirectement, qu’à titre exceptionnel et seulement si cette atteinte est justifiée soit par la prévention ou la répression d’un crime, soit par la prévention d’un délit constituant une atteinte à la personne humaine puni d’au moins sept ans d’emprisonnement”Article 4 de la loi
Le CSA devient une institution anti-censure mais aux prérogatives floues. Il devient le garde-fou en matière de “pluralisme, de l’honnêteté et de l’indépendance de l’information et des programmes”. Mais, sans réelle définition de l’indépendance, difficile de jouer ce rôle clé.
Quid de la concentration et des liens entre le pouvoir/industriels/médias, le sujet reste, disons-le, tabou.
Une réalité bien en deçà de la figure du journaliste engagé défendue par Albert Camus. Soucieux de séparer la presse des “puissances de l’argent”, il écrivait dans le célèbre éditorial de Combat, le 1er septembre 1944:
La cas Aude Lancelin. En mai dernier, le quatuor Niel-Pigasse-Berger-Perdriel limogeait Aude Lancelin, alors directrice adjointe de la rédaction de L’Obs. Motif invoqué ? La journaliste aurait bafoué les idéaux sociaux-démocrates du titre. Un peu court pour Aude Lancelin, en charge des pages Débats du magazine.
D’abord démenti, le licenciement politique est confirmé à demi-mots par Claude Perdriel, co-fondateur du titre. Le 1er juin, un texto de Perdriel à Aude Lancelin est publié dans Le Figaro et Médiapart. On peut y lire :
« Chère Aude. Vous avez toute ma sympathie mais la décision du dernier conseil [de surveillance] est évidemment irrévocable. Votre talent est indiscutable. Vous êtes jeune, vous n’aurez pas de problème pour trouver du travail, nombreux sont ceux qui vous soutiennent. Moralement, c’est important. Je respecte vos opinions mais je pense qu’elles ont influencé votre travail. Cela n’empêche pas le talent. Amicalement ».
Dans Le Figaro, Perdriel enfonce le clou, reprochant à Lancelin d’avoir « donné la parole à Nuit Debout ». Le quotidien y voit, d’ailleurs, une pic à Frédéric Lordon, économiste très impliqué dans le mouvement et accessoirement compagnon de la journaliste…
Dans Le Monde libre (Les Mots qui Libèrent), paru en septembre, Aude Lancelin livre un récit factuel de ses années dans la presse, soulevant surtout une question.
« On peut se demander pourquoi des industriels investissent dans un secteur en crise ? ». Une interpellation qui résume bien l’histoire de la concentration des médias, particulièrement prégnante en France.
La réponse est aussi évidente que peu en ont conscience. Ces industriels n’achètent pas la presse par amour. Ils s’offrent son influence. Un rapide panorama de ces magnats confirme ce fait.
(Crédit/MeltingBook)
En octobre son nom s’est retrouvé en haut de l’affiche au moment de la crise à Itélé. Vincent Bolloré, 10e fortune de France et PDG du groupe Bolloré, est aussi le propriétaire de Canal+ et d’iTélé. En octobre dernier, il soutient, contre la rédaction, la présence de Jean-Marc Morandini, mis alors en examen dans une affaire de mœurs.
La crise prend alors l’aspect d’une révolution. Bientôt, les journalistes exigent une charte pour réaffirmer l’indépendance éditoriale de la chaîne. La suite, on la connaît. Après un mois de grève, 25 journalistes démissionnent.
Bolloré n’a pas cédé d’un iota. Le cas Morandini trahit finalement la toute-puissance de Bolloré, assimilable à une immunité. Cette réalité est inquiétante tant les liens de Bolloré avec les politiques, ici ou ailleurs, est un secret de Polichinelle.
Vous en trouverez un exemple dans « Un président ne devrait pas dire cela », le « livre-confession » de François Hollande, sorti en octobre. On y apprend que le Chef de l’Etat a plaidé en faveur de Bolloré auprès du Qatar dans l’affaire Canal+.
Bolloré est aussi m.Françafrique. Si le terme est connoté très négativement, factuellement, Bolloré y est très présent. Il y a réalise un quart de son chiffre d’affaires mensuel, y employant 25 000 personnes. Ca c’est le côté pile. Côté face, les soupçons de corruption font partie de la saga Bolloré.
En avril, Industrie Tour Bolloré à Puteaux (Hauts-de-Seine) était perquisitionnée sur commission rogatoire. Raison ? L’entreprise aurait obtenu une concession de ports en Afrique après avoir aidé l’élection de chefs d’Etat africains…
Des collusions politico- industrielles clairement dérangeantes pour un propriétaire de médias, censés jouer le rôle de 4e pouvoir.
Autre nom-symbole de la concentration des médias, Patrick Drahi. Propriétaire de SFR, l’entrepreneur, à l’appétit insatiable, est aussi un homme de presse.
Détenteur d’une vingtaine de titres de presse (Libération, l’Express…) rassemblés dans Altice Média Group, il compte d’ailleurs racheter 51% de NextRadioTv, histoire d’être le plein propriétaire de BFMtv.
Xavier Niel, patron de Free et principal actionnaire de Le Monde, n’est pas en reste. Principal actionnaire de Le Monde, il est connu pour étouffer toute critique dans l’œuf.
« Quand les journalistes m’emmerdent, je prends une participation dans leur canard et ensuite, ils me foutent la paix », écrivait ainsi Odile Benyahia-Kouider, dans Un si petit monde (2011). Particulièrement à propos. La création de Mediawan, en avril dernier, en est un exemple.
Alors que le groupe vient de confirmer le rachat de AB productions (Hélène et les garçons…), le fonds d’investissement piloté par Xavier Niel, Matthieu Pigasse et Pierre-Antoine Capton, tous deux hommes d’affaires, a une ambition assumée.
Étendre leur empire médiatique par des acquisitions en Europe. Avec une force de frappe de 250 millions d’euros, Mediawan démarre, donc, du bon pied.
Le trio hommes d’affaires prolifiques vient de racheter AB Productions, la “maison” Hélène et les Garçons, pour 270 millions. Avec une ambition devenir, « leader européen de contenus ». Un appétit médiatique dans la droite ligne de cette volonté d’étendre une influence.
C’est bien connu, ces magnats peuvent tout acheter. Et en alimentant en contenus des mastodontes comme Amazon ou Netflix, Mediawan, c’est un peu comme avoir Niel à la maison…
Nadia Henni-Moulaï
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Elyes
Il faudrait étudier de plus près l’impact des magnas sur la ligne éditoriale des médias concernés.
Par exemple en quoi Drahi, homme d’affaires Israéliens ayant renoncé à sa nationalité Française influence la ligne pro-israélienne des médias qu’il possède. Position qui peut avoir un impact sur le traitement de l’information quand il s’agit des musulmans de France.
Est-il normal que Libération soit subventionné fortement par les contribuables alors qu’il est possédé par un magnat étranger?
À approfondir
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Yes:) 1er sujet d’une série. To be continued…
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