De l’inévitable rivalité entre le Président et le Premier ministre
Tous les week-ends, retrouvez une nouvelle chronique de Stéphane Bugat. Pour MeltingBook, il passe au crible un fait de société, économique, politique à la lumière son parcours de journaliste, consultant et auteur de plusieurs livres sur l’actualité politique et sociale.
La relation entre le président de la République et le Premier ministre est l’une des clés du fonctionnement de l’exécutif, sous la Ve République. Et elle n’est jamais simple.
Il n’y a donc pas de raison qu’il en soit autrement sous ce quinquennat, même avec l’avènement de l’autre politique annoncée par Emmanuel Macron, même si les caractéristiques et les personnalités des deux protagonistes varient sensiblement des scénarios connus jusqu’alors.
Relation biaisée
La question que l’on est en droit de se poser c’est donc : combien de temps faudra-t-il pour que l’apparente l’harmonie entre les deux principales figures du pouvoir en vienne à se dérégler et sur quel scénario cela peut-il déboucher ?
Lorsqu’un chef de l’Etat est amené à choisir un Premier ministre, si l’on fait exception des périodes de cohabitations qui sont en tout point exceptionnelles et même anachroniques, il a habituellement le choix entre plusieurs scénarios.
Meilleurs ennemis
D’abord, privilégier celui qui lui semble le mieux placé pour tenir sa majorité, ou pour représenter une composante de cette majorité différente de la sienne.
Ce fut le cas avec Pompidou et Chaban-Delmas, avec Mitterrand et Mauroy, ou Hollande et Ayrault, pour le premier cas de figure, avec Giscard et Chirac, avec Mitterrand et Rocard, ou Chirac et Raffarin, pour le second cas.
L’autre intention du chef de l’Etat peut-être de s’appuyer sur un homme dont il apprécie les compétences spécifiques et la loyauté, raison pour laquelle Giscard a choisi Barre, ou, dans une situation très singulière, Hollande a appelé Cazeneuve.
Un seul chef
Une fois le choix effectué, la question du partage des responsabilités entre les deux têtes de l’exécutif se pose immédiatement.
En principe, les choses sont claires et précises. Le président indique la direction, se réserve le privilège essentiel des nominations et se garde toute la marge de manœuvre pour les secteurs dits du « domaine réservé », la défense et la politique étrangère.
Le Premier ministre s’occupe de tout le reste et n’a de comptes à rendre qu’au Parlement.
Sous le boisseau présidentiel
Description toute théorique en ce qu’elle néglige un aspect majeur : le Premier ministre n’exerce ses fonctions que parce qu’il a été choisi pour cela par le président qui, lui, tient sa légitimité du suffrage universel.
Autrement dit, quoi que puisse en dire la Constitution, le chef de l’Etat fait à peu près ce qu’il veut, quand il veut et comme il veut.
Et le passage du septennat au quinquennat n’a nullement modifié cet état de choses, à tel point que l’interrogation porte maintenant sur la nécessité de maintenir la fonction de Premier ministre.
Compte à rebours
Ainsi, l’expérience nous a démontré que la relation entre le PR et le PM, ainsi qu’il est convenu de les identifier dans les allées du pouvoir, débouche presque inéluctablement sur des situations conflictuelles plus ou moins violentes.
Il y a une logique à cela, dans la mesure où le locataire de Matignon ne tarde pas à souffrir du primat de son voisin de l’Elysée et ne tarde pas davantage à considérer qu’il a toutes les qualités pour envisager de lui succéder à la première occasion.
Ce n’est pas toujours le cas, des hommes comme Raymond Barre, Pierre Mauroy ou Jean-Marc Ayrault ayant su garder la tête froide. Mais lorsque cela se produit, il n’en faut pas davantage pour provoquer de véritables déflagrations, comme l’ont démontré, chacun à sa manière, Jacques Chirac et Manuel Valls, pour ne citer qu’eux.
Est-ce ce qu’Emmanuel Macron doit d’ores et déjà craindre ? En tout cas, il aura pris toutes les précautions pour échapper à cet écueil.
En inventant un nouveau scénario : celui qui voit s’installer à Matignon un homme qui n’a ni expérience gouvernementale, ni véritable poids politique.
Ce qui n’est pas forcément suffisant pour brider son éventuelle ambition.
Un PM, 3 mentors
Edouard Philippe a eu la chance de croiser la route de trois hommes – et pas des moindres – qui lui ont beaucoup apporté : Antoine Rufenacht, Alain Juppé et, bien entendu, Emmanuel Macron.
Antoine Rufenacht, qui figura dans un gouvernement Giscard et fut un proche de Jacques Chirac, dont il a dirigé la campagne présidentielle de 2002, n’a eu qu’une véritable passion : sa ville du Havre.
Il lui a fallu près de 20 ans pour y conquérir la mairie et il l’a ensuite totalement transformée et modernisée.
Jusqu’à ce qu’il rencontre le jeune Edouard Philippe et décide de lui céder les clés de l’Hôtel-de-Ville, en se retirant avant la fin de son mandat, puis en s’activant pour qu’il soit bien élu au scrutin suivant.
S’il en attendait la moindre reconnaissance il a dû être déçu, tant Edouard Philippe s’empressa de tout faire pour que ses administrés oublient l’œuvre accomplie par son prédécesseur et bienfaiteur.
Auparavant, Antoine Rufenacht avait également présenté son protégé à Alain Juppé, dont il sut se faire grandement apprécier et à l’égard duquel, en revanche, il ne dérogea jamais aux principes de la loyauté.
C’est Juppé qui nomma donc Edouard Philippe secrétaire général de l’UMP, lorsqu’il créa ce parti, et qui en fit ensuite son porte-parole lors de sa campagne avortée de la présidentielle de 2017.
Toujours inconnu du grand public, Edouard Philippe se fit cependant repérer du personnel politique et apprécié par un autre jeune homme aux dents longues, un certain Emmanuel Macron.
Candidat parfait
Une fois élu à la présidence, celui-ci en vint donc à considérer que son Premier ministre devait correspondre à plusieurs critères : ne pas marquer une rupture générationnelle, venir de préférence de la droite sans être pour autant trop marqué, ne pas avoir une forte notoriété mais ne pas ignorer pour autant la mécanique politique et administrative.
Coup de chance, Edouard Philippe cochait toutes les cases. Ce fut un vigoureux coup de fouet pour sa carrière.
Et une vraie surprise pour l’immense majorité des français. N’était-ce pas la première fois que le chef du gouvernement n’avait jamais siégé… au gouvernement ?
Chacun sa place
La première chose qu’Edouard Philippe a appris, depuis, c’est… l’humilité.
Si Emmanuel Macron lui épargne les formules cruelles que Sarkozy adressait à François Fillon – on se souvient du vachard « mon collaborateur » – il n’a pas pour autant fait la démonstration qu’il le considérait autrement que comme un pâle exécutant.
L’intéressé vient de trop loin pour qu’il puisse déjà s’en offusquer, tout au moins publiquement. Il assume donc. Et il s’exprime sur ce qu’on lui dit, là où on lui dit, d’abord avec un peu de maladresse – terrible interview de rentrée au micro de Jean-Jacques Bourdin, sur RMC – puis avec une assurance de plus en plus avérée.
Ainsi, il impose prudemment son style. Celui d’un grand gaillard un peu frêle mais qui pratique tout de même la boxe et ne se résout pas à raser sa barbe.
Celui d’un type plutôt sympathique qui s’adresse simplement à ceux qui croisent son chemin mais qui sait garder son sang-froid dans les situations difficiles.
Celui d’un politique dont les idées sont clairement à droite mais assez libre d’esprit pour prendre à la légère, presque à la rigolade, son exclusion d’un parti dont il fut pourtant un des pionniers.
L’élève dépassera-t-il le maître ?
Si l’on en croit les études d’opinion, cela plait aux Français. Si l’on regarde ces sondages avec attention, on constate même que le PM y est en meilleure posture que le PR.
Là, il y a danger. La question qui va donc se poser concerne la manière dont Edouard Philippe envisage son avenir.
Rejoindre le parti présidentiel, la République en marche, comme l’a déjà fait celui qui rêve de le déloger, Bruno Le Maire, qui, une fois de plus, a prouvé qu’il n’avait de leçon à recevoir de personne en matière de fayotage. Il s’y perdrait.
Rester hors de toute structure politique identifiée ? Ce n’est pas ainsi que l’on se dessine un destin même à l’ère de la nouvelle politique.
Créer son propre parti ? Il est encore trop pour y songer et son rayonnement est encore bien fragile pour servir de panache de ralliement.
Il n’est même pas acquis que ses amis Refondateurs soient tous décidés à se ranger derrière lui.
Edouard Philippe ne l’ignore pas : rien ne presse mais il convient de ne point trop tarder s’il ne veut pas passer prématurément aux oubliettes.
De plus des sondages bienveillants ne font pas une assise politique solide.
Surtout, il lui faut surmonter cette contradiction dans laquelle il s’est déjà enfermé : s’il reste dans l’ombre du président il va lui être de moindre utilité, s’il en sort, d’une manière ou d’une autre, il va le déranger et l’inquiéter.
On mange bien à Matignon et le parc y est plaisant pour les promenades improvisées, mais la responsabilité y est infernale puisque tous les problèmes du pays y remontent à vitesse accélérée.
Surtout, ce n’est pas le meilleur moyen d’y construire un avenir. Si Edouard Philippe a des doutes sur ce point, Manuel Valls a des choses intéressantes à lui raconter.
Stéphane Bugat