#Diversité. “Les gens qui ont le pouvoir n’ont aucun intérêt à partager leurs privilèges”
Après les violences sexistes dans la presse, la diversité ? Oui, à condition de savoir ce que l’on met derrière. S’il fallait écouter une spécialiste du sujet, ce serait Marie-France Malonga, sociologue des médias. La question, qui fit irruption dans le débat public au début des années 2000, reste la grande oubliée de la lutte contre les inégalités.
N. H-M : La dernière affaire de la “Ligue du Lol” a mis en lumière le sexisme et le cyberharcèlement subis par les femmes dans la presse. Toujours rien sur le manque de diversité… Comment l’expliquez-vous ?
Marie France Malonga : Je ne voudrais pas vous contredire… Mais je ne pense pas que rien ne soit dit concernant ce qui est communément appelé « la diversité dans les médias ».
Ce sujet est devenu une sorte de marronnier dans la presse depuis le début des années 2000.
Tous les ans, nous avons le droit à des articles sur le sujet dénonçant le problème de représentation des minorités dans les médias, notamment en janvier, au moment de la sortie du « baromètre de la diversité » du Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Il s’agit d’un état des lieux du petit écran qui sort annuellement depuis 2009.
Ceci dit, là où je vous rejoins, c’est sur le fait que le sujet ne semble pas préoccuper plus que cela…
C’est comme si les médias et l’opinion publique s’étaient un peu habitués à l’entendre, comme une petite musique à laquelle on ne fait plus vraiment attention ; alors que concrètement, tous les problèmes sont loin d’être réglés et je pense qu’il reste encore beaucoup à faire dans le domaine pour améliorer les choses.
N. H-M : Les mots sont importants. Que pensez-vous du terme « diversité », apparu au début des années 2000 pour parler de la promotion des minorités?
M.F M : Ce terme manque, pour moi, de précision. Sous l’acceptation française, c’est une notion fourre-tout.
Elle inclut plusieurs sujets à la fois : les personnes issues des minorités ethno-raciales, les inégalités-hommes femmes, les seniors, les personnes handicapées, les différences de classes sociales et éventuellement, la question LGBT.
Elle s’applique donc globalement à toutes catégories susceptibles de subir des inégalités.
N. H-M : Mal nommer pour éviter de mettre les pieds dans le plat…
M.F M : Il y a, effectivement, des problématiques communes, mais le terme entretient une espèce de flou artistique. Celui-ci est utilisé pour parler de différentes notions sans vraiment régler la question centrale des inégalités subies par les minorités ethno-raciales.
Cette façon d’appréhender les choses permet aux entreprises de « faire de la diversité » a peu de frais, il me semble.
Par conséquent, si l’une d’entre elles se met à faire une action positive en faveur d’un groupe en particulier (par exemple, les séniors, ou bien les femmes), elle pourra estimer avoir agi « pour la diversité » et se sentira dispensée d’aller plus loin sur d’autres problèmes, notamment celui des inégalités ethno-raciales au sein de son organisation.
Autrement dit, adopter une vision très large de « la diversité » permet aussi de ne pas trop aborder les problèmes qui fâchent ou avec lesquels on ne sent pas très à l’aise.
N. H-M : « Diversité » est un terme euphémistique. Que dit la persistance de son usage ?
M.F M : C’est justement un autre point dérangeant de ce mot. Il permet de ne pas nommer certaines populations et surtout d’éviter d’évoquer directement les inégalités ethno-raciales.
À mon sens, il y a une vraie difficulté, en France, à nommer les personnes que l’on regroupe sous le confortable vocable « issue de la diversité ». Il y a une vraie frilosité à penser même la question.
Dire, par exemple, à propos d’une personne : « elle est noire » ; c’est quelque chose qui dérange dans l’idéologie française au niveau politique et culturel.
N. H-M : Vous parlez « d’écran de fumée » à propos de ce terme…
M.F M : Au fond, on sait très bien que parler de diversité s’applique aux personnes issues de l’immigration : les Noirs, les Maghrébins, les Asiatiques…tout ce qui n’est pas Blanc.
Ce qui est intéressant, c’est que ce sont les Français non minoritaires qui sont dérangés par le fait de qualifier l’Autre – avec un grand « A » – plutôt que les personnes concernées.
Cela montre bien que le malaise vient de la société dominante. Les minorités n’ont généralement aucun problème à se définir avec des termes très explicites.
Cependant, cette terminologie lissée – et choisie par le groupe dominant – est aussi utilisée par les groupes minoritaires eux-mêmes.
Ces derniers intériorisent effectivement souvent ces vocables. Il n’est pas question de reprocher aux minorités de fonctionner comme cela ; ce serait un jugement de valeur.
Ce qui me semble important c’est de chercher à comprendre pourquoi ces termes sont entrés aujourd’hui dans les usages.
Je pense qu’il y a un malaise, en France, à catégoriser racialement une personne donc on évite de d’utiliser des termes qui pourraient qualifier les individus issus des minorités en ce sens. Dans cet esprit, on emploie le mot « diversité » pour masquer la gêne à parler « des Noirs », par exemple, qu’on appelle très souvent « Black ».
Pour une personne d’origine maghrébine, on va plutôt dire « Beur ». Cette terminologie dénote toujours ce malaise français à qualifier l’altérité.
N. H-M : En parlant de promotion de la diversité, on ne parle plus de lutte contre les discriminations…
M.F M : Oui. D’ailleurs, le terme « diversité » a une évocation assez heureuse. Quand on réfléchit, ce mot renvoie plutôt au résultat que l’on voudrait obtenir. En effet, une fois les inégalités réduites, on aimerait arriver à une société plus diverse incluant les différents types de diversités.
Quand on me parle « diversité », personnellement, je pense immédiatement au slogan « United Colors of Benetton » et aux images de publicité associées, illustrant une société joyeuse où tout le monde sourit avec plein de couleurs.
Autrement dit, pour moi, c’est clairement une façon d’évacuer les points conflictuels et au combien problématiques que constituent les discriminations raciales au travail ou à l’école, par exemple.
N. H-M : En presque 20 ans, la « diversité » serait donc restée un artifice, un outil cosmétique…
M.F M : Il y a ce côté marketing, un peu pailletté derrière ce concept. C’est une façon de dire, « je fais des actions et même si cela ne change rien en profondeur, au moins, je l’ai fait !»
Il y a quelque chose de léger qui ne prend pas en compte les problématiques plus ardues.
Les exemples ne manquent pas pour illustrer mon propos. Des mesures comme la « Charte de la diversité » ou les campagnes de communication menées par France Télévisions avec un discours du type « On est toujours meilleurs ensemble », le montrent bien.
On reste dans la paillette et le marketing.
Sauf que s’ouvrir vraiment à la diversité requiert de vrais changements derrière, en termes de recrutement, d’accès aux postes décisionnaires, de lutte contre le plafond de verre, etc.
N. H-M : Certains acteurs de la diversité parviennent à nouer des partenariats avec des entreprises, par exemple. Or, la diversité (et surtout son absence) est éminemment politique. Qu’en pensez-vous ?
M.F M : Je ne suis pas forcément d’accord. On ne peut pas demander à toutes les minorités d’être dans une optique militante. De plus, on peut très bien faire avancer la cause de multiples manières.
D’un point de vue politique, certes, mais aussi en tant que professionnel ou même en tant que simple citoyen.
Même si c’est une question de volonté politique, chacun a son niveau peut faire avancer les choses.
Si l’on prend les professionnels des médias au sens large – comme les journalistes ou bien les acteurs et actrices de fictions ou de films de cinéma, par exemple – très souvent ces derniers ne veulent pas se revendiquer comme militants.
Il y a chez eux, une volonté de se détacher de l’image de l’activiste pour être envisagé, avant tout, comme un professionnel.
Malgré tout, cela n’empêche pas certains d’entre eux d’agir en quelque sorte dans l’ombre, en faisant par exemple jouer leur réseau, en ouvrant leur carnet d’adresses afin que d’autres professionnels issus des minorités comme eux puissent intégrer la sphère médiatique ou celle du cinéma.
N. H-M : C’est le fameux dilemme : être dans le système pour partager ou en dehors pour dénoncer…
M.F M : Oui… Une grande partie des professionnels des médias issus des minorités n’auront pas forcément revendiqué ostensiblement quelque chose mais elles auront fait bouger les lignes en faisant partager leur réseau.
Mais, une chose est sûre : la façon dont cette question a été mise sur le devant de la scène montre que les minorités ont clairement joué un rôle déterminant pour mettre en avant cette question et pour qu’elle soit débattue.
N. H-M : Le 19 février 2000, le collectif Égalité, lancé par Calixte Beyala, écrivaine et Luc Saint Eloy, réalisateur montent sur la scène des Césars appelant à plus de pluralisme dans les médias et le cinéma français. C’est le point de départ de cette prise de conscience qui a lieu, non par progressisme, mais par la lutte des minorités…
M.F M : Oui, c’est exactement cela. On note aussi que le problème de la représentation de la diversité de la société française a commencé par la question média et que celle-ci a ensuite impacté toutes les sphères de la société, notamment le monde politique et aussi celui de l’entreprise.
Il faut savoir que les gens qui ont le pouvoir, qui sont en position dominante n’ont aucun intérêt à partager leurs privilèges. Personne ne partage sa domination par grandeur d’âme.
Si ces questions avancent, c’est parce qu’il y a des luttes derrière. Si les minorités n’investissent pas ces questions, qui le fera ? Cela ne vient pas par progressisme. Ou alors, c’est qu’il y a un intérêt clairement identifié derrière.
Par exemple, quand une entreprise met en place des actions en faveur de « la diversité », elle est avant tout dans une optique business.
Elle se dit évidemment que si sa société est mélangée en termes RH ou en termes de campagnes de publicité ou de communication, elle aura une meilleure image auprès de ses clients.
Ainsi, elle touchera un plus large public et aura donc à termes plus de recettes.
N. H-M : C’est le capitalisme qui va sauver la diversité donc ?
M.F M : Il ne faut pas oublier que la mise en avant des minorités reste une démarche assez libérale au sens propre du terme.
Dans un positionnement de droite et/libéral, on est très ouvert à la diversité. Les origines importent peu pourvu que cela fasse marcher le business.
Dans la pensée libérale, la diversité est un enjeu car c’est un accès à différents types de publics et donc aussi de consommateurs potentiels.
N. H-M : Aujourd’hui, les réseaux sociaux permettent de donner un écho aux combats des minorités. Pour autant, permettent-ils de construire un rapport de force ou l’illusion d’un rapport de force ?
M.F M : Par définition, les minorités sont en position de domination par rapport à un groupe dominant.
Mais, elles peuvent mettre en place des luttes et des stratégies pour être plus visibles, revendiquer des droits, notamment au moyen des réseaux sociaux.
D’autant que tous les groupes dominants, ne sont pas si fermés que cela à la diversité.
Une société a besoin d’une unité et les élites le savent très bien. Si les gens ne sont pas unis autour de valeurs et de principes, s’il y a trop de fractures sociales, elle risque d’imploser.
Le groupe dominant doit donc concéder à répondre à certaines demandes d’égalité pour que la société avance.