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Emmanuel Macron seul en scène

[#Sous un autre angle]

Tous les week-ends, retrouvez une nouvelle chronique de Stéphane Bugat. Pour MeltingBook, il passe au crible un fait de société, économique, politique à la lumière son parcours de journaliste, consultant et auteur de plusieurs livres sur l’actualité politique et sociale.

 

Emmanuel Macron ne s’est pas contenté de l’emporter aux élections présidentielles. Il a réussi à dissoudre – provisoirement ? – toute forme significative d’opposition, qu’elle soit politique ou syndicale. Comme si les organisations qui occupaient précédemment la place, à droite comme à gauche, ne s’étaient pas relevées de leur stupéfaction, n’ayant rien pu faire pour empêcher la soudaine irruption du nouveau chef de l’Etat.

Pour lui, cette situation assez singulière n’est cependant pas synonyme de rente de situation. En témoigne, la faible adhésion qu’expriment les français à son égard, ainsi que les sondages le relèvent.

Il a beaucoup à prouver.

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Sondage publié par La Tribune (Crédits : Statista).

Un autre que lui aurait pu choisir de privilégier la rareté et la hauteur de vue, pour imposer cette image et cette stature Jupitérienne, à laquelle il s’est lui-même référé. Il fait exactement le contraire, comme exalté par une sorte de boulimie de pouvoir, ce qui, au demeurant, répond parfaitement aux attentes d’un système médiatique qui projette et dévore quotidiennement sa dose d’annonces plus ou moins suivies d’effets et d’images plus ou moins fortes et mémorables.

Sans relâche, Emmanuel Macron occupe donc l’espace, loyalement secondé par son Premier ministre, Edouard Philippe. Ils y parviennent d’autant plus ostensiblement que les opposants, on l’a dit, on disparu du paysage, et que les ministres comme les parlementaires de la majorité ne sont encore que des ombres Mais ce n’est certes pas sans risques.

Depuis qu’il s’est installé à l’Elysée, Emmanuel Macron, s’il fait preuve d’une apparente ouverture d’esprit sur certains sujets de société, se conforme implacablement à deux principes absolus.

Le premier porte sur la méthode. Le pouvoir c’est lui et il lui appartient de prendre toutes les décisions pour ce qui concerne la sphère publique.

Le second relève du dogme. La politique mise en œuvre, au-delà des artifices de mise en scène, repose, en effet, sur un but unique : la réduction du déficit budgétaire, conformément à la fameuse règle des 3%.

Cette contrainte est considérée comme le seul moyen d’être entendu par ceux de nos partenaires européens qui ont su imposer leurs dictâtes, à commencer par nos amis allemands. Et qu’on ne compte pas sur les troubles politiques outre Rhin, consécutifs aux récentes élections législatives, pour qu’ils pondèrent leurs préceptes ultra-libéraux.

©AFP.

©AFP.

Emmanuel Macron y est d’autant plus attentif qu’ils sont conformes à ses propres conceptions. Il y voit surtout un excellent moyen, après avoir ainsi fait ses preuves, de peser sur la marche de l’Europe, ce qui est assurément sa plus grande ambition.

La question est donc, pour lui, de savoir comment réussir à concrétiser cette rigueur budgétaire, sans se priver de toute capacité d’action.

Ses prédécesseurs s’y sont tout aussi véhémentement référés, sans jamais atteindre ce qui était déjà, à leurs yeux, une sorte de nirvana. Lui ne l’entend pas ainsi. Dont acte.

Au chapitre des économies, en simplifiant les choses, on peut envisager deux manières de procéder, étant entendu qu’il est exclu d’augmenter les impôts, tout au moins de manière trop voyante.

La première consiste d’abord à distinguer les dépenses d’investissement et celles de fonctionnement. Les unes préparent l’avenir, ce qui devrait les rendre intouchables. Pour réduire les autres, c’est à l’organisation même de l’Etat qu’il faut s’attaquer.  En s’interrogeant déjà sur ses missions et sur la manière dont elles sont remplies. Puis, après les avoir redéfinies et hiérarchisées, en révisant de fond en comble la mécanique administrative.

Après tout, n’importe quel contribuable sait que nos vénérables administrations souffrent de bien des pesanteurs et qu’en  remettant en cause leur mode de fonctionnement elles gagneraient en efficacité. Le problème, c’est qu’une telle réforme de l’Etat, maintes fois annoncée lors des dernières décennies, personne n’est parvenu à la traduire dans les faits.

L’autre manière de réduire le déficit budgétaire, se limite à la froide application des règles et traditions de la comptabilité publique. Autrement dit, on fixe le niveau de baisse des dépenses espérées et on sabre dans tout ce qui dépasse, sans trop faire la part des choses. C’est ce qui a été tenté pour le budget 2018. Ce qui n’a pas empêché chaque ministère de faire jouer ses réseaux d’influence pour échapper aux coups de serpe.

Le ministère de l’Education nationale et celui de la Défense se débrouillent bien à ce jeu là, quoi que l’on pense de leur légitimité à le faire. Le problème, c’est que la plupart des autres ont suivi l’exemple.

Au final, les domaines effectivement sacrifiés se sont raréfiés et, par conséquent, ceux qui le sont trinquent plus que de mesure. C’est le cas des transports et du logement. Des ministères d’infrastructures pour lequel il faudrait justement investir. La rigueur se heurte ainsi à un certain principe de réalité et ce n’est pas la vision d’avenir qui l’emporte.

A plus forte raison si l’on ajoute l’argument de la dette qui pèse sur nos épaules et celles des générations futures.  Au même titre que le déficit est tabou, la dette est honnie. Même si les techniciens de Bercy dont le métier consiste justement à gérer cette fameuses dette affirment qu’ils le font avec discernement, et précisent même qu’il n’est pas absurde d’emprunter alors que les taux d’intérêt sont encore au plus bas, ce qui ne durera pas toujours, bien entendu.

Une valse à 4 temps

Bref, s’étant ainsi privé de marge de manœuvre budgétaire, sans être aussi rigoureux qu’il le prétendait, Emmanuel Macron doit tout de même exister, jusqu’à nous convaincre qu’il engage tout azimut des politiques aussi innovante qu’ambitieuses, même si l’Etat ne dispose pas des ressources  ad hoc.

Pour y parvenir, Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont recours à une sorte de valse à quatre temps, sur le tempo suivant : d’abord décider souverainement, puis présenter les choses comme inéluctables, de préférence en prononçant de longs discours devant des assemblées conviées pour la circonstance, ensuite négocier, seulement lorsque les opinions hostiles s’expriment avec une certaine force, et enfin reculer, si nécessaire, en veillant à ce que le grand public ne s’en aperçoive pas trop.

Ce processus tend à démontrer que la nouvelle politique n’est pas sans ressemblance avec celle que préconisait, par exemple, le très vénérable Edgar Faure, figure… de la 4e et de la 5e République. Avec lui, le volontarisme de façade s’accommodait fort bien du recul pragmatique s’ils était conduit avec suffisamment de brio.

Ainsi, la nouvelle politique à la mode Macron emprunte singulièrement au gouvernement de la parole.

En quelques jours, le président et le Premier ministre, se sont exprimés sur la politique de la ville et des banlieues, sur la mer, sur l’industrie et, en bouquet final, l’un et l’autre, au cours de la semaine écoulée, devant les maires de France qui se trouvaient là pour leur congrès annuel, le centième du nom.

A chaque fois leur propos s’articule de la même manière. Il consiste à affirmer aux interlocuteurs du jour qu’ils sont indispensables et qu’ils font un travail formidable mais que la situation est préoccupante. a cause de ceux qui ont précédemment exercé le pouvoir, bien entendu.

Certes, concèdent alors les orateurs, les mesures prises jusqu’alors par le gouvernement consistent surtout à réduire les moyens de l’Etat, parce qu’il est impossible de faire autrement, comme on le sait. Mais, qu’on se rassure, le même État a clairement conscience de l’importance du secteur en question et va donc le faire bénéficier d’une politique ambitieuse qui, toutefois, ne prendra son envol que dans les années qui viennent.

Pour l’illustrer, on n’est pas avare de promesses en rafales mais, à y regarder de plus près, on y voit essentiellement un exercice de redéploiement budgétaire, le jeu favori des Inspecteur des Finances. En somme, on déshabille Pierre pour habiller Paul et tout le monde doit être content.

Les différents auditoires s’avèrent respectueux face aux prestigieux orateurs et se contentent de ces annonces qui n’en sont pas, ainsi que de la description plus ou moins lyrique des jours meilleurs qui ne tarderont pas, il ne faut pas en douter.

Évidemment, ni Emmanuel Macron, ni Edouard Philippe ne sont dupe de leurs ruses.

Lorsque le Premier ministre affirme, par exemple :

« on n’a collectivement pas fait assez pour l’industrie française qui est désormais au 8e rang mondial, derrière l’Italie, » il sait que ce ne sont pas les annonces regroupées sous l’intitulé « notre ambition pour l’industrie, » qui sont de nature à interrompre la spirale descendante.

Lorsque le président proclame, à Roubaix-Tourcoing : « Il y a une chose qui accompagnera chaque jour le retour de l’Etat dans nos quartiers, c’est la considération, » il sait que c’est bien mais que c’est surtout bien peu.

Dans sa bonne ville du Havre, le Premier ministre constate : « la France n’a pas un trafic portuaire à la hauteur de sa façade maritime, de son marché intérieur et de sa place en Europe. Et je n’étonnerai personne si je dis que si ont ne fait rien, cela ne va pas s’arranger. » Cela étant, il ne propose rien qui permette à notre pays de tirer les avantages qu’il pourrait de cette façade maritime, la deuxième du monde. Et s’agissant de l’aménagement de l’Axe Seine, permettant enfin une liaison efficace entre la métropole du Grand Paris et son port naturel, celui du Havre, vieux et indispensable projet, il confie à un honorable Préfet… une énième mission.

C’est surtout face aux maires réunis en congrès que la méthode Macron a fait preuve de son efficacité et… de ses limites.

Ce n’était pas gagné d’avance, tant le gouvernement a été maladroit à l’égard des élus locaux, ces derniers mois. En témoigne l’annonce d’une série de mesures décidées unilatéralement, et consistant toutes à les priver, directement ou indirectement, d’une partie des moyens dont il disposent.

Le duo de l’exécutif avance “au pas de gymnastique”

L’abandon de 80% de la taxe d’habitation a été suivi par la baisse des APL, puis par la suppression des emplois aidés, etc. Sachant que les collectivités ont appris, par ailleurs, qu’elles allaient devoir économiser 13 milliards, sur trois ans, et non plus 10 milliards comme annoncés précédemment, alors qu’elles ont le sentiment d’avoir été déjà rudement mises à contribution ces dernières années.

Or, Edouard Philippe et Emmanuel Macron, par ordre d’entrée en scène, ont su tenir les propos qui convenaient pour s’éviter une glissade douloureuse sur la corde qu’ils ont eux-mêmes tendus.

Source ©AFP.

Source ©AFP.

Après avoir expliqué aux maires qu’ils allaient certes devoir économiser mais moins que s’ils devaient le faire davantage, après leur avoir affirmé avec des trémolos dans la voix qu’ils étaient indispensables à la République et que rien de ce qui les concernait ne pourrait se décider sans leur aval – c’est pourtant ce qui s’est passé depuis le début du quinquennat – après leur avoir juré que jamais l’idée d’une recentralisation n’avait effleuré l’esprit du duo de l’exécutif, pas même celui des hauts fonctionnaires de Bercy et de l’Intérieur, Emmanuel Macron a grand ouvert la boite à promesses, en veillant à ce qu’aucune d’entre elle n’ait d’effet budgétaire à court terme.

L’essentiel des budgets communaux est assuré par des dotations de l’Etat (en échange de compétences transférées au cours des années) et la quasi-suppression de la taxe d’habitation va priver les maires de la moindre marge de manœuvre ? Qu’à cela ne tienne. C’est la perspective d’une « refonte en profondeur de la fiscalité locale » qui a été agitée devant leurs yeux ébahis.

Ils ne tarderont pas à s’apercevoir que le sujet est si complexe et les intérêts en cause si divergents que la refonte demandera des années, si elle voit jamais le jour.

 

Les maires se lamentent, à juste titre, de l’accumulation des normes qui les pénalisent d’autant plus qu’elles sont appliquées aveuglément sans tenir compte des circonstances. Deux normes supprimées pour une norme nouvelle, promet le président, et des consignes très strictes pour que les fonctionnaires qui les contrôlent fassent preuve de discernement. Cette promesse, d’autres l’ont fait avant lui, presque sans effet, puisqu’elles reviennent à bouleverser les réflexes de ces administrations.

Toujours est-il que le président et son Premier ministre continuent d’avancer au pas de gymnastique, en promettant que tout va bouger mais en étant conscients que rien ne bougera et surtout pas le couvercle de la cassette de l’Etat. Tout cela est brillant, il faut en convenir, mais fragile.

Si le président parvient effectivement à faire ainsi évoluer l’Etat et la société, ainsi, c’est-à-dire à la seule force du discours ou presque, il aura mérité d’entrer dans l’histoire. Dans le cas contraire, ce sont des jours sombres qui s’annoncent, pour lui mais aussi pour nous, tant le réveil des français pourrait s’avérer brutal.  

Stéphane Bugat

Raconter, analyser, avancer.

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