Européennes 2019 : Quels enjeux ? Quelles perspectives ?
Les 47 millions d’électrices·eurs du corps électoral français seront amené·es à départager 34 listes des élections européennes, ce dimanche 26 mai 2019. Marqué par la chute continuelle du taux de participation et un désintérêt chronique tant des médias que des citoyen·nes, ce scrutin apparaît pourtant comme un moment crucial de la construction européenne.
Le Parlement européen paraît bien loin des préoccupations quotidiennes des français·es : son absence d’initiative législative, la recherche permanente du consensus pour dégager des majorités, la domination persistante des partis conservateurs, etc. ne plaident pas en sa faveur.
Brexit, montée inquiétante des national-populismes…
Toutefois, malgré les multiples défauts des institutions européennes, le Parlement européen constitue un des rares espaces communautaires (le seul élu au suffrage universel direct) où s’exerce la délibération démocratique.
Outre son implication dans la désignation du président de la Commission (sur proposition du Conseil européen), l’assemblée, qui se réunit à Bruxelles et à Strasbourg, dispose non seulement d’un certain nombre de pouvoirs non négligeables comme celui d’amendement des projets de règlement de la Commission européenne.
Mais aussi de contrôle avec notamment la possibilité de constituer des commissions d’enquête sur des sujets très variés.
Le maintien du statu quo est devenu impossible
Au-delà de tous ces aspects institutionnels, c’est le contexte mondial et européen actuel très tendu qui rend ces élections déterminantes : Brexit, montée inquiétante des national-populismes, incomplétude structurelle de l’euro, tensions géopolitiques internationales, crise de l’accueil des éxilé·es, lutte contre le changement climatique, etc.
Depuis la création du Parlement européen en 1979, ces élections n’auront jamais été aussi décisives tant le maintien du statu quo est devenu impossible.
Ce qui est en jeu n’est rien de moins que la survie (ou non) du projet européen. Un projet en panne et gravement menacé par l’euroscepticisme avec le risque non négligeable d’implosion de l’Union européenne…
De façon non exhaustive, le Parlement européen (mais pas que !) devra s’atteler en urgence à plusieurs chantiers interdépendants majeurs.
Trouver une issue finale satisfaisante au Brexit
Près de trois ans après le référendum du 23 juin 2016 favorable à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, les négociations n’ont toujours pas abouties.
Chaque partie essaye de tirer le maximum d’avantages de ses tractations.
Pour Theresa May (1), il s’agit d’arracher l’accord le plus favorable possible, notamment sur le plan économique (accès à moindre frais au marché unique), tout en ménageant sa propre majorité parlementaire nationale et éviter la dislocation du Royaume-Uni (Irlande du Nord et Ecosse).
Pour la Commission européenne, il faut se débarrasser d’un membre qui a toujours bénéficié d’un statut particulier en lui faisant payer le prix fort afin de dissuader toute velléité de départ qui pourrait naître dans l’esprit d’autres dirigeants européens.
Mais depuis le déclenchement officiel de la procédure de retrait entamée le 29 mars 2017 par la notification du fameux « article 50 » du Traité de l’Union européenne, c’est l’impasse !
Au point que certains experts en viennent à douter de la possibilité de pouvoir réellement quitter l’Union européenne. Pourtant le départ effectif du Royaume-Uni est un préalable nécessaire pour relancer le projet européen sur des bases claires.
Renouer avec l’idéal européen en réformant les institutions européennes
Si le scrutin désignant les eurodéputé·es attirent si peu de monde – la participation française était quasi-équivalente à celle de la moyenne enregistrée dans les 28 États membres, soit 42 % – c’est parce que les institutions européennes se voient reprocher leur trop grand éloignement des préoccupations quotidiennes des citoyen·nes et leur caractère excessivement technocratiques.
La priorité est donc de combler le déficit démocratique communautaire en rehaussant les pouvoirs jusqu’ici limités du Parlement européen.
Il faudra pour ce faire limiter l’hégémonie de la Commission et rompre avec le fonctionnement intergouvernemental de l’Union, le Conseil européen – c’est-à-dire, la réunion des chefs d’État ou de gouvernement des 28 États membres, complétés du président du Conseil européen et du président de la Commission européenne – fixant pour l’essentiel les orientations et les priorités politiques de l’agenda européen. Vaste programme aurait dit le Général de Gaulle !
Corriger les imperfections de la monnaie unique
Mais la situation se complique au regard de la composition de l’Union européenne, entre un groupe de pays ayant la même monnaie en partage, et les autres.
La crise de 2008 a révélé les défauts de l’euro : sans l’intervention tardive mais massive de la Banque centrale européenne (BCE), la probabilité que l’euro soit emporté par le tourbillon financier était très forte.
La politique monétaire ultra-accommodante, couplée à la mise en place du Fonds européen de stabilité financière et du Mécanisme européen de stabilité (MES), aura réussi à calmer la spéculation sur les taux d’intérêt des obligations souveraines. Mais jusqu’à quand ?
Le bilan pléthorique de la BCE, l’endettement public excessif des États de l’euroland et le sous-calibrage du MES rendent plus que vulnérable l’euro en cas de nouvelles secousses boursières d’ampleur.
Pour “réparer” la monnaie unique et renforcer son architecture incomplète – la BCE demeure la seule institution véritablement fédérale – il faudra impérativement lui adjoindre une réelle gouvernance économique démocratique (gouvernement et parlement) dotée de véritables pouvoirs politiques et de capacités d’intervention discrétionnaires (Trésor et budget) à la hauteur des enjeux. Ou retourner aux monnaies nationales éventuellement reliées par une monnaie commune…
Concrétiser enfin les promesses de l’Europe sociale
Outre sa trop grande distance et son (dys)fonctionnement technocratique, l’Union européenne est régulièrement accusé d’encourager le dumping social à travers la mise en concurrence des travailleurs.
Le différentiel de rémunérations au sein même de l’Union est largement défavorable aux salariés de l’ouest et les placent sous la menace permanente des délocalisations vers l’est.
La réforme de la Directive sur le travail détaché entrée en vigueur le 9 juillet 2018 a marqué un changement timide mais réel qu’il conviendra d’amplifier pour réconcilier l’Europe avec ses citoyen·nes.
D’autres pistes vers l’harmonisation sociale sont à l’étude comme la création d’un salaire minimum européen et l’instauration d’une assurance chômage communautaire.
Quels que soient les mesures progressistes, l’urgence sociale dont le mouvement des « gilets jaunes » en France est une manifestation impose de faire converger au plus vite par le haut les « États-providence. La question fiscale dans une association d’États au sein de laquelle prospèrent encore des paradis fiscaux est bien évidement complémentaire.
Lutter efficacement contre le changement climatique
Face à la menace du réchauffement climatique et l’inéluctable épuisement des ressources fossiles, l’humanité fait face l’un de ses plus importants défis.
Il est dès lors plus que jamais urgent de reconsidérer radicalement à la fois les modes de fonctionnement de nos économies et nos propres styles de vie dans le respect des dimensions écologiques de l’activité humaine.
Les prévisions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat se suivent et se ressemblent : la situation est critique !
On peut difficilement reprocher à l’Union européenne ses ambitions en la matière ; malgré leurs bonnes intentions affichées, l’écrasante majorité des pays européens tardent à “décarboner” leurs économies.
Pourtant, bien négociée, une telle bifurcation décisive fournirait la clef de la prospérité de demain. La transition écologique pourrait, en effet, être une formidable opportunité de développement, à condition de s’insérer dans le cadre d’un nouveau projet de société durable et inclusif.
Il devra reposer sur des principes simples et justes, évitant le fiasco du « marché des droits à polluer ». Si les citoyen·nes font des efforts, il ne faut pas négliger de mettre à contribution ceux qui polluent le plus. Et ces contributions pourront renforcer le financement de la transition écologique.
À cette liste déjà bien garnie, on serait tenté d’ajouter la politique agricole commune, les accords commerciaux internationaux, la défense européenne, les réfugié·es, etc.
Conclusion : le changement, c’est ici et maintenant !
Si comme le déclarait un des pères fondateurs Jean Monnet :
« L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises »…
…celle ouverte en 2008 à la suite de la déflagration financière des subprime n’aura pas suffit à combler les failles béantes de la construction européenne.
C’est « le narcissisme des petites différences » pour reprendre l’expression de Sigmund Freud qui continue à jouer, les dirigeants des États membres privilégiant encore la défense de leurs intérêts nationaux au détriment du projet européen.
Et la reconfiguration probable du Parlement européen pourrait accroître les difficultés ; jusqu’ici quasiment co-administré par le Parti populaire européen et le Parti socialiste européen dans le cadre d’un équilibre politique patiemment construit.
Mais, les déboires de la social-démocratie et la concurrence à droite des partis xénophobes risquent de diviser l’assemblée en plusieurs blocs inconciliables dont la droite nationaliste ; le groupe centriste au sein duquel siègera la liste « Renaissance » soutenue par La République en Marche et les écologistes revigorés par la prise de conscience du défi environnemental.
Faisons le vœu que les élites européennes sauront se montrer à la hauteur de la situation. La capacité à exister et à faire entendre une voix singulière entre les États-Unis de Donald Trump, la Russie de Vladimir Poutine et la Chine de Xi Jinping est à ce prix.
Note : (1) Au moment où l’auteur achevait ce texte, Theresa May prenait acte de son échec et annonçait sa démission de la tête du Parti conservateur pour le 7 juin, entraînant de facto son départ de sa fonction de première ministre…