Femmes et numériques: elles musclent leur jeu
Les femmes prennent le pouvoir. Face à la transformation digitale, les opportunités existent pour celles qui veulent créer une activité.
De l’idée à l’action, il n’y a souvent qu’un clic. Mais gare à l’angélisme. Le numérique, tout le monde lorgne dessus.
Et si la révolution digitale était d’abord celle des femmes ? L’enquête publiée par Girls in the Tech, en février dernier est en tout cas éclairante.
En 2015, sur 261 start-up du digital ayant levé des fonds en 2015, 15% d’entre elles ont été fondé par des femmes. On est encore loin du raz-de-marée mais il faut noter la progression de 41% par rapport à 2014.
Et qui confirme bien que la planète numérique offre de sérieuses opportunités aux femmes, en proie aux inégalités mais aussi à l’autolimitation.
En termes de volume d’affaires, elles ont levé 90 millions d’euros l’an dernier, toujours selon le baromètre Girls in Tech, majoritairement dans le domaine de l’e-commerce, 63% de levée de fonds contre 45% pour les hommes.
Mais si la route reste encore longue pour ces entrepreneuses du numérique, le secteur offre des perspectives concrètes. D’ailleurs, les données recueillies dans le baromètre Girls in Tech le montrent bien.
“Le niveau des levées de fonds des start-up fondées par des femmes a augmenté de 250% en un an alors que le marché dans son ensemble n’a progressé que de 135% “, détaille Audrey Soussan, auteure du baromètre et investisseuse chez Ventech. Les choses avancent donc malgré les freins qui restent encore dominants.
Changer le monde
Si une image fortement masculine reste attachée au secteur du numérique, la situation évolue. D’autant que le digital ne rime pas forcément avec technique.
Ce sont plutôt les stéréotypes qui ont la peau dure.
Salwa Toko, membre de la Fondation agir contre l’exclusion 93, en sait quelque chose. En 2013, elle a initié le projet WiFilles avec une idée très simple : ouvrir le milieu de l’informatique aux jeunes filles.
L’idée lui vient lors d’un événement réunissant les étudiants en informatique pour une compétition. “J’ai été invitée à la remise des prix des 24heures des IUT informatiques”, se souvient-elle.
Surprise de voir l’absence d’équipes féminines, elle prend acte et imagine un programme de 180 heures pour faire coder les filles. Bâton de pèlerin en main, elle lance la première campagne de recrutement en Seine-Saint-Denis.
“Je suis allée rencontrer des collégiennes et lycéennes”. Si les adolescentes paraissent dubitatives face au code, qu’elles assimilent à une passion de garçon, plusieurs se laissent tenter par l’aventure.
En 2015, la première promo WiFilles voit le jour. Sarah, Imène ou Gervina découvrent les joies du code. Une rencontre clé pour ces femmes en devenir. Le code leur donne confiance en elles.
Plusieurs codeuses en herbe, galvanisées, ont d’ailleurs revu leur projet d’orientation après l’expérience. Quand le numérique change un destin.
Conversion professionnelle 2.0
Alex Heuer en sait quelque chose. Fondatrice de l’agence numérique Rouge Le Fil, elle ne se prédestinait pas vraiment à une carrière de développeuse.
Après un baccalauréat littéraire, Alex Heuer étudie la sociologie dans un institut d’études politiques.
Mais un simple stage lui ouvre une opportunité. “J’ai rejoint Ulule, la plateforme de financement participatif comme stagiaire. Ils m’ont proposé un CDI”, explique-t-elle.
Le numérique devient alors son quotidien. Pas à pas, elle prend conscience du champ des possibles offert par le secteur. “Au bout d’un an et demi, j’ai quitté la boite”.
Elle sera développeuse. “Je me suis formée seule car je trouvais dingue que la technique paralyse autant de monde”, relève-t-elle. Elle crée alors sa boite. Entre conseils, formations et construction de sites, Alex Heuer a conquis le marché.
Elle en vit très largement, “50 000 euros/ an de revenus “, selon elle. J’y dédie 50% de mon temps. Le reste est consacré à mes engagements associatifs, notamment”.
Un choix qu’elle ne regrette pas. A tel point qu’elle en explore même pour les aspects.
En 2015, elle co-lance avec ses comparses, Les Glorieuses, une newsletter pour porter haut les voix du féminisme inclusif. ” Les féministes ne sont pas que des blanches CSP+ “, clame-t-elle.
Avec 15 000 inscrits, Les Glorieuses illustrent bien les potentialités offertes par le digital. En terme concrétisation d’idées mais aussi en termes professionnels pour les femmes soumises à une palette d’inégalités.
Un constat auquel souscrit Mauna Traïka, notamment, élue au Territoire Plaine Commune Grand Paris, chargée du développement numérique.
Mauna Traïka avec à sa droite Salwa Toko et Aliex Heuer, Melting’defj, 10 mai 2016
“Le paysage digital est en pleine évolution. De plus en plus de femmes sont intéressées par le secteur. Pas que pour le codage mais pour le e-marketing, par exemple”, souligne t-elle.
Une chance pour l’économie
Pour la conseillère déléguée, également élue à Epinay-sur-Seine, une ville populaire du 93, “l’enjeu du numérique porte aussi sur les questions d’égalité Homme-Femmes, sans parler du levier de croissance économique qu’il représente”.
Face à la transformation digitale en cours, les femmes semblent donc avoir un tapis rouge pour dérouler leurs compétences. Et changer les mentalités.
Comme le souligne Mauna Traïka, “le digital permet de changer les mentalités. Des métiers clichés, comme le secrétariat, vont connaître une forme de cure de jouvence. A travers le numérique, c’est la transformation des métiers à laquelle nous assistons et avec la fin des professions assignés aux femmes”, remarque-t-elle.
Mais cet optimisme ambiant a des limites. Si le numérique ne requiert pas forcément de compétences techniques, ils représentent un atout. Et en la matière, les femmes sont encore loin d’y être nombreuses.
Le numérique, miroir de la société
L’étude MutationnElles-YFactor 2015 menée par Claudine Schmuck du cabinet Global Contact est sans équivoque. Ainsi, dans les filières d’ingénierie, les femmes atteignent péniblement le quart des effectifs. Pire, les résultats penchent pour un net recul de la féminisation des filières scientifiques.
Marie-Amélie Frere (ci-dessous), co-présidente de Girlz In Web, une association créée en 2009 pour développer les carrières des femmes dans le numérique, ne s’étonne pas de cette réalité.
“Il n’y pas d’angélisme du numérique. Toute innovation technologique ne s’accompagne pas forcément d’innovation sociétale”, regrette-t-elle.
Et si elle se satisfait des “90 millions levés cette année par les start-up dirigées par les femmes, elle rappelle que les hommes, eux, ont décrochés 10 fois plus de fonds…”
Face à ce constat, Girlz In Web poursuit son engagement en faveur des femmes dans le numérique. Depuis sa création, l’association s’est fixée plusieurs missions dont la promotion des rôle-model féminins issus du secteur et la normalisation de leur présence dans les événements.
Les effets de leur travail sont palpables. “La communauté Girlz In Web grandit et plus largement, sur Paris la part des femmes a augmenté ces 18 derniers mois dans le secteur”, souligne-t-elle.
Numérique et élitisation
Le numérique donne donc du sens au concept de solidarité féminine. D’autant que la concurrence est rude et les success-stories moins accessibles. “Il y a 5 ans, on pouvait y faire des carrières fulgurantes. Aujourd’hui, la donne a changé”, d’après elle.
En cause, “l’élitisation du secteur” qui tend à devenir un milieu pour privilégiés sociaux. D’ailleurs, tout comme les femmes, les minorités ethnoculturelles sont encore loin de profiter des opportunités offertes par le digital.
Et face à l’intérêt que suscite la révolution numérique, les appétits s’aiguisent. Selon une source dans la finance, “les banques ont du mal à recruter des hauts niveaux. Désormais les polytechniciens voient le numérique comme le nouvel eldorado…” Les temps ont bien changé.
N.H-M
(article paru dans Le Courrier de l’atlas, septembre 2016)