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Imams made in America : les raisons d’un succès en France

Quand les stars de l’islam américain font de l’ombre aux imams français. Ils s’appellent Omar Suleiman, Nouman Ali Khan, Yasir Qadhi ou Hamza Yusuf. Ils viennent de La Nouvelle-Orléans, Dallas, Houston ou Berkeley et sont imams et prédicateurs. Leur point commun : ils remportent tous un franc succès qui ne se dément pas en France auprès des jeunes générations de Franco-musulmans. Melting Book a voulu savoir pourquoi. Focus.

Samedi 10 décembre 2016. Il est 19 heures et à la Mosquée de Tremblay-en-France, en Seine-Saint-Denis, des fidèles se pressent pour ne pas rater l’événement du jour. Le prédicateur américain Omar Suleiman a fait plus de 7700 km depuis La Nouvelle-Orléans aux Etats-Unis pour intervenir au cours d’une soirée consacrée à la vie du Prophète organisée en partenariat avec le Centre des lumières de Mitry-Mory.

Une conférence en anglais avec traduction en français. Comme d’autres, Abdelghani Bentrari, organisateur, est plutôt satisfait de la rencontre. « Ce que j’aime chez lui, c’est son discours pratique.

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Omar Suleiman (au milieu) à la mosquée de Tremblay-en-France, samedi 13 décembre 2016

Il est accessible. On n’est pas dans la théorie éloignée de la réalité ou dans le discours qu’on impose de l’extérieur. C’est aussi une voix apaisée » dit-il.

Omar Suleiman, Nouman Ali Khan et les autres…

Proposer des conférences en anglais dans une mosquée française n’est pas si fréquent au pays de Molière et traduit incontestablement un changement d’attitude des fidèles.

Ce soir-là des hommes mais aussi beaucoup de femmes ont fait le déplacement pour venir écouter Omar Suleiman, l’homme du moment. Mais ce dernier n’est pas le seul à avoir le vent en poupe.

D’autres compatriotes lui partagent la vedette. Ils s’appellent Hamza Yusuf pour les plus connus et depuis plusieurs années, un certain Nouman Ali Khan (NAK) ou encore Yasir Qadhi.

Comment alors expliquer ce succès en France des nouvelles stars de l’islam made in America ?

Pragmatiques, ils répondent aux questions existentielles

Pour les connaisseurs, le profil et la méthodologie de ces prédicateurs tranchent singulièrement avec ceux des imams ou conférenciers en France. Nadiya, une juriste venue écouter l’imam de La Nouvelle-Orléans, s’en explique.

Selon elle, les prêcheurs musulmans américains seraient « très pragmatiques » et répondraient à des questions existentielles. « Ils s’intéressent à des questions que se posent les communautés musulmanes. Leur confrontation entre le texte (Coran ou traditions prophétiques) et le contexte me plaît beaucoup car elle connecte la référence religieuse avec la réalité ».

Un élément de mise en contexte peu fréquent en France où semble prédominer « la règle à tout prix dans la perspective théorique du fiqh (droit et jurisprudence islamique) où l’on ne comprend pas forcément la parole d’ Allah », à l’exception, dit-elle, de quelques figures comme Mohamed Patel.

« Ils ont beaucoup de douceur, de bienveillance et d’humour »

« Ils nous parlent de sujets contemporains sans tabou. C’est extrêmement bien articulé. Nouman Ali  Khan est très pertinent par sa formation en sciences islamiques. Il articule un verset coranique avec un évènement actuel et nous donne des clés de compréhension dans ses tafsirs (exégèse du Coran) en vulgarisant, contextualisant et intellectualisant », confirme Ibtissam, étudiante à l’institut Bayyna, fondé par Nouman Ali Khan, prédicateur moderne très populaire qui officie en costard et harangue les foules.

Autre caractéristique des prédicateurs américains : leur pédagogie. « Ils ont beaucoup de douceur, de rahma (miséricorde), de bienveillance, de compassion et d’humour. Tout est bien dosé dans un prêche harmonieux qui est presque parfait », poursuit Nadiya.

Eclectisme et ouverture d’esprit

Ce diagnostic, Anissa, étudiante en droit, le partage aussi. Elle qui a découvert les prédicateurs Omar Suleiman, Nouman Ali Khan, Ibrahim Zidan ou Zakir Naik au travers de l’émission télé The Deen Show qui émet depuis Chicago, apprécie leur éclectisme.

« J’aime les sujets qu’ils traitent et dont on n’entend pas souvent parler en France. Il y a eu par exemple une vidéo de Numan Ali Khan sur les miracles littéraires du Coran. Ce n’est pas toujours nécessairement lié au Paradis, à la mort ou à l’Enfer. Il y a plus de choix et de diversité dans les sujets qu’ils traitent : Daesh, l’élection de Trump, la question du racisme, celle du mariage mais aussi des témoignages de convertis célèbres, ou encore des sujets sur le statut de Jésus dans l’islam et le christianisme ».

Conférence de Nouman Ali Khan consacrée l’engagement citoyen

Une offre religieuse plus diversifiée et une ouverture d’esprit qui serait directement liée à leur prédication orientée vers les non musulmans. « Ils s’intéressent énormément aux non musulmans dans une démarche de da’wa (prédication) avec un langage et une présentation de l’islam qui est plus accessible. Cette présentation est plus attrayante. C’est une démarche d’invitation que tout le monde peut comprendre ». Par ailleurs, chaque intervenant s’exprime sur un sujet qu’il maîtrise et n’ira pas s’aventurer dans un domaine dans lequel il n’a aucune science. « C’est plus compartimenté », confirme Anissa.

« Chez les Anglo-saxons, on pense que rien n’est impossible »

Facteur de motivation supplémentaire, une certaine mentalité encourageant à l’engagement dans le savoir serait présente dans leurs discours.

« Ils encouragent les jeunes à apprendre la langue arabe, précise Ibtissam, pour mieux comprendre la religion là où en France on encourage aussi à cet apprentissage mais sans grande conviction, avec le doute que cela leur permettent d’accéder à la compréhension de l’islam. Chez les Anglo-saxons, on pense que rien n’est impossible, cela fait partie de leur approche. On est loin des ambiances de querelles entre prédicateurs en France où je n’ai pas trouvé le même intérêt avec des discours déconnectés des réalités ».

Cette contextualisation dont les Américains auraient le secret est en partie le fait d’un parcours de formation polyvalente qui les qualifie à introduire les enseignements religieux dans une mise en situation sociale.

yasser-louatiC’est l’avis de Yasser Louati (photo ci-contre) conférencier et militant engagé contre l’islamophobie qui connait bien l’islam anglo-saxon. « Au niveau des compétences, souvent ces imams conduisent deux cursus, l’un profane (droit, ingénierie, etc) et une formation religieuse qui va se greffer à tout cela. C’est le cas de Yasir Qadhi à la mosquée de Memphis, bardé de diplômes. Ces imams sont hautement qualifiés avant d’être imam », nous dit-il.

« Il y a une respectabilité de l’imam qu’il n’y a pas en France »

Pour autant, la culture américaine n’est pas absente de cette positivité des jeunes prédicateurs américains. Outre la libéralité anglo-saxonne sur le fait religieux, c’est toute la place des immigrés en général qui est valorisé, ce qui se traduit par une considération des imams au niveau local, estime Yasser Louati.

« Le rapport anglo-saxon à la religion n’est pas un rapport d’hostilité comme en France. Le statut de l’imam est plus valorisé, les moyens sont mis pour cela pour que l’imam joue un rôle religieux mais aussi un rôle social. Ce n’est pas rare de voir des imams invités avec le maire, conviés à des réunions de la police locale, assister à des cérémonies de remise de diplômes. Il y a une respectabilité de l’imam qu’il n’y a pas en France ».

« Les musulmans aux Etats-Unis, c’est beaucoup d’avocats, beaucoup d’entrepreneurs, des gens très instruits. Cela se reflète sur leur apparence également et pas seulement dans leur discours. Ils montrent qu’ils sont un pur produit de la société américaine qu’ils ne rejettent pas. Lorsque j’avais travaillé aux Etats-Unis, j’avais été surpris de voir des Irakiens être super fiers d’être Américains. C’est un pays où on valorise l’immigré comme quelqu’un qui apporte de la valeur », développe pour sa part Ibtissam.

Valoriser la communauté sans verser dans le communautarisme

L’apaisement religieux de l’islam américain, une affaire culturelle ? C’est également l’avis de Nadiya. « Les Américains ont une sympathie, une ouverture d’esprit naturelle, ils sont de très bons communicants ».

« Ils ont un discours apaisé car il ne sont pas dans le conflit de culture, ils gèrent très bien leurs identités ce qui leur permet de valoriser la communauté sans verser dans le communautarisme », ajoute Ibtissam qui s’appuie sur son expérience salariale pendant plusieurs mois aux Etats-Unis.

Différence culturelle mais pas forcément générationnelle. « Les jeunes prédicateurs français sont assez déconnectés des réalités, avec une lecture binaire. Les acteurs religieux américains sont davantage sur le terrain et, de ce fait, sont plus conscients des difficultés et des réalités mais aussi des défis ».

C’est ainsi qu’Omar Suleiman s’est illustré en 2005 dans l’accompagnement et l’aide fournie aux sinistrés du cyclone Katrina à La Nouvelle-Orléans. « Il y a un call to action, un appel à l’action dans son discours. Omar Suleiman est un humanitaire et il est engagé dans l’interreligieux. C’est un acteur social qui tisse des ponts avec les autres ».

Dans un autre registre, Hamza Yusuf, lui, est plus connu pour son engagement contre les dérives extrémistes et la prévention du terrorisme. Du prédicateur au « prédi-acteur », il n’y aurait qu’un pas que les Américains franchiraient donc plus volontiers.

Yasser Louati : « En France, la relation avec le religieux est hystérique »

Cette harmonisation, cette intégration comme on dirait en France, aurait donc généré une mentalité de symbiose avec son environnement qu’on ne retrouverait pas en France.

« Dans le discours des musulmans américains, il n’y a pas de schizophrénie. Ils peuvent parler de religion mais aussi de droit et de libertés civiques à l’américaine ou de rapport avec l’Etat. Le religieux n’est pas exclu de la sphère politique. En France, la relation avec le religieux est hystérique ».

Cette dichotomie française entre discours religieux et contexte favoriserait le recours aux imams virtuels et auto-proclamés de l’internet de la part de fidèles frustrés de ne pas trouver de réponses à leurs questions.

« En France, on ne va jamais au-delà de la prière, des ablutions. On ne parle jamais des questions sociales, économiques ou citoyennes. La religion reste confinée à la mosquée et à la maison. Il y a une déconnection totale entre le discours religieux et la vie des fidèles qui ne s’y reconnaissent plus. Résultat, les fidèles se sont rués sur internet vers des prédicateurs auto-proclamés car ils ne trouvaient pas de réponse dans les mosquées », explique Yasser Louati.

Le conférencier estime d’ailleurs que ces ingrédients ont fait partie de la recette fructueuse du succès rencontré par Tariq Ramadan en France. « Si Tariq Ramadan a réussi là où d’autres ont échoué c’est parce qu’il répondait à des questions pratiques et non pas seulement théoriques. Vivre sa religion en tant que musulman occidental. Il était en avance car il incarnait la figure du prédicateur-citoyen, celui qui en parle dans un cadre occidental. Le fidèle quand il sort de la mosquée, peut emporter ce type de discours avec lui ».

Pragmatiques mais traditionnalistes

Pour autant, si les stars de l’islam américain sont le pur produit d’une culture libérale, ils n’en demeurent pas moins attachés à la tradition religieuse.

nadiya« Omar Suleiman n’est pas un réformiste libéral comme Tareq Oubrou, précise Nadiya (photo ci-contre). Il reste traditionnaliste. Sur le voile, par exemple, il va être très franc là où c’est la mode aujourd’hui de dire que cela n’est pas obligatoire, en rappelant que cela reste une obligation religieuse tout en conservant une bienveillance, un soutien et une compréhension sur le fait qu’en effet c’est difficile de porter le voile mais que cela reste obligatoire et qu’il ne faut pas désespérer, qu’après la difficulté vient la facilité ».

Même son de cloche chez Nouman Ali Khan qui encourage la jeunesse à faire des études, à être ambitieux mais pas au détriment de son « dîn » (religion) et de son éthique.

Mais tout n’est pas toujours rose non plus. Les nouvelles stars de l’islam américain sont également sujets à critique et la distanciation géographique arrondit souvent les angles. « Il y a aussi des prêcheurs anglo-saxons que je n’aime pas.

Personnellement, je n’aime pas les prêcheurs agressifs qui parlent fort et vite, alors que d’autres vont apprécier », confie Anissa tandis qu’Ibtissam reconnaît que le « fait de les suivre à distance permet aussi d’échapper aux problématiques internes des musulmans américains car ces prédicateurs ont aussi des détracteurs ».

Fouad Bahri

 

Raconter, analyser, avancer.

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