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James Cohen: “Obama a en partie préparé la voie à l’élection d’un Donald Trump”

James Cohen, professeur à l’Université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle, décrypte pour MeltingBook le bilan en clair-obscur et nuances infinies de Barack Obama.

L’héritage laissé par Barack Obama, premier président noir américain, va-t-il passer à la postérité ? D’autant que le nouveau président, Donald Trump, investi le 20 janvier, le fait déjà regretter, par des mesures à l’apparence erratique.

James Cohen

James Cohen

Que pensez-vous de l’interdiction de séjour imposée par Donald Trump aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane?

Donald Trump a fait campagne sur une interdiction de ce genre et il fallait qu’il fasse « quelque chose » dans les premiers jours de son administration. Mais il s’y est très mal pris et certains membres de son administration ont gravement sous-estimé la capacité des mouvements de défense des libertés civiles, les mouvements antiracistes et les mouvements des droits des immigrés à réagir, à se mobiliser, à bloquer les aéroports etc.  La légalité de la mesure est très douteuse, ce qu’a dit en substance lundi la ministre de la justice par intérim Sally Yates, et elle a été immédiatement renvoyée. La bataille va continuer.

La mobilisation des citoyens américains contre cette mesure est inédite…

Je suis fier de mes milliers de concitoyens qui s’impliquent dans cette lutte avec des immigrés, et dans un esprit d’inclusion, c’est-à-dire contre toute forme d’exclusion sur des critères ethno-religieuses, ethniques/raciales etc.

Ce sont eux qui ont raison : si un pays aspire à être « grand » (c’était le slogan de Trump lui-même), ce n’est pas en érigeant des murs et d’autres obstacles à la mobilité de ceux qui sont appelés à séjourner dans ce pays pour des raisons d’études ou des raisons professionnelles ou familiales.

La surveillance des réseaux terroristes est une affaire de police, il  existe des méthodes d’enquête, mais imposer une interdiction de séjour à des pays entiers – une interdiction aux connotations racistes, islamophobes –  n’en fait pas partie.

On se souvient tous évidemment, du slogan d’Obama lors de sa première élection : « Yes, we can !» En 8 ans de mandat, a-t-il vraiment « pu » ?

Il n’y a pas de réponse simple à cette question. Obama a un bilan mitigé, et de façon tragique d’ailleurs, car il y a un grand écart entre certains aspects de son mandat et d’autres. Si nous évoquons d’abord ce qui a été positif, Barack Obama, a gagné deux élections avec une majorité absolue, et a franchi une barrière symbolique fondamentale aux Etats-Unis en devenant le premier président noir.

Accompagné de sa femme Michelle en tant que « première dame », il a occupé cette fonction avec beaucoup de dignité, d’intelligence, de « classe ». C’est un orateur hors pair.

Mais pour l’aspect négatif, il n’a jamais remis en cause l’ordre social en place. Les inégalités sociales considérables ont à peine diminué.

Il n’a pas fait une politique très différente de celle des Démocrates de la génération Clinton : un peu keynésienne mais de moins en moins social-démocrate. Obama a donc perpétué le néolibéralisme, ne s’y est pas attaqué et de ce point de vue, il a en partie préparé la voie à l’élection d’un Donald Trump.

Donc l’un des signes les plus tangibles de l’échec de Barack Obama est l’élection de Donald Trump ?

Je veux éviter tout raccourci. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’attribuer toute la responsabilité de l’élection de Trump à Obama, mais l’absence de changement social réel est une des raisons de la victoire de Trump.

Barack Obama a sans doute plus brillé par la rhétorique et par les bonnes intentions que par les réalisations. Mais, en même temps, il ne faut pas oublier qu’il a eu affaire à un Congrès hostile, car les deux chambres étaient à majorité républicaine, sauf pendant les deux premières années de son premier mandat.

L’opposition a été très combative, et au lieu d’être aussi combatif, Obama a parié sur de possibles compromis. Il a été trop poli avec l’opposition, qui ne l’a pas épargné. La radicalisation à droite du Parti républicain n’a pas été endiguée.

Pourquoi avoir qualifié ce bilan de « tragique » et de « prévisible » ?

« Tragique » car il y a un décalage aussi entre le fait d’avoir présidé avec cette intelligence et cette dignité et le fait d’avoir si peu fait pour changer les bases de l’ordre social. En termes de réalisations, Obama ne laisse pas un héritage très solide.

L’Obamacare (la loi sur la santé), qui a été l’objectif quasi unique des trois premières années de sa présidence, a été sauvagement attaqué par la droite et dès la première semaine Trump a mis en route son démantèlement.

Mais il est vrai aussi que ce dispositif est plein de failles puisque le rôle du marché privé des assurances reste dominant. La loi qu’il a appelée de ses vœux pour régulariser les immigrés en situation irrégulière n’a jamais vu le jour.


Barack Obama pris à partie en plein discours… par 20Minutes
Malgré les allégations de Donald Trump, “Sous Obama on n’a jamais autant expulsé d’immigrés car il contrôlait mal les polices chargées de gérer le séjour des immigrés”.

Obama a simplement pu accorder un statut temporaire à une catégorie de jeunes immigrés, mais même ce statut risque d’être annulé par Donald Trump.

La précipitation qu’a Donald Trump à démonter, mesure par mesure, le bilan de son prédécesseur n’indique-t-elle pas qu’au final, la politique de Barack Obama n’a jamais été acceptée par une partie du pays ?

Je ne le crois pas. Trump ne travaille pas « pour le peuple » comme il le prétend, il travaille (à sa manière) pour les milliardaires comme lui. Mais Trump a joué habilement sur les frustrations d’une partie de la population, notamment des électeurs blancs (hommes et femmes) vivant dans des zones industrielles sinistrées à cause des délocalisations d’usines.

Les Républicains ont préparé la voie à Trump en se radicalisant à droite ces dernières années et l’un des ingrédients de cette radicalisation, c’est la méfiance par rapport à tout ce qui ressemble, de près ou de loin, au « socialisme » — même l’Obamacare !

L’autre ingrédient, c’est un discours « ethnonationaliste », où le racisme s’exprime dans un langage codé. Trump a capté le soutien de cette minorité de la population qui n’a jamais pu accepter un président noir.

Mais il n’a pas de mandat populaire véritable. Il a eu 2,9 millions de votes de moins que Hillary Clinton, c’est notre système archaïque de suffrage indirect qui lui a permis de gagner. Le soutien populaire ne va pas tarder à lui faire défaut.

Au plan international, est-ce que ses mandats ont constitué une rupture avec ceux de George W. Bush ?

Là aussi le bilan est mixte et difficile à lire pour cette raison. Prenons le cas de l’Irak : Barack Obama s’est démarqué de la guerre menée par son prédécesseur en 2003 et doit certainement une partie de sa victoire en 2008 à cette prise de distance.

Obma Irak

Il a retiré beaucoup de troupes du sol irakien, mais sans retrait total, et en laissant sur le territoire beaucoup de « conseillers ». La politique consistait à miser sur la formation de l’armée irakienne.

Mais les Etats-Unis n’ont pas été en mesure de persuader le gouvernement irakien de sortir de son sectarisme anti-sunnite, ce qui a poussé de nombreux sunnites dans les bras de Daech.

Ce qui a vraiment pourri la situation en Irak puis en Syrie a été la politique de George W. Bush et son vice-président Cheney. Obama a tenté à partir de 2009 de calmer le jeu mais n’a pas été en mesure de le faire. Trump a essayé de reprocher Daech à Obama mais il s’agit d’une déformation grotesque.

Autre bilan ambigu, difficile à trancher : celui du conflit israélo-palestinien. Obama avait des relations exécrables avec Benyamin Netanyahou car il s’opposait au mouvement continu des colonisations dans les territoires occupés et au traitement militaire abominable réservé à Gaza. Mais il n’a pas pu faire changer Netanyahou de comportement.

Netanyahou s’appuyait sur la droite américaine au Congrès contre Obama, il s’est même fait inviter au Congrès des Etats-Unis sans demander l’avis de Barack Obama. Donc, relations très mauvaises.

La charge de Benjamin Netanyahu après la résolution 2334 contre la colonisation israélienne, votée le 25 décembre à l’ONU.

Le paradoxe, c’est que jamais une administration américaine n’a été aussi généreuse avec Tel-Aviv en aide financière et militaire. Ceux qui soutiennent Israël inconditionnellement ont voulu dépeindre Obama comme un président « anti-Israël », mais quand on voit l’aide fournie on voit que c’est faux.

Or, cette logique paradoxale n’est pas nouvelle : à chaque fois qu’un conflit ou une brouille apparaissait, les Etats-Unis compensait en augmentant l’aide.

Obama maintenait l’objectif d’une solution « à deux Etats », donc la création d’un Etat palestinien, mais n’a pas fait grand-chose pour empêcher Israël de miner toute possibilité d’un partage territorial. Avec Trump nous allons vers une politique beaucoup plus frontalement anti-palestinienne puisque l’idée d’un partage est tout simplement abandonné.

L’intervention en Libye contre le régime de Kadhafi en 2011 n’a-t-elle pas illustré la doctrine de Barack Obama du « leading from behind » (le « leadership en retrait ») ?

La lecture que je fais de cet épisode n’est pas celle-là. Il y a une version officielle qui pose qu’effectivement en Libye, les Etats-Unis avaient choisi de ne pas se projeter frontalement dans la guerre, en restant en arrière.

On présente ainsi cette position américaine en soutenant que Barack Obama a eu la modestie de ne pas s’imposer. Mais intervention militaire il y a eu, et en pleine guerre civile, ce qui a conduit à une internationalisation incontrôlée du conflit.

Selon moi, celle qui s’est surtout impliquée dans cette intervention a été Hillary Clinton, en tant que Secrétaire d’Etat (2009-2013). Selon de nombreuses sources, elle s’est laissée entraîner par Nicolas Sarkozy et David Cameron dans un conflit dont Barack Obama aurait fait l’économie.

Mais cela s’est fait quand même. Obama a donc des responsabilités dans ce bilan libyen, particulièrement désastreux.

Cela montre, par-delà Barack Obama, que quoi qu’il arrive, depuis George W. Bush, les Etats-Unis ont perdu leur capacité à jouer les arbitres au Moyen-Orient.

Dans son discours du Caire de 2009 Obama a donné l’impression de vouloir mener une autre politique. Il s’est adressé en termes très conciliants au « monde musulman ».

Discours du Caire de Barack Obama, le 4 juin 2009.

Il a fait aussi un geste similaire en direction de l’Iran, en envoyant chaque année au peuple iranien des vœux de Norouz, le nouvel an perse. Il a donc voulu avoir une approche plus « multiculturelle » du discours en politique étrangère, mais au fond la politique des Etats-Unis n’a pas changé.

En somme, Barack Obama a fait preuve d’une finesse diplomatique en direction des peuples du monde que peu de présidents ont eue, mais les fondements de la politique n’ont pas changé.

Un simple chiffre à opposer à son prix Nobel de la Paix : sous sa présidence, il y a aurait eu 10 fois plus d’assassinats ciblés par drones que sous son prédécesseur ?

Oui, et par là on voit surtout une continuité dans la politique américaine, dans la mesure où Obama s’est laissé entraîner par les nouvelles technologies militaires qui prétendent assurer, du côté américain, « zéro mort ».

Il s’est adapté au « complexe militaro-industriel » et n’a pas essayé de le transformer. Peut-être que les présidents américains ne sont pas en mesure de le transformer car leur autorité n’est pas absolue et l’institution se défend… mais, quand même, le public qui a voté pour Obama pour se débarrasser du militarisme unilatéral de Bush est resté sur sa faim.

A-t-il réussi à restaurer l’image des Etats-Unis bien écornée après les mandats de George W. Bush ?

Dans une certaine mesure oui, parce qu’il a toujours gardé son calme et il a montré l’image d’un pays gouverné par quelqu’un qui est à peu près sain d’esprit. Il n’a pas renoncé à l’usage de la force mais comparé à d’autres il en a usé avec modération.

Malgré toutes les guerres en cours (le pays est resté en guerre pendant les huit ans de sa présidence), il a réussi à améliorer pour un temps l’image d’un pays « lourdaud » et dominateur.

Mais si j’ai fait campagne en 2016 pour le candidat de gauche Bernie Sanders, c’était ma façon de dire que je ne trouvais pas le bilan des Démocrates satisfaisant.

En tant que Démocrate plutôt conventionnel de type Bill Clinton, Obama a été une déception prévisible. En cela je suis d’accord avec l’intellectuel afro-américain Cornel West, dont le bilan des années Obama est surtout négatif, impitoyable même, mais, à mon avis, assez juste. En dépit – encore une fois – de la grande « classe » d’Obama en tant que personnage public.

Propos recueillis par Hassina Mechaï

 

Raconter, analyser, avancer.

Comments (4)

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