Kim Jong-Un : le tyran bien utile
Tous les week-ends, retrouvez une nouvelle chronique de Stéphane Bugat. Pour MeltingBook, il passe au crible un fait de société, économique, politique à la lumière son parcours de journaliste, consultant et auteur de plusieurs livres sur l’actualité politique et sociale.
Il n’était pas là, mais la vedette du jour, c’était bien lui. Et c’est Donald Trump en personne qui, devant les 130 chefs d’Etats présents, à New York, le mardi 19 septembre, pour ce sommet des Nations unies, a assuré ses relations publiques, en le décrivant comme le chef « d’une bande de criminels qui affame son peuple, emprisonne et tue les opposants. »
On imagine la jouissance de Kim Jong-Un se voyant ainsi confirmé dans le rôle d’ennemi numéro un de la toute puissante Amérique.
Inflexible tyran de la troisième génération de ce pays de 24 millions d’habitants, survivants sous un régime communiste version concentrationnaire, Kim Jong-Un, qui vient de fêter ses 34 ans, est indiscutablement un personnage en tout point détestable.
C’est aussi un mystère, derrière ce visage poupon et ce regard vide, lui auquel on ne prêtait pas un long avenir lorsqu’il a hérité du pouvoir, en 2011.
Il faut croire que l’on a eu tort de le sous-estimer, dans son genre dictateur fou, à moins que ce soit le système et la violence avec laquelle il opprime son peuple qui s’avèrent des plus solides.
Toujours est-il qu’il a su donner quelques timides signes de reprises à une économie qui laisse encore dans la misère une grande majorité de la population.
Course au nucléaire
Il a surtout poursuivi et renforcé sa course au nucléaire qui fait de lui une figure marquante parmi les épouvantails que le monde aime redouter.
Une série de tirs de missiles terminant leurs courses dans la mer mais présentés par la propagande nord-Coréenne comme susceptibles de menacer quelques morceaux de terre appartenant aux Etats-Unis, ont fait leur effet.
Donald Trump, dont on connaît la mesure a donc proclamé du haut de la tribune des Nations Unies : « Si l’Amérique doit se défendre, elle et ses alliés, nous n’aurons d’autre choix que de détruire complètement la Corée du Nord. »
Les experts militaires qui adorent gloser considèrent cependant que l’hypothèse d’une attaque nucléaire, même en réponse à une provocation, est des plus improbable, en raison des retombées radioactives difficilement maîtrisables, ainsi que des conséquences en cascades que personne n’est en mesure d’évaluer, le pire n’étant jamais à exclure dans cette hypothèse.
Ils privilégient donc un autre scénario : des frappes aériennes ciblées visant les lieux de pouvoirs et les centrales nucléaires nord-Coréennes.
Dans le premier cas, les effets seraient ravageurs, dans le second, les cibles pourraient s’avérer aléatoires.
Bref, l’alternative n’a rien de rassurant. Quoi qu’il puisse en être, Kim Jong-Un se moque de ces menaces, à moins qu’il soit dupe de son propre délire, lorsqu’il prétend oeuvrer à « l’équilibre des forces, » avec les Etats-Unis.
Il y a pourtant de quoi faire frissonner la terre entière et plus particulièrement les voisins de la cible annoncée, la Corée du Sud, la Russie, le Japon et, bien entendu, la Chine.
Car ils savent que si le scénario improbable du conflit ouvert était tout de même engagé par des dirigeants plus sensibles à leurs hormones qu’aux finesses diplomatiques, ils auraient du mal à échapper aux dégâts collatéraux, de quelque nature qu’ils soient.
Une troublante distance chinoise
Les dirigeants chinois, justement, abordent le cas nord-Coréen avec une distance qui a de quoi troubler.
Officiellement, le bon voisinage est de circonstance et personne n’ignore que la Chine tient à bout de bras l’économie de son allié capricieux.
Capricieux au point de s’être vraiment amendé de l’influence de son puissant tuteur ? C’est la question que l’on peut se poser. Et le Chinois de la rue se la pose explicitement. C’est même sur ce sujet qu’il interroge prioritairement le visiteur étranger, lorsqu’il se sent assez en confiance pour le faire : « croyez-vous que Trump va faire la guerre à la Corée du Nord ? ».
Un jeu de rôle
En fait, nous assistons à un jeu de rôle où chacun occupe crânement sa place, comme indifférent aux conséquences que peuvent avoir ses décisions mais conformément à une cohérence qui lui est propre.
Ainsi, Kim Jong-Un n’a pas de rival dans la posture du méchant que le monde entier déteste et craint. Il adore. Et les sanctions que la communauté internationale multiplie à l’encontre de son régime l’indiffèrent souverainement.
Ne fait-il pas la démonstration de sa capacité à se doter, seul contre tous, des compétences nécessaires à l’installation de l’arme atomique ?
Et son peuple, conditionné depuis des générations à l’idée qu’il faut craindre les foudres de l’ennemi américain ne doute pas que son dirigeant soit le seul en mesure d’assurer sa protection. La peur, rouage essentiel à entretenir assidûment pour la stabilité d’un régime dictatorial.
Ne dit-on pas que le métro de Pyongyang, la capitale nord-coréenne, est le plus profond, à quelques 110 mètres, pour faire office, si besoin… d’abri anti-atomique.
Xi Jinping, le président chinois, on l’a dit, suit attentivement les frasques de son incontrôlable voisin.
Mais il a encore quelques bonnes raisons de ne pas trop s’en offusquer. D’abord, parce qu’il exerce sur lui une surveillance dont on aurait tort de douter. Un million de militaires à proximité de la frontière entre les deux pays mais surtout des réseaux d’influence qui doivent plonger leurs racines jusqu’au très proche entourage du jeune dictateur.
600 milliards de dollars
Plus fondamentalement, les Chinois ne sont pas contrariés de laisser aux Nord-Coréens un rôle de tampon-amortisseur avec les nations asiatiques, au premier rang desquelles la Corée du Sud et le Japon, qu’ils jugent par trop dépendantes de la protection de l’Oncle Sam et, par conséquent, de son bon vouloir.
Quant aux Américains, depuis la fin de la Guerre Froide, ils sont privés d’ennemi héréditaire, de forces du mal. À plus forte raison si l’on considère la manière dont Barack Obama s’est employé à faire rentrer dans le rang l’Iran qui pouvait parfaitement assurer la fonction, surmontant au passage les réticences de la diplomatie Française, alors sous l’influence des néo-conservateurs US.
Or, cet ennemi héréditaire est indispensable, vital même, pour un pays qui consacre, chaque année, plus de 600 milliards de dollars à son budget de la défense. Avec ce que cela implique de profits pour les industries militaires.
Surenchère verbale de Trump
À titre de comparaison, la Chine n’atteint pas le tiers, alors même que son budget pour les armées est en forte croissance, et la Russie, troisième du palmarès, se limite péniblement à moins de 70 milliards.
Pour justifier une telle dépense auprès des contribuable il faut de solides raisons, autrement dit pouvoir désigner une ou plusieurs menaces crédibles dont il importe de se protéger. Tant d’intérêts sont en jeu !
Au-delà des considérations mercantiles, les frasques de Kim Jong-Un et la surenchère verbale de Donald Trump ne prêtent certes pas à la plaisanterie. Et si l’on veut bien ne pas s’en tenir aux apparences, elles conduisent à s’interroger sur l’impact de la folle course aux armements et, plus précisément, aux effets dévastateurs auxquels peut aboutir l’hystérie nucléaire bien qu’elle nous soit encore présentée comme ayant une infaillible vertu dissuasive.
À cet égard, la conséquence la plus proche et certainement pas la moins redoutable que pourrait avoir l’affrontement verbal et médiatique entre Kim Jong-Un et Donald Trump, serait d’inciter la Corée du Sud, doutant de la solidité de la protection des Etats-Unis, à sortir du traité de non-prolifération, s’engageant, à son tour, dans une surenchère suicidaire.
On peut saluer la manière dont Emmanuel Macron, toujours depuis la tribune de l’ONU, a tenté de faire entendre la voix de la raison, en l’occurrence celle de la diplomatie, pour éviter qu’une situation à bien des égards ridicule, dégénère en conflit mondial. C’est encore la seule manière pour la France de se mêler d’un sujet sur lequel elle n’a objectivement guère de raisons de peser.
Il n’ira certes pas jusqu’à remettre en cause, pour ce qui nous concerne directement, le tabou nucléaire à l’égard duquel nos dirigeants successifs font preuve d’un étrange aveuglement. Car cette bombe dont nos stratèges sont si fiers, si on a une certaine idée des dégâts qu’elle peut provoquer, on voit mal qui elle dissuade, de nos jours. Certainement pas les dictateurs fous, en tout cas. N’est pas, monsieur Kim Jong-Un?
Stéphane Bugat