Les crises du Covid 19
[#Partie 1]
Les dégâts causés par le Covid 19 révèlent, en creux, les défaillances de nos systèmes de développement modernes. Si l’urgence est, avant tout, sanitaire, 2020 s’annonce, déjà, une année charnière. Entre crise financière, économique et politique, le coronavirus met à mal l’idée européenne et « la mondialisation heureuse ». Surtout, elle révèle que l’écologie n’est plus une urgence. Mais une nécessité.
Un marché à Wuhan, en Chine. Des animaux dits « exotiques ». Des chauve-souris vendues sur les étals. De la viande de pangolin, aussi. Une mystérieuse épidémie. Des premiers cas avérés en novembre 2019 et non en janvier 2020, comme signalé par les autorités chinoises.
Un premier mort, le 17 novembre. Un homme de 55 ans. Plus de 10 000 cas et 231 décédés, le 31 janvier 2020. Une mise sous quarantaine stricte de la province de Wuhan, le 24 janvier, des dépistages massifs.
Dans un livre à paraitre, Didier Raoult, chef de l’infectiopole de l’hôpital de Marseille qui plaide pour l’utilisation de la chloroquine, écrit :
« la vitesse de réaction des Chinois dans la gestion des épidémies a été stupéfiante en particulier dans son évaluation des molécules anti-infectieuses ».
Le professeur ajoute :
« Ils ont pu rapidement montrer que la chloroquine, un des médicaments les plus prescrits au monde et les plus simples, est peut-être le meilleur traitement des coronavirus et la meilleure prévention ».
A coup de mesures efficaces, jugées par certains, autoritaires, la super puissance parvient à stopper les contaminations. Plus de cas local depuis presque une semaine. Le coronavirus, Covid 19 précisément, ne tue plus. Son foyer s’est déplacé, vers l’Europe et maintenant les Etats-Unis où 83 cas ont été comptabilisés contre 81 000 en Chine.
Vague européenne
Le 31 janvier, deux touristes chinois sont testés positifs en Italie. L’épidémie se répand en silence et le 21 février, la Lombardie enregistre 16 cas le 21 février, puis 21 morts, la semaine suivante.
Le 10 mars, toute la botte bascule dans le confinement. En France, le mot résonne mais de loin.
A cette date, la courbe de l’épidémie et les morts italiens restent des statistiques. Les harmoniques des balcons italiens recouvrent, dans l’inconscient collectif français, la catastrophe qui se joue de l’autre côté des Alpes.
Pas étonnant, quatre jours plus tôt, Emmanuel Macron, président de la République, en sortie au théâtre, déclare :
« La vie continue. Il n’y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées de modifier nos habitudes de sorties ».
A ce moment-là, Macron ne se doute pas (et c’est bien le plus inquiétant) à quel point sa phrase va parasiter le calendrier des mesures à venir.
Parole présidentielle à deux temps
Le jeudi 12 mars, le président s’adressait à la Nation, annonçant la fermeture des écoles et la tenue du premier tour des élections municipales.
Une erreur, confirmée par la suite par les multiples contaminations de président.e.s de bureau de vote et assesseurs. A Drancy, deux conseillers municipaux, Brahim Fellah, 53 ans, et Paule Beaujour, 81 ans, ont succombés au virus. Cette dernière avait tenu un bureau de vote le 15 mars dernier.
A cela s’ajoute, la décision, de fermer tous les commerces non indispensables, annoncée par Edouard Philippe, le samedi soir suivant avant, point d’orgue de ce calendrier, le confinement confirmé dès le lundi 16 mars.
Dans l’esprit de nombreux Français, la parole présidentielle est euphémisée. Le terme « confinement » n’ayant pas été prononcé, beaucoup n’impriment pas les restrictions.
Les grands parcs parisiens sont bondés. Macron et son gouvernement ne saisissent pas la gravité de la situation. Or, comme pour le complotisme (un autre papier à venir), l’exemple vient d’en haut. L’indiscipline serait un trait des Français.
Mais, les contradictions de l’exécutif ajoutées à ses errements sur le sujet produisent un dissociation entre la réalité scientifique dont s’inspire le gouvernement et ce que les Français perçoivent, notamment, sur les réseaux sociaux. Des errements, soyons honnêtes, à mettre aussi sur ces tâtonnements propres à tout scénarii de ce genre, inédits et disruptifs.
Depuis, le pays se dirige vers le pic de l’épidémie. Au 27 mars, 365 décès Covid 19 sont venus grossir les rangs des victimes. Après le Grand-Est, la Seine-Saint-Denis ne compte déjà plus de place en réanimation.
Du côté de nos voisins européens, la déferlante se poursuit en Italie où 712 personnes sont décédées (8215 morts) en Italie, 4145 morts en Espagne, 239 en Allemagne, 477 au Royaume-Uni…Des chiffres éloquents et qui le montre, les pays occidentaux sont particulièrement touchés.
Si le président Macron est moqué pour sa « découverte » de Keynes, on l’a bien vu. L’état est aux premières lignes de la bataille. Là où il voyait des dépenses, il voit maintenant des investissements.
Acculé par la réalité, Emmanuel Macron, depuis l’hôpital militaire de campagne à Mulhouse, a promis « un plan massif », pour le secteur hospitalier, mercredi 25 mars.
Sans qu’aucune modalité ou montant ne soit avancé. Actuellement au front, les soignants l’attendront de pieds fermes, une fois, la tempête passée. Emmanuel Macron n’échappera pas au principe de reconnaissance. Et au retournement du rapport de force ?
A voir les conditions dans lesquels ces héros sauvent des vies, au péril de la leur, relève du service rendu à la Nation. A cette liste de héros, il faudra rajouter toutes les petites mains nécessaires mais invisibles au dépassement de la crise, les caissières de la distribution, les éboueurs, les ouvriers d’usine, les pompiers… Nous sommes en guerre. Aux héros la patrie reconnaissante, donc.
Château de carte
Avec l’heure où la pandémie pousse 2,6 milliard d’individus au confinement, où l’Europe est prise dans un vortex d’amplitude, l’heure est à l’observation. Et à la réflexion.
Quel sens à donner à cette crise ? A ces crises même. Il y a bien le marasme sanitaire. Sur le sujet, la documentation abonde. Mais, une lecture strictement sanitaire de la situation reviendrait à regarder la situation par le petit bout de la lorgnette.
Du covid19 au krach boursier ?
Le lundi 9 mars, la bourse de Paris s’écroule de 8,39%, sa pire séance depuis 2008. Entamé par la crise de confiance dû à la propagation du virus, les bourses dévissent.
A cela, s’ajoute la chute du prix du baril de pétrole. La veille, l’Arabie Saoudite a baissé les prix à la livraison. Une décision qui marque l’échec l’OPEP et ses « alliés », incapables de trouver un accord sur les prix et rend, alors caduc l’accord historique d’Alger, signé en septembre 2016. Si ce lundi noir et les jours suivants, les marchés boivent la tasse, faut-il pour autant y l’apparition du spectre de 2008. Tout dépendra de la réponse des Etats et notamment des institutions européennes.
D’abord parce cette crise sanitaire a mis en exergue tous les travers d’un système construit en domino. Une interdépendance dont les strates nous sautent aux yeux du grand public.
60% du principe actif du Doliprane, à savoir le paracétamol, provient de Chine
Les marchés, ébranlés par l’érosion de la confiance, révèle la façon dont les entreprises du CAC 40 mais aussi des autres bourses européennes sont exposées vis-à-vis de la Chine.
Parmi les domaines dépendants du géant asiatique, puissance mondiale, l’industrie. Qui dit « exposition » dit « dépendance ». Et sur ce sujet, s’il ne fallait qu’un symbole, ce serait le paracétamol dont la production s’effectue principalement en Chine. Pour donner des chiffres, 60% du principe actif du Doliprane, à savoir le paracétamol, provient de Chine.
Le marché des médicaments génériques n’est pas en reste. Si l’Inde est le premier exportateur de générique au monde, 70% des principes actifs sont produits en Chine. Et avec cette crise, le souvenir de l’usine Rhodia, dernière usine de paracétamol en Europe, emportée elle aussi dans les abîmes de 2008, ressurgit de manière retentissante. Ensuite, parce que cette crise financière touche, drastiquement l’économie réelle.
Il faut sauver l’économie réelle.
Malgré les soubresauts des marchés, regarder cette crise par le prisme, uniquement, de la finance serait superficiel. « C’est vrai que l’on savait bien qu’un krach était imminent, explique un expert financier. On vient de vivre la plus longue période de bull market , (montée constante du marché. Donc, coronavirus ou non, ça devait se passer ».
Mais, ces sueurs froides sur les marchés proviennent surtout du délitement de l’économie réelle, annoncée par les mesures prises contre le Covid 19.
A l’inverse de 2008, la crise économique qui se déploie sous nos yeux, ne résulte pas de la financiarisation dite folle mais bien de l’impact concret sur l’économie réelle.
En France, l’activité économique a, ainsi, chuté de 35%. Selon l’Insee, un mois de confinement ferait perdre 3 points de PIB annuel à l’économie française…Concrètement, les experts voient des baisses de 90% de chiffre d’affaires pour les entreprises de l’événementiel, des transports et du commerce de détails.
Depuis l’implantation du virus en Europe, le gouvernement marche, tels des funambule sur un fil suspendu. Entre mesures sanitaires cruciales et décisions économiques incontournables.
Edouard Philippe, Premier ministre, prophétisait, d’ailleurs, « un coup d’arrêt puissant, massif, brutal à l’économie », jeudi 19 mars, devant le Sénat. Une façon de préparer les Français à cette crise économique à venir.
Etat fort vs Etat ferme
Avec un plan à 300 milliards d’euros, l’exécutif sait bien que l’économie est au bord d’un précipice.
En 2008, Nicolas Sarkozy, président de la République avait mis 360 milliards d’euros sur la table pour sauver les banques, sous forme de prêt essentiellement. Une enveloppe quasi-similaire mais dont les enjeux diffèrent.
Aujourd’hui, le plan du gouvernement vise à sauver des emplois et éviter le chômage de masse.
Les mesures inscrites dans la loi d’état d’urgence sanitaire votées au parlement, samedi 19 mars sanitaire, sur le volet économique en tout cas, révèlent un arsenal pour sauver l’économie réelle.
Elles prévoient, par exemple, 45 milliards d’euros pour soutenir les entreprises fragilisées et le chômage partiel induits par la pandémie. Autre mesure, un fonds de solidarité d’un milliard d’euros, financé à 750 millions d’euros par l’Etat et 250 millions d’euros par les Régions.
Autre mesure décriée par l’opposition, la possibilité pour l’employeur d’imposer des congés payés aux salariés pendant le confinement…
Le virus s’arrête -t-il aux frontières de l’UE ?
Dans ce contexte, la fermeture successive et désordonnée des frontières de l’espace Shengen étrille, au moins symboliquement, les principes fondamentaux européens dont la liberté de circulation.
Une aubaine pour les populistes européens pour lesquels la « frontière » reste le préalable à la souveraineté et dont son absence en émascule les états.
Dans un article publié sur The Conversation, l’universitaire Pierre Berthelet recense le dernier ouvrage de l’historien Pierre Delumeau, La peur en Occident. Selon lui, le manque de coordination de l’UE face à la pandémie de Covid19 est la même qu’au moment de la crise des migrants en 2015.
La gestion des frontières avaient, alors, été chaotique. Politique du « laisser passer » (Macédoine du Nord, Serbie, Hongrie) avait conduit à « un goulot d’étranglement à la lisière » des frontières en aval (Hongrie, Autriche).
L’UE emportée par le Covid 19 ?
Slim Thabet, économiste, suit la situation de près. Et s’étonne des non-décisions de l’Union européenne. Il cite, ironique, Jean Monnet : « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ».
Pour l’instant, elle ne semble pas avoir survécu à la bataille des masques. « L’envoi de 650 000 masques aux Italiens par les Chinois, même si ils ont été dérobés en République Tchèque, symbolise bien la façon dont la Chine entend jouer un rôle de premier plan ».
Une aide vécue comme une défiance de la Chine, régime autoritaire mais superpuissance économique, vis-à-vis des démocraties occidentales. Et qui renvoie l’UE, notamment, à ses propres travers, ses propres fractures, ses propres contradictions.
Chacun ses dettes
Dans ce contexte, que pensez de la déclaration de Christine Lagarde, présidente de la BCE ? « La BCE n’est pas là pour resserrer les spreads », autrement dit l’écart entre les taux d’obligation entre l’Allemagne et les autres pays de la zone euros.
Ce jeudi 12 mars, les mots de Christine Lagarde, à la tête de la BCE, font l’effet d’une douche froide. Si l’ancienne ministre de l’économie a depuis précisé sa pensée, ses propos jettent le trouble sur la solidarité entre les pays de l’Union européenne.
Une valeur citée dans les textes, depuis ceux de la communauté européenne du charbon jusqu’à ceux de l’Union européenne.
Pourtant, et c’est bien le paradoxe, elle ne figure au génome de l’UE, elle ne coule pas de source. Si la santé publique reste la compétence des états membres, selon Slim Thabet, économiste, la situation en Italie aurait dû interpeller la communauté européenne.
Or, les déclarations de Lagarde mais aussi la question des masques s’assimilent à un abandon », constate Slim Thabet.
Depuis, les verrous de l’orthodoxie budgétaire européenne ont sauté (suspension des 3% de déficit lié au pacte de stabilité, rachat des dettes publiques et privés à hauteur de 750 milliards d’euros par la BCE). On pourrait y voir les signes d’une réponse, enfin, coordonnée de l’Union européenne.
Pourtant, ces mesures mettent en lumière la limite de l’UE. A savoir, la mutualisation des dettes et le déploiement d’une vraie solidarité des pays du Nord, l’Allemagne en tête de peloton.
« Les états interviennent mais on reste dans des logiques intergouvernementales. Avec cette crise, l’UE avait les moyens de prouver qu’elle existe », regrette Slim Thabet. Pas de corona-bonds (ni de masque, d’ailleurs) demandé par Guisseppe Conte, chef du gouvernement italien.
« Mutualiser la dette aurait été un signal fort de solidarité. Malheureusement, on est dans une logique de chacun pour soi. On a pu sauver les banques en 2008. L’UE aurait pu montrer que la santé des peuples est importante, aussi. »