Loi antiterroriste : vers la suspicion permanente
Tous les week-ends, retrouvez une nouvelle chronique de Stéphane Bugat. Pour MeltingBook, il passe au crible un fait de société, économique, politique à la lumière son parcours de journaliste, consultant et auteur de plusieurs livres sur l’actualité politique et sociale.
On a pu croire, à l’aune de la déjà fameuse et controversée réforme du code du travail, qu’Emmanuel Macron concentrerait sa soif de «transformations» sur le terrain économique et social. Il n’en est rien. Il a également un certain nombre d’idées sur le plan sociétal et institutionnel qu’il veut mettre en œuvre sans tarder, profitant de la discipline encore assez aveugle de sa majorité parlementaire.
Certes, son échec prévisible mais tout de même amer, lors des élections sénatoriales de dimanche dernier, va compliquer l’adoption de son projet de réforme constitutionnelle. Qu’on ne compte pas, en effet, sur la majorité de droite, confortée au sein de la Haute Assemblée, pour accepter sans ciller la baisse du nombre de parlementaires, ou encore le non renouvellement des mandats.
Le président peut évidemment s’en remettre à l’avis direct des Français en procédant par référendum. Les sondages se disent très majoritairement favorables à ces dispositions. Mais il n’ignore pas qu’il y a là grand risque, les mêmes Français ayant pris l’habitude, lorsqu’on leur propose ce genre d’exercice, non pas de répondre à la ou les questions posées, mais de juger celui qui les leur pose.
Or, nul doute d’Emmanuel Macron n’est guère tenté de jauger sa popularité auprès de ses compatriotes, les sondages publiés, semaine après semaine, suffisant à lui inspirer la prudence à cet égard. Autre grand et vaste sujet en préparation, la réforme de la Justice. Elle est en crise.
Toujours est-il que c’est sur un autre front que le gouvernement ouvre les hostilités. Avec une cible dont personne ne contestera l’actualité et la nocivité : le terrorisme.
Emmanuel Macron a alors fait savoir qu’il jugeait déraisonnable d’ajouter une 7e prolongation.
Sage remarque. Plus fondamentalement, il expliquait, lors de son discours devant le Parlement réuni en Congrès, à Versailles, le 3 juillet, être peu tenté, en matière d’antiterrorisme, par l’accumulation de dispositifs juridiques à intentions mécaniquement répressives.
D’abord, tout cela s’inscrit dans un processus long, puisque le premier texte de loi intégrant la notion de lutte contre le terrorisme remonte à 1986. 30 ans.
« Depuis le début de l’année, » a révélé Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur, « ce sont plus de vingt attentats qui ont été fomentés, quatre ont abouti, quatre on échoués douze autres ont été déjoués. » Malheureusement ce qu’il ne précise pas c’est à quoi correspond ce qu’il qualifie d’attentats et, surtout, dans quelle mesure ce qui a été évité l’a été grâce à l’état d’urgence.
Ce qu’il n’indique pas non plus c’est que les 4 300 perquisitions administratives réalisées depuis le début de l’état d’urgence n’ont débouchées que sur 30 procédures judiciaires, ouvertes par la section antiterroriste du parquet de Paris. 30 procédures judiciaires et non ouvertures d’instruction pour terrorisme.
L’HETAIRIE, un think tank particulièrement attentif aux sujets de société, vient de publier une note fort documentée sur cette loi dite loi Collomb (note sur laquelle cette chronique s’est largement appuyée). Y sont soulignés les articles bienvenus, tel celui qui précise les conditions de sécurisation des manifestations publiques. Mais les auteurs constatent aussi que « confrontés à l’impact social et médiatique d’un attentat, les responsables politiques ont préféré superposer les dispositifs afin de se prémunir contre toute accusation de n’avoir pas suffisamment oeuvré. Le projet de loi Collomb en constitue un exemple symptomatique. » C’est ce que confirme la tournure prise d’entrée par le débat à l’Assemblée nationale.
« C’est une loi de désarmement, » s’est écrié Guillaume Larrivé, au nom des Républicains. Rien de moins ! « C’est un changement de nature de notre régime que vous nous proposez en nus faisant entrer dans une « démocrature » autoritaire et discriminatoire, » a proclamé Ugo Bernalicis, pour la France Insoumise.
Ce qui est tout de même assez excessif. Gérard Collomb aura beau jeu d’afficher une posture d’équilibre pourtant largement usurpée, ainsi qu’on vient de la voir. En somme, rien qui puisse vraiment contrarier ceux qui, pour une raison ou pour une autre, sombrent dans le délirant et macabre vertige du terrorisme.
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