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Loi antiterroriste : vers la suspicion permanente

[#Sous un autre angle]

Tous les week-ends, retrouvez une nouvelle chronique de Stéphane Bugat. Pour MeltingBook, il passe au crible un fait de société, économique, politique à la lumière son parcours de journaliste, consultant et auteur de plusieurs livres sur l’actualité politique et sociale.

On a pu croire, à l’aune de la déjà fameuse et controversée réforme du code du travail, qu’Emmanuel Macron concentrerait sa soif de «transformations» sur le terrain économique et social. Il n’en est rien. Il a également un certain nombre d’idées sur le plan sociétal et institutionnel qu’il veut mettre en œuvre sans tarder, profitant de la discipline encore assez aveugle de sa majorité parlementaire.

Certes, son échec prévisible mais tout de même amer, lors des élections sénatoriales de dimanche dernier, va compliquer l’adoption de son projet de réforme constitutionnelle. Qu’on ne compte pas, en effet, sur la majorité de droite, confortée au sein de la Haute Assemblée, pour accepter sans ciller la baisse du nombre de parlementaires, ou encore le non renouvellement des mandats.

Le président peut évidemment s’en remettre à l’avis direct des Français en procédant par référendum. Les sondages se disent très majoritairement favorables à ces dispositions. Mais il n’ignore pas qu’il y a là grand risque, les mêmes Français ayant pris l’habitude, lorsqu’on leur propose ce genre d’exercice, non pas de répondre à la ou les questions posées, mais de juger celui qui les leur pose.

Or, nul doute d’Emmanuel Macron n’est guère tenté de jauger sa popularité auprès de ses compatriotes, les sondages publiés, semaine après semaine, suffisant à lui inspirer la prudence à cet égard. Autre grand et vaste sujet en préparation, la réforme de la Justice. Elle est en crise.

Le président de la République lors du Congrès de Versailles, le 3 juillet 2017. Il avait, alors, annoncé que lèverait l’état d’urgence à l’automne  tout en prévoyant des “dispositions nouvelles qui (nous) renforceront dans nos libertés”.

Crise de reconnaissance et surtout crise de moyens. Prisons sinistrées, tribunaux en ruines, magistrats débordés et découragés, etc.
Le paysage est désespéré et les justiciables le savent bien qui sont les premiers à en souffrir. Après avoir reculé sur les premières annonces de réductions budgétaires qu’il aurait d’ailleurs été difficile de mettre en œuvre sans compromettre gravement le fonctionnement même du système judiciaire, le président a confié le soin à sa Garde des Sceaux de présenter une loi de programmation.
Elle sera connue à la fin de l’année. Le procédé est connu. En projetant plus loin le regard on évite de trop s’attarder sur les difficultés immédiates, même si elles risquent de vous faire trébucher. Surtout, une promesse d’étalement de l’effort n’est pas forcément suffisante lorsque les besoins sont si criants.
Toujours est-il que c’est sur un autre front que le gouvernement ouvre les hostilités. Avec une cible dont personne ne contestera l’actualité et la nocivité : le terrorisme.
La France étant traumatisée par les attentats du 13 novembre 2015, François Hollande avait déclaré l’état d’urgence.
L’opinion publique avait approuvé cette décision, même si certains juristes et des techniciens de l’antiterrorisme faisaient déjà remarquer que cette réponse relevait surtout de l’affichage médiatique et politique. Cet état d’urgence n’en fut pas moins prolongé à 6 reprises. La dernière échéance étant fixée au 1er novembre prochain.
Emmanuel Macron a alors fait savoir qu’il jugeait déraisonnable d’ajouter une 7e prolongation.
Sage remarque. Plus fondamentalement, il expliquait, lors de son discours devant le Parlement réuni en Congrès, à Versailles, le 3 juillet, être peu tenté, en matière d’antiterrorisme, par l’accumulation de dispositifs juridiques à intentions mécaniquement répressives.
« Le code pénal tel qu’il est, » déclarait-il, « les pouvoirs des magistrats tels qu’ils sont, peuvent, si le système est bien ordonné, bien organisé, nous permettre d’anéantir nos adversaires. Donner en revanche à l’administration des pouvoirs illimités sur la vie des personnes, sans aucune discrimination, n’a aucun sens, ni en termes de principes, ni en termes d’efficacité. »
Il faut croire que son pertinent diagnostic n’était pas d’une totale sincérité, puisque c’est quelques jours auparavant, le 22 juin, que le gouvernement a proposé à l’examen du parlement un projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme », qui, sur un certain nombre d’aspects importants vise tout simplement à instaurer dans le droit commun des dispositions figurant dans l’état d’urgence qu’il n’est effectivement plus question de prolonger indéfiniment.
A défaut de prétendre ici se livrer à une analyse pointilleuse de ce texte, on peut au moins avancer quelques remarques.
D’abord, tout cela s’inscrit dans un processus long, puisque le premier texte de loi intégrant la notion de lutte contre le terrorisme remonte à 1986. 30 ans.
Depuis les lois se sont ajoutées aux lois, toujours plus répressives, toujours plus restrictives pour les droits de chaque citoyen, sans pour autant que les nouveaux textes soient justifiés par une étude précise de l’impact du texte précédent, au regard des objectifs suivis.
C’ est encore le cas cette fois. On n’analyse pas ce qui a été fait et comment, on répond à la peur de l’opinion qui n’est certes pas sans motifs, par une surenchère répressive.

« Depuis le début de l’année, » a révélé Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur, « ce sont plus de vingt attentats qui ont été fomentés, quatre ont abouti, quatre on échoués douze autres ont été déjoués. » Malheureusement ce qu’il ne précise pas c’est à quoi correspond ce qu’il qualifie d’attentats et, surtout, dans quelle mesure ce qui a été évité l’a été grâce à l’état d’urgence.

Ce qu’il n’indique pas non plus c’est que les 4 300 perquisitions administratives réalisées depuis le début de l’état d’urgence n’ont débouchées que sur 30 procédures judiciaires, ouvertes par la section antiterroriste du parquet de Paris. 30 procédures judiciaires et non ouvertures d’instruction pour terrorisme.

Une telle distorsion souligne en creux les conséquences qu’ont pu avoir les perquisitions sans suites, bousculant la vie de gens qui n’avaient donc rien à se reprocher.
La répression contre le terrorisme et même sa rudesse ne fait pas débat.
On peut même comprendre qu’elle justifie des actions différentes de celles relevant du droit commun.
Ce dont il y a lieu de s’inquiéter, c’est du constant amoindrissement du droit de la preuve, autrement dit le triomphe de « la loi des suspects ».
Le corollaire, c’est le prima de la police administrative sur le judiciaire, y compris lorsque l’autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD) est requise pour des perquisitions et saisies documentaires, sans qu’il dispose forcément des éléments nécessaires pour déterminer sa décision.
On peut également s’inquiéter qu’un mécanisme propre au droit des étrangers pour que l’assignation à résidence puisse devenir applicable à des citoyens français.
Plus généralement, il est frappant de constater que ce projet cède à la tendance au pointillisme qui fait que nos lois sont de plus en plus bavardes, donc incompréhensibles et pas seulement pour le commun des mortels. Ce faisant, elles prêtent le flanc à divergences d’appréciation, donc à des contestations et des contentieux. Dans le cas présent, en truffant chaque article de détails et précisions, on espère se mettre à l’abri d’une désapprobation du Conseil Constitutionnel. Ce n’est pas un motif très recevable.

L’HETAIRIE, un think tank particulièrement attentif aux sujets de société, vient de publier une note fort documentée sur cette loi dite loi Collomb (note sur laquelle cette chronique s’est largement appuyée). Y sont soulignés les articles bienvenus, tel celui qui précise les conditions de sécurisation des manifestations publiques. Mais les auteurs constatent aussi que « confrontés à l’impact social et médiatique d’un attentat, les responsables politiques ont préféré superposer les dispositifs afin de se prémunir contre toute accusation de n’avoir pas suffisamment oeuvré. Le projet de loi Collomb en constitue un exemple symptomatique. » C’est ce que confirme la tournure prise d’entrée par le débat à l’Assemblée nationale.

« C’est une loi de désarmement, » s’est écrié Guillaume Larrivé, au nom des Républicains. Rien de moins ! « C’est un changement de nature de notre régime que vous nous proposez en nus faisant entrer dans une « démocrature » autoritaire et discriminatoire, » a proclamé Ugo Bernalicis, pour la France Insoumise.

Ce qui est tout de même assez excessif. Gérard Collomb aura beau jeu d’afficher une posture d’équilibre pourtant largement usurpée, ainsi qu’on vient de la voir. En somme, rien qui puisse vraiment contrarier ceux qui, pour une raison ou pour une autre, sombrent dans le délirant et macabre vertige du terrorisme.

Stéphane Bugat

Raconter, analyser, avancer.

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