Loi sur les “fake news”, ce que vous devez absolument savoir
C’était l’un des voeux d’Emmanuel Macron : une loi contre ces “fausses informations” qui pullulent sur le net. Bannir les “fake news”, oui. Reste à déterminer le vrai du faux ? Et surtout, qui s’en chargera… Sans quoi le couperet de la censure tombera sur les sites d’information en ligne, notamment sur les médias alternatifs et indépendants.
Serait-ce le retour d’Anastasie pour la presse en ligne ? Le projet de loi visant à combattre les “fausses informations” ne cesse d’inquiéter journalistes et défenseurs des libertés publiques.
Fini le terme “fake news”
La définition des “fausses informations” contenue dans la proposition de loi LREM sur les “fake news”, a été adoptée en commission, mercredi 30 mai 2018. Elle sera examinée le 7 juin, à l’Assemblée nationale.
Lors de l’examen du texte en commission des Affaires culturelles, certains articles ont été réécrit par le rapporteur LREM Bruno Studer. Les députés ont en partie réécrit la proposition de loi. On ne parlera plus de lutte contre les“fausses informations” mais “contre la manipulation de l’information”.
La loi se bornera à la période électorale
La loi cible uniquement “la période électorale” (durée 3 mois). L’objectif annoncé : préserver la sincérité des scrutins. Une question légitime se pose : pourquoi borner le texte à la période du scrutin ?
Dans le détail, le texte contient « des dispositions destinées plus largement à lutter contre des services ‘‘influencés’’ par l’étranger et qui porteraient atteinte aux ‘‘intérêts fondamentaux de la Nation » ou participant à une « entreprise de déstabilisation de ses institutions », alerte la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), dans un communiqué publié le 25 mai.
#fakenews : La CNCDH s’inquiète des deux #PPL visant à lutter c/ les #faussesinformations. Il est indispensable que les parlementaires en modifient la rédaction au risque d’ouvrir une « boîte de Pandore » qui va mettre à mal la liberté d’ #expression et le droit à l’ #information pic.twitter.com/GM0dhXVYi3
— CNC Droits homme (@CNCDH) 26 mai 2018
>> Lire le communiqué : Lutte contre les fake news des risques pour la liberté d’expression et le droit à l’information
François-Bernard Huyghe, directeur de recherches à l’IRIS, spécialiste des stratégies de l’information déclarait récemment à Atlantico :
“Le problème du projet de loi est qu’il se dote en même temps du pouvoir d’agir ou de faire retirer des médias étrangers. Cette loi a cédé à la tentation de sanctionner des opinions opposées. Car reste dès lors la vraie question : qu’est-ce qu’une fake news ? La notion de manipulation d’information est vague. On ne manipule pas une information, mais des gens”.
La CNCDH a, quant à elle, bien mis en évidence l’urgence d’alerter les parlementaires sur les atteintes à la liberté d’expression et de la presse, et le droit à l’information portées par certaines dispositions de ce texte.
Quelle définition de la “fausse information” a été adoptée par la commission ?
Pour bien comprendre, il convient de revenir sur la genèse de ce projet LREM. Il a été formulé par le président E. Macron et annoncé lors de ses voeux à la presse, le 03 janvier 2018. Cette loi peut-elle mettre en péril le droit à l’information des Français, la liberté d’expression et de la presse ?
Adoptée par l’amendement AC16, la définition stipule qu’une fausse information renvoie à :
“Toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable constitue une fausse information.”
La définition d’une “fausse information” adoptée : il s’agira de “toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable.”#DirectAN #FakeNews cc @NaimaMoutchou pic.twitter.com/F4oxhwcBsX
— LCP (@LCP) May 30, 2018
Ambiguïté des termes
Arrêtons-nous sur cette définition. Déjà, “éléments vérifiables”. Le hic ? Vérifiabilité il y a, si et seulement si on a défini au préalable les conditions matérielles de vérification qui peuvent faire défaut et des conditions idéales. Autrement, sur quelle base tangibles pourrait-t-on distinguer ce qui relève du faux ?
“Vraisemblable”, là encore, il y a ambiguïté. Est “vraisemblable” ce qui “semble vrai”, possible, envisageable au regard de ce qui est communément admis. En d’autres termes, ce qui ressemble le plus à la réalité, à la vérité. Là encore, comment déterminer ce qui est communément admis pour une information donnée ? Le texte laisse une grande part à l’appréciation et à l’interprétation et manque de précision.
Or, la presse n’est pas censée relayer ce qui ressemble le plus à la réalité ou la vérité… mais bien la vérité et la réalité tout court, se basant sur des faits tangibles.
Le juge des référés sera chargé de statuer
C’est la grande nouveauté de ce projet : l’introduction d’une nouvelle procédure de référé destinée, en période électorale, à faire cesser au plus vite la diffusion de « fausses informations ». L’objectif de stopper au plus vite la “viralité” du dit “faux contenu” sur web.
Chose, soit dit en passant, bien difficile à mener (voire impossible)… Si tant est qu’on est pris en compte la rapidité de diffusions de contenus via les réseaux sociaux, les systèmes de messagerie instantanée sur smartphone et la consommation de l’information de ses concitoyens, en 2018.
Cette procédure en référé est doublement inquiétante. En effet, elle pourra donner lieu à des tentatives d’instrumentalisation dans le cadre de la campagne électorale, engendrant de la confusion auprès des électeurs.
Surtout, le juge sera appelé à statuer dans les très brefs délais. Il devra se prononcer sous un délai fixé à 48 heures (cf. Art. L. 163-2. – II). Un contexte qui viendra compliquer sa démarche d’examen et son appréciation.
La compétence exclusive sera donnée au tribunal de grande instance de Paris. Le juge “pourra ordonner le déréférencement du site, le retrait du contenu en cause ainsi que l’interdiction de sa remise en ligne, la fermeture du compte d’un utilisateur ayant contribué de manière répétée à la diffusion de ce contenu, voire le blocage d’accès au site internet. Ces mesures seront librement appréciées par le juge sous réserve de leur adéquation et de leur proportionnalité au regard de la liberté d’expression”, précise le projet de loi.
Renforcement de la police des médias
En l’état, le texte reste une “boîte de Pandore” pour reprendre les termes de Christine Lazerges, présidente de la CNCDH, “qui risque de mettre à mal la liberté de la presse”.
De nouveaux pouvoirs sont conférés au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Il pourra “suspendre ou de mettre fin à la diffusion de services de télévision contrôlés par un État étranger et qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participent à une entreprise de déstabilisation de ses institutions.”
“Le CSA pourra refuser un conventionnement à une chaîne lorsqu’elle est liée à un État étranger dont les activités sont de nature à gravement perturber la vie de la Nation, notamment par la « diffusion de fausses nouvelles », notion qui figure déjà dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Afin de saisir la grande diversité des situations qui peuvent se présenter, le dispositif vise non seulement les chaînes contrôlées au sens du code du commerce, mais également celles qui sont « sous l’influence » d’un État étranger, notion beaucoup plus large qui devrait être appréciée à l’aide d’un faisceau d’indices. Enfin, il autorise le régulateur à prendre en compte les agissements de l’ensemble des sociétés liées à la société éditrice de la chaîne et les contenus édités sur tous les services de communication au public par voie électronique (notamment les réseaux sociaux ou les sites de presse en ligne) afin de lui permettre de saisir l’ensemble des stratégies qui pourraient être mises en place par certains États.”
“Faisceau d’indices”, “sous l’influence”, les termes manquent (volontairement ?) de précision.
La CNCDH dénonce le “caractère très vague de ces nouveaux motifs d’intervention du CSA, pour lesquels d’ailleurs les « fausses nouvelles » ne sont mentionnées qu’à titre indicatif. L’étendue des pouvoirs de police administrative ainsi confiés au CSA menace de porter atteinte au pluralisme des médias, de manière d’autant moins justifiée que le code pénal offre déjà les moyens de poursuivre des agissements représentant des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation. “
“Trumpisation” de l’information
Dans l’exposé des motifs (lire intégralement la proposition de loi ici), il est noté :
“l’actualité électorale récente a démontré l’existence de campagnes massives de diffusion de fausses informations destinées à modifier le cours normal du processus électoral par l’intermédiaire des services de communication en ligne.”
Le candidat Emmanuel Macron fut la cible aussi de “fausses informations”. Par exemple, lors de la sortie des « Macron Leaks ». L’enquête révélant les dessous de la campagne de l’actuel président, a également été accompagnée de rumeurs et de faux documents.
La reprise de l’expression anglaise “Fake news” évoque celle de Donald Trump, fervent utilisateur du terme. Le président américain a même fait de son hostilité à l’égard des journalistes et des médias, une marque de fabrique. Au lendemain de son investiture, lors d’une visite au siège de la CIA, D. Trump déclarait : « Comme vous le savez, j’ai une guerre en cours avec les médias. » Et de soutenir que les journalistes comptaient « parmi les êtres humains les plus malhonnêtes du monde ».
En France, la “trumpisation” des informations est-elle déjà en marche ? Tant sur le fond, que sur la forme, le projet de loi soulève de nombreuses problématiques qui pèseront sans doute sur le travail des journalistes. Quid des dérives ?
Techniquement, il s’agira aussi de s’appuyer sur les GAFA (ndlr, les géants du web Google, Apple, Facebook, Amazon). Comment ? Grâce au déréférencement, en les sollicitant pour mettre aux oubliettes fissa les contenus jugés comme faux. En somme, un pouvoir stratégique déjà réel, le tout mené dans un cadre légal. To be transparent sur les méthodes de collaboration or not to be ? Comment le citoyen peut être sûr que les dissidents ne seront pas exclu de ses réseaux de communication et du débat démocratique ?
Sarah Hamdi
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