Macron, paroles de président
Tous les week-ends, retrouvez une nouvelle chronique de Stéphane Bugat. Pour MeltingBook, il passe au crible un fait de société, économique, politique à la lumière son parcours de journaliste, consultant et auteur de plusieurs livres sur l’actualité politique et sociale.
C’était un événement médiatique de premier ordre. Si, si, je vous assure. Emmanuel Macron acceptant de s’abaisser à répondre aux questions des journalistes, on allait voir ce qu’on allait voir.
Et d’ailleurs, si l’on en croit les sondages, plus de 9 millions de téléspectateurs ont suivi ce moment dont il y avait tant à attendre.
En effet, nous expliquait-on, notre jeune et fringant président est adepte d’une parole rare, manière pour lui de démontrer à l’opinion publique, forcément admirative, qu’il vogue sagement et paisiblement au dessus des contingences quotidiennes afin de mieux fixer le cap du navire France.
Manière aussi d’appliquer la théorie et la règle que l’on prête à Jacques Pilhan et qui furent effectivement suivies avec un certain bonheur par François Mitterrand puis par Jacques Chirac. Manière enfin de se mettre à l’abri des bruissements insignifiants dont les médias aiment tant faire des tempêtes renversantes.
En fait, Emmanuel Macron a surtout retenu la leçon à tirer des mésaventures de son prédécesseur qui, son quinquennat durant, a passé une bonne part de son temps à abreuver les journalistes de confidences et de commentaires qu’ils se sont empressés de colporter, de préférence en les déformant. On a sa conscience professionnelle, tout de même !
Le résultat est connu. Et le même François Hollande, passé à la trappe de sa propre initiative mais décidément incurable, n’a rien changé à sa pratique de la petite phrase, dont l’impact, s’il est moindre, est tout aussi négatif.
Bref, le président Macron s’est convaincu de la nécessité de maîtriser son expression, sans pour autant nous en priver.
Car, depuis son installation à l’Elysée, pratiquement pas un jour sans qu’il paraisse et parle, à grand renfort d’images, d’autant plus spontanées qu’elles sont soigneusement mises en scène, de discours ou… de petites phrases, pas toujours très heureuses, d’ailleurs. Que voulez-vous, quant on veut faire moderne, on ne peut ignorer le buzz.
Pour nous, simples et obscurs citoyens, la nouveauté, ce dimanche soir, n’était donc pas qu’Emmanuel Macron nous fasse part de sa façon de penser, nous éclaire sur les merveilleuses perspectives que doit nous laisser entrevoir la politique qu’il met en œuvre, mais bien qu’il s’abaisse à la faire en répondant, en direct, à des journalistes, dont il avait assurément à craindre la pertinence et l’insolence.
Pauvres journalistes !
Cette insolence, si elle correspondait à leur intention, ils n’ont guère eu l’occasion de l’afficher. La raison en est simple. Il a suffit de quelques minutes pour que l’interview se transforme en allocution et les interviewers en faire valoirs.
Et c’est bien ce qui a frappé pendant cette heure de causerie télévisuelle. Emmanuel Macron adore s’écouter parler et ne s’en prive pas. Les mots coulent de sa bouche comme un paisible filet que rien ne saurait interrompre, même si sa voix quelque peu haut perchée dans les aigus ne facilite pas l’audition.
Et son visage épanoui que tant de femmes trouvent si avenant, rayonne de l’intense satisfaction que procure chez lui l’énoncé d’une pensée, la sienne, tellement éblouissante et – qui saurait en douter ? – supérieure à celle de ses contemporains.
En cela, il se distingue des orateurs qui ont marqué l’histoire de la République. Ces personnages qui se sont construits au long d’un périlleux parcours durant lequel il leur a fallu apprendre à convaincre – donc d’abord à écouter et à comprendre – les auditoires les plus variés et les plus revêches.
Cet héritage aussi Emmanuel Macron le balaye d’une revers de main. N’a-t-il pas été formé aux meilleures écoles ? N’a-t-il pas été reconnu et intronisé par les plus notoires représentants de nos élites triomphantes ? N’a-t-il pas été élu chef de l’Etat à 39 ans ?
Qui lui parle de convaincre alors qu’il lui suffit de piocher quelques références dans sa culture aussi encyclopédique que digeste pour éclairer les pauvres mortels qui lui ont confié la conduite de leur chaotique destin ?
A cet égard, il est intéressant de noter l’insistance avec laquelle il nous a répété à maintes reprises que nous lui avions confié un mandat pour mettre en œuvre le programme qu’il avait développé durant la campagne électorale. Étrange interprétation du scrutin qui l’a vu l’emporter.
Autant Emmanuel Macron serait fondé à revendiquer la légitimité que lui donnent les institutions pour agir à sa convenance et en conscience, dès lors qu’il a, pour cela, l’appui du Parlement, autant l’idée selon laquelle il disposerait d’un mandat explicite sur les actions à entreprendre est pour le moins abusive.
Ce mandat il l’a en effet obtenu de 24% des électeurs qui savaient à quoi s’en tenir, au premier tour. En revanche, les voix qui se sont portées sur son nom au second tour étaient, pour une bonne part d’entre elles, guidées par une toute autre motivation : faire barrage à la candidate de l’extrême droite, est-il nécessaire de le rappeler ?
Prétendre qu’elles ont de la sorte validé son projet politique dans ses détails est, au mieux, une forme d’inélégance, au pire, un abus d’intention. En poussant le raisonnement, on pourrait aussi y voir le signe d’un doute sur sa capacité à concrétiser cette politique dont il se veut porteur.
C’est effectivement ce que nous disent les sondages qui l’ont prématurément plongé dans l’enfer de l’impopularité. Sondages qui nous indiquent notamment qu’Emmanuel Macron est déjà considéré comme « le président des riches », ce qui n’est certes pas un compliment.
D’ailleurs, pour justifier les décisions fiscales qui consistent à alléger la charge de ceux qui ont le moins de difficulté à la supporter, les riches, donc, et même les très riches, Emmanuel Macron et ses thuriféraires ont remis au goût du jour cette vieille théorie économique du ruissellement.
Le principe est simple : plus les riches sont riches, plus ils sont tentés de consommer et, par conséquent, de faire bénéficier les moins riches de leurs largesses, et ainsi de suite, jusqu’aux plus démunis, en passant par les indispensables classes moyennes.
Plaisante théorie dont il a pourtant été maintes fois démontré qu’elle était infondée. En effet, il s’avère qu’à un certain niveau de richesse on se préoccupe davantage de thésauriser, ce qui est alors sans effet en termes de redistribution.
Qu’à cela ne tienne.
Notre créatif président nous a livré un concept alternatif, ce qui est d’ailleurs à peu près la seule chose que l’on aura retenu de son exercice télévisuel : les premiers de cordées. Entendons, le portefeuille de nos bienheureux prospères doit être soigneusement ménagé, puisque ce sont eux qui nous guident et nous montrent la voie.
Étrange comparaison en vérité, qui nous incite à considérer que ceux auxquels il convient de se référer et de s’inspirer, ce ne sont pas ceux qui inventent et créent, protègent et soignent, mais ceux qui se distinguent par leur capacité à accumuler des biens, peu importe la manière dont ils le font.
Liliane Bettencourt plutôt que Simone Veil, Bernard Tapie plutôt que Robert Badinter, Jean-Marie Messier plutôt que le Professeur Bernard.
Ainsi va le monde selon Emmanuel Macron, qui ne fait décidément rien pour qu’on cesse de le considérer comme un président-banquier. Ainsi va le monde de celui qui prétendait nous démontrer – et profiter – de l’inadéquation de la classe politique et dont l’action met surtout en exergue l’usure de notre démocratie.
Depuis sa prestation télévisuelle, Emmanuel Macron qui souhaite « ne pas avoir une présidence bavarde », a déjà multiplié les discours dont on n’aura rien retenu ou presque. Il n’aura pas non plus manqué la moindre occasion de pourfendre son prédécesseur.
Ce qui manque singulièrement d’élégance. A plus forte raison lorsque l’on sait qu’il fut son proche collaborateur et à ce titre inspirateur de sa politique économique qu’il décrit aujourd’hui comme calamiteuse et qu’il avait ensuite mis en application comme ministre.
La nouvelle politique version Emmanuel Macron ressemble chaque jour davantage à l’ancienne. En pis !
Stéphane Bugat