Les mater dolorosa palestiniennes
Après 40 jours, le 26 mai au soir, les prisonniers palestiniens ont suspendu leur grève massive de la faim lancée le 17 avril 2017. Elle avait été suivie par environ 1500 prisonniers politiques palestiniens dans les prisons et les centres de détention en Israël. Rencontre avec les mères de ces prisonniers.
À Bethléhem, elles avaient dressé la tente devant l’Église de la Nativité, juste de l’autre côté de la route. Dans cette attraction touristique qui drainait tant de touristes et pèlerins venus célébrer une autre mère palestinienne, qui avait souffert la peur et l’incertitude pour son fils il y avait plus de 2000 ans de cela.
Sous la tente, une vingtaine de femmes, assises sur des sièges de jardin ou à même le sol, tenaient chacune sur leur cœur une photo de leur fils. Juvénile et souriant sur l’image figée.
En ce jour de mi-mai 2017, sous le soleil déjà lourd d’une fin de mai, ces autres mères palestiniennes tremblaient pour leurs fils en prison.
C’était le 38e jour d’une grève de la faim commencé pour eux le 17 avril. 38 jours à boire de l’eau un peu salée pour 1500 prisonniers détenus par les Israéliens.
Nadia, une chrétienne palestinienne de Bethléhem est là en soutien à ces mères. Elle n‘a pas de fils en prison, mais son mari avait connu la détention israélienne trois ans durant, après la première Intifada de 1987.
« Je suis là car je sais combien les conditions faites aux prisonniers palestiniens par les autorités pénitentiaires israéliennes sont rudes. Quand mon mari était en prison, je ne pouvais le voir qu’une fois par mois, je ne pouvais pas le toucher ».
Leïla Zawreh a 70 ans.
Un fin foulard immaculé entoure son visage. Elle est sous la tente depuis 48h, assise sur un tapis, le portrait de son fils, âgé de 41 ans, posé droit sur son giron.
Elle nous explique que son fils a été condamné après qu’en 2002, environ 40 palestiniens ont cherché refuge dans l’église de la nativité ; l’armée israélienne avait alors entouré l’église et avait tiré sur les Palestiniens à l’intérieur.
Après un long temps de négociations, Israël avait accepté d’en expulser 35 vers des pays européens et leur avait interdit de revenir dans leur foyer.
Mais le fils de Leïla Zawreh était revenu et avait été arrêté.
« Il luttait pour l’autodétermination du peuple palestinien. En tant que policier, il faisait son travail, il défendait son peuple, l’église » ajoute-t-elle.
Cette zone de la Cisjordanie est pourtant considérée comme zone A selon les accords d’Oslo.
Elle est donc sous la pleine autorité palestinienne.
« Son père est mort avant que son fils ne soit relâché. Sa femme était enceinte quand il a été emprisonné ; son fils a maintenant 13 ans et il ne l’a jamais serré dans ses bras ou pu passer du temps avec lui » nous détaille-t-elle.
Son autre fils, Mohamed Zawreh, est le porte-parole des prisonniers. Il détaille les revendications des prisonniers palestiniens. L’instauration de cabines téléphoniques ; l’accès à la presse ou à des livres ; la possibilité de s’inscrire dans des universités israéliennes ; une meilleure prise en charge médicale des détenus gravement malades.
C’est surtout la fin des détentions administratives, sans inculpation ni procès, pendant des mois, qui a été réclamée par les prisonniers palestiniens. Cette pratique permet à Israël d’emprisonner quiconque, sans accusation ni procès.
Selon les derniers chiffres, environ 490 Palestiniens sont détenus selon cette procédure. À Naplouse, c’est au bord de la route qu’une tente a été dressée pour les mères.
L’endroit s’orne de grandes photos où l’image des prisonniers vient se superposer à celle de Jérusalem, Al Quds. À l’extérieur trône aussi une pancarte figurant Yasser Arafat et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas.
Elles sont trois, d’une soixantaine d’années. Oum Ali, dont le visage s’orne d’une voile blanc, Oum Khaled, et Oum Mohammad, sur une chaise roulante. Toutes trois ont leur fils en prison.
Oum Ali sera celle qui se fera la porte-parole pour les autres mères.
« Nous ne savons rien de l’état de nos fils. Mon fils, aux dernières nouvelles, vomissait du sang et j’ai peur que sa vie soit en danger. Nous sommes si inquiètes. Je ne l’ai pas vu depuis 3 mois. Et seulement durant 45 minutes ».
Elle détaille la situation de son fils, Ali :
« Mon fils a deux fils et une fille. Il est en prison depuis 15 ans ; son père, son frère, sa sœur sont morts pendant ce temps. Ses enfants petits ont grandi, il ne les as pas vu grandir, pas touchés durant tout ce temps. Nous ne le voyons qu’à travers une vitre de plexis-glace, il n’y a qu’un téléphone pour communiquer avec lui, nous devons nous passer le combiné pour lui parler, chacun son tour ».
Oum Khaled détaille à son tour la situation de son fils :
« Sa femme a pu avoir une autorisation pour le voir. Mais arrivée à la prison, les autorités israéliennes lui ont refusé l’accès en disant que le mariage n’était pas reconnu, enregistré sur les registres, donc qu’elle n’était pas sa femme. Elle n’a pu le voir. Elle était avec sa fille de 16 ans. Elle non plus n’a pas pu voir son père ».
Oum Mohammed approuve les propos de ses amies, sans rien ajouter, soupirant simplement parfois et ajoutant un « incha’allah » quand les vœux de libération sont énoncés.
Oum Ali reprend : « Je ne sais pas où est mon fils, certains des prisonniers ont été transportés à l’hôpital. Nous demandons aux ONG de l’aider, de nous dire où il est. Seule la Croix Rouge a pu les voir. Mais elle a fait seulement des rapports, c’est tout » déplore-t-elle.
Toutes ne veulent pas chanceler : « on tient pour nos fils » dit Oum Khaled.
“Je veux seulement le toucher, l’entourer de mes bras, même si j’ai peur de m’évanouir quand je pourrais le voir. Nous pensons jour et nuit à lui.”
Un homme, membre du collectif des prisonniers de Naplouse prend à son tour la parole : « C’est une simple question d’humanité. Ce sont des requêtes basiques. Nous voulons juste l’application de principes de base, rien d’extraordinaire. Cette grève de la faim met en danger leur vie, ils ne tiendront pas une semaine de plus.”
Oum Khaled veut des pressions sur Israël pour que cessent ce traitement : « L’autorité palestinienne est impuissante ; nous essayons d’alerter les gens ». Puis, après avoir gardé un temps le silence :
« Mourir est mieux que de vivre avec cette constante humiliation, c’est une insulte constante à la dignité. Il ne leur restait que la grève de la faim pour que leurs droits soient respectés. Nous demandons aux peuples de réagir, pas aux politiciens. Le prix que nous payons est trop élevé ».
Oum Mohammed sera restée silencieuse tout au long des explications de ses compagnes. Elle finira simplement la réunion par quelques mots en arabe, les bras au ciel : « Ehko, ehko, ehko ». Raconte.
Hassina Mechaï
En savoir plus :
80% des demandes des prisonniers ont été satisfaites après la grève.
Les principaux éléments convenus entre les prisonniers grévistes et l’administration pénitentiaire israélienne sont de divers ordres et concernent entre autres, l’accès aux téléphones publics afin de pouvoir communiquer avec les membres de la famille, la levée d’une interdiction injustifiée imposée à plus de 140 enfants qui se voyaient interdits par l’administration pénitentiaire de voir leurs parents.
Un engagement a été pris de raccourcir le temps entre les visites des prisonniers palestiniens de Gaza, la ramenant à un mois au lieu de deux mois ou plus entre les visites.
Autorisation de l’introduction de vêtements et de sacs. Visites pour les proches du « deuxième degré », telles que neveux et nièces.
Installation dans chaque service pénitentiaire des « prisonniers de sécurité » palestiniens, d’un coin cuisine pour la préparation de repas et l’introduction d’équipements de cuisine, plutôt que d’être dans les mêmes locaux que les autres prisonniers.
Permettre la prise de photos une fois par an avec les parents ou avec un conjoint de prisonnier. Résoudre le problème de la surpopulation dans les sections des prisons et résoudre le problème des températures élevées grâce à un système de ventilation et de refroidissement.
Transférer les prisonniers dans des prisons plus près des lieux de résidence de leurs familles.