Meriem Chabani, architecte : “Construire est une opération de chirurgie”
Elle a l’architecture presque dans le sang. Native d’Alger, Meriem Chabani a fait de sa passion, un engagement en faveur des pays du Sud. Construire, oui mais bien.
Présidente de New South, une association dédiée à l’architecture responsable, elle sème sa vision du métier entre Alger et l’Asie. Rencontre.
Meriem Chabani ouvre les locaux de TXKL. L’agence d’architecture, à la déco épurée, respire le dynamisme à l’image du quartier où il se situe Barbès (Paris 18e).
Chaleureuse et accueillante, Meriem Chabani rappelle l’ambiance de ces maisons familiales du Sud où se conjuguent rayons du soleil et fraîcheur du vent marin.
Son portfolio fait à lui seul voyager. L’architecte-urbaniste exerce à Paris, Alger ou en Birmanie.
Elle et son équipe de pros orchestrent en ce moment un projet de Centre culturel en Birmanie.
Pour ce projet, ils collaborent avec l’agence “Co-“, dirigée par l’architecte François Le Pivain.
« Le client est une série de petites entreprises issues d’un même village. Elles se sont assemblées pour ramener de la culture en zone rurale, avec des principes de vivre ensemble et de partage.
Ils nous semblaient importants et pertinents tout particulièrement dans ce pays et face au défi précisément du vivre ensemble qu’il affronte. »
Depuis plusieurs années, les autorités birmanes couvrent, ce que l’ONU qualifie de “nettoyage ethnique”, la persécution et le massacre de la minorité musulmane rohingyas.
Autres défis : la réhabilitation de logements collectifs en Algérie ou encore un projet hôtelier à Batna, ville d’origine de sa famille.
Circuits de productions courts, choix des matériaux… Ces chantiers que Meriem mène de front soulèvent plusieurs problématiques.
Meriem Chabani, TXKL de Sarah H
Parmi elles, celle du développement durable : “ce n’est pas un sous-thème au même titre qu’avoir un toit, des fênetres, une porte.
C’est à mon sens quelque chose qui doit faire partie intégrante de la façon dont on réfléchit toute nouvelle construction,” précise Meriem.
Voir l’interview vidéo de Meriem Chabani :
Ses racines, Meriem y tient. Et à 28 ans, Meriem a des fondations solides : « Je viens d’une famille qui me prédestinait à ce genre de métier ».
Et pour cause : c’est une Chebani. Son modèle : son grand-père, Ouardi Chabani.
« J’ai grandi avec cette figure totalement mythique de cet homme sorti d’une pauvreté extrême et qui a essayé de construire le milieu dont il venait en apportant des infrastructures publiques dans son village natal », se remémore-t-elle.
Grand constructeur algérien et promoteur immobilier dans les années 60, Chebani est le fondateur de l’entreprise de travaux publics éponyme.
L’Algérie lui doit, entre autres, l’hôpital de Batna, le stade de Constantine ou la Grande mosquée 1er novembre 1954.
« J’ai grandi avec ce modèle d’excellence et une vision de la réussite qui se fait au sein d’un tissu social et familial assez fort.
Tout cela a constitué mes envies de construire, et mes envies de construire d’une certaine manière : en gardant un lien fort à la fois à la culture et au sens des choses.
Il y a énormément de constructeurs aujourd’hui. Ma question, c’est : de quelle manière, moi, je peux contribuer d’une façon qui me serait propre et qui serait à mon sens nécessaire. »
Donner du sens à son bâti
“À partir du moment où on s’exprime sur la façon dont on a envie de travailler, peut-être que d’une certaine manière, le travail qui arrive correspond à cette vision”, sourit Meriem.
Dans la même veine, son projet de diplôme réalisé au Bangladesh : Objectif : créer un bâti permettant une communauté des biens et des moyens de production.
Et réunir les conditions d’une production textile à échelle humaine.
Meriem et ses collègues Etienne Chobaux John Edom –issus comme elle de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris- présentent leur projet au LafargeHolcim Awards.
Soit le concours le plus important au monde en matière de conception durable. Y sont récompensées les solutions intelligentes l’environnement bâti et la ville.
Un vrai coup de projecteur. “Ça été le début de notre exercice professionnel et ça nous a ouvert énormément de portes”, déclare la professionnelle.
Vers un « nouveau sud »
L’architecte est aussi présidente de l’association New South. Son but ? Servir de plateforme de recherche.
« Construire dans des villes postcoloniales, construire des pays émergeants… nous ne sommes pas les seuls à être là dedans, on essaye de se poser ces questions en commun et de mettre en place un réseau d’entraide, » décrit Meriem.
Cela afin de favoriser l’émergence de réponses pertinentes concernant ces villes du Sud. ».
Impossible de cacher son amour pour sa profession : « J’ai toujours été intéressée par des choses où j’arrivais à voir une logique.
Essayer de dessiner, décortiquer tout un tas d’éléments et de voir comme ensemble, ils construisent un écosystème, » déclare-t-elle.
Et de conclure, les yeux brillants : « Articuler cela dans sa façon de construire, c’est presque une opération de chirurgie ! C’est tout cela qui fait que c’est un métier passionnant. »
Sarah Hamdi