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Une nuit avec les pro-Trump

Nuit blanche à New-York. Aouatef Khelloqi est réalisatrice. Deux semaines après la défaite d’Hillary Clinton, elle nous raconte sa nuit avec les supporters de Trump. Comment la soirée a basculé, comment les langues se sont déliées aussi. Plongée dans les rues de New-York, fief du nouveau président des Etats-Unis.

Parfois, le jour vient chasser les mauvais rêves de la nuit. Parfois, seulement. Aouatef Khelloqi (photo ci-contre) a passé la nuit du 8 novembre avec les supporters de Donald Trump. La jeune femme ne l’avait pas vraiment prévu.

Straight lace wigs« Au départ, je suis partie pour assister à l’élection d’une femme à la présidence », confie-t-elle. « Je n’étais pas du tout pro-Clinton mais je pensais vivre un moment historique ». Il l’a été. Mais différemment. « Je me souviens avoir discuté avec un pro-Trump dans la rue ce soir-là. Il me disait « on doit choisir entre deux pommes pourries… ». Le décor est planté.

Ce mardi 8 novembre, la soirée débute à peine. Aouatef Khelloqi, rejoint un groupe d’amies, dont deux françaises. La première Y. vit à New York depuis 10 ans. L’autre R. fait la navette entre Paris et la grosse pomme. L’ambiance est chaleureuse. La soirée électorale s’annonce bien malgré les sondages qui placent Trump pas très loin derrière Clinton. Impensable pour le groupe de voir le sulfureux républicain prendre ses appartements à la Maison Blanche.

Le groupe, alors, décide de se rendre à Javits Center, le QG (de victoire) d’Hillary Clinton, situé à Manhattan.

Très vite, la marche vers le « cocon » de Clinton prend une tournure inquiétante. « Sur le chemin, on réalise que la Floride n’est pas acquise ». Dans le groupe d’Aouatef, la tension est palpable.

« Au Javits Center, il y a beaucoup de monde ». L’heure de la désillusion n’a pas encore sonné. Mais, vers 22h, un tweet de Clinton vient semer le trouble.

La future ex-candidate lâche alors un inquiétant : « Quoiqu’il arrive, j’étais heureuse de faire campagne avec vous »
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Tweet de la candidate démocrate, Hillary Clinton
Screenshot/Aouatef Khelloqi

La douche n’est pas encore froide, mais tiède. Mon amie new-yorkaise me conseille, alors, « de rentrer. La situation pourrait dégénérer ». Mais, Aouatef sent qu’elle est en passe de vivre un moment historique. Effrayant aussi.

Il est aux alentours de 23h. Le groupe se scinde. « Y. décide de regagner son domicile, à Brooklyn. Mais vu comment la situation tourne, c’était impossible pour moi de rentrer. J’y suis allée avec Loubna, ma comparse, journaliste », relate-t-elle, dans un éclat de rire.

Direction le siège de Fox news à New York, là où les supporters de Donald Trump attendent discrètement mais patiemment le score de leur champion.

foxLe regard méfiant, les pro-Trump rechignent à répondre aux questions d’Aoutef et Loubna. « En première partie de soirée, personne ne voulait être filmé comme s’il n’assumait pas leur vote… », relève-t-elle. « Nous n’étions pas en terrain conquis, en plus j’avais mon turban. L’ambiance était vraiment bizarre ».

Avec elles, Alban, une connaissance. Le Français vit à New York depuis plusieurs années.

Confiant, il prophétise les résultats. « Non, c’est impossible que Trump gagne », assure-t-il, péremptoire.

Il est minuit, la Floride vient de basculer côté Trump. Un tournant. Un état clé avec ses grands électeurs. Suivra, la Caroline du Nord. Au total, ces sont 44 grands électeurs dans le giron du républicain. L’Indiana, le Tennessee par la suite…Trump les tombe un à un.

Devant l’hôtel Hilton, le QG de Trump, la frénésie gagne les fans. La nuée de journalistes venus du monde entier démultiplie l’effervescence.

« Je commence à filmer quand je réalise l’éventualité qu’il prenne le pouvoir », explique Aouatef.

Devant le palace, l’ambiance change progressivement. « Une fois que la victoire était quasi-actée- après la Pennsylvanie et ses 20 grands électeurs acquis-, les langues se délient ».

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Un supporter de Donald Trump après la victoire de plusieurs états
Photo/ Aouatef Khelloqi

La victoire donne des ailes. « La deuxième partie de soirée prend vite une tournure festive. C’était ok pour que je filme. On est vite passé dans la liesse collective… », résume-t-elle. Parmi les pro-Trump, « pas mal de gens des minorités, des Noirs, des Hispaniques, des Latinos, des Asiatiques ».

Un panel qui contraste avec la croyance d’un électorat blanc uniquement. Le portrait-robot de l’électeur de Trump est bien connu. Plutôt un homme, blanc, de plus de 45 ans, peu diplômé et basé en zone rural.

Selon le Pew Research Center, 58% du corps électoral (à 70% blanc) a choisi Trump contre 37% pour Clinton. Mais les minorités n’ont pas fait jeu égal.

kinky hair lace wigsUn militant hispanique pro-Trump devant la Fox news
Photo/ Aouatef Khelloqi

Au détour d’une rue, Aouatef et Loubna entament la conversion avec Gabriel. L’homme est d’origine mexicaine. Trump avait plus ou moins démarré sa campagne en insultant les 12 millions de Mexicains, installés aux Etats-Unis, de « criminels » et de « voleurs ». Gabriel est chercheur.

« Ils nous pensent journalistes en charge de couvrir l’événement ». Ce n’est pas le cas. « Nous sommes là pour saisir ce qui se passe. Il ne comprend pas notre présence au QG de Trump ». Il pleure. Cette victoire est une catastrophe pour lui, pour l’idée qu’il se fait de l’Amérique. « Est-ce que vous vous rendez compte dans quelle situation on est maintenant ? », insiste-il, les yeux humides.

Près de 30% des Hispaniques/Latinos ont voté Trump contre 8% des Afro-américains. Globalement, Hillary Clinton n’a pas suscité une adhésion massive dans ces populations.

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Election 2016, sondages réalisés à la sortie des urnes
Source/New-York Times

Et puis, Aouatef à sa grande surprise, constate que « beaucoup de démocrates ont voté Trump pour contrer l’establishment ». D’ailleurs, selon elle « Bernie Sanders était vraiment l’homme de la situation car il représentait le candidat antisystème. Il ne semblait pas en quête de pouvoir, plutôt proche des gens ».

Contrairement à Trump, Sanders aurait pu fédérer une Amérique en lambeaux. Une Amérique en lambeaux qu’Aouatef a perçu dans les rues de New-York. « Quand je suis arrivée, j’ai senti les Américains fatigués par cette campagne et cela tranchait avec l’euphorie des journalistes du monde entier, contents d’être là, interrogeant les passants dans la rue… », pointe-t-elle.

Car la campagne a été particulièrement dure voire indigne. Selon Anne Toulouse, co-auteure de « Dans la tête de Donald Trump » (Stock), « 60% des Américains se disaient en colère », rejetant les partis. Trump a su instrumentaliser cette furie, n’hésitant pas à dégainer l’arsenal populiste et raciste.

En août, Trump, en meeting en Floride, incombe ainsi la création de l’Etat islamique à Barack Obama, Hillary Clinton, « la tordue » étant la co-fondatrice. A cela, s’ajoutent les propos obscènes tenus par le républicain exhumés d’un vieil enregistrement sonore, tel comme une revanche du camp démocrate.

Inutile d’aborder, également, l’affaire des emails de Clinton. Sur RTL, Alain Duhamel relève que les deux « ont tous les deux menti mais lui mieux qu’elle… ». Une campagne de caniveau de l’avis des observateurs.

Et qu’Aouatef Khelloqi confirme. « Finalement, j’ai passé ma soirée avec des racistes » qui sont sortis du bois quand ils étaient sûrs des résultats.  Une victoire qui a libéré la parole.

«A mon hôtel, la réceptionniste et sa collègue se sont écharpées ». Cette dernière, après avoir gardé son vote pro-Trump secret, a quelque peu changé son discours.

De leur côté, les Américains musulmans ne masquent pas leur inquiétude. « J’ai assisté à une veillée à l’université de New York. Le mot d’ordre, c’était pas de tweet, pas de vidéo, pas de Facebook », raconte Aoutef. Une nécessité pour permettre aux gens de s’exprimer.

« Certains pleuraient, d’autres témoignaient d’agressions islamophobes ». Comme après le Brexit en Grande-Bretagne en juin dernier, les cas d’intimidations et d’agressions racistes se sont multipliés.

ibrahim-hooperUn constat confirmé par Ibrahim Hooper (photo ci-contre), porte-parole du Conseil des relations américano-islamique (Cair) qui pointe « la banalisation de l’islamophobie » instillée lors de la campagne des présidentielles.

Et qui pousse, l’ensemble de la société civile à faire converger les luttes. Rencontré à l’université de New York, Adam, professeur afro-musulman a bien connu les années 60 et la ségrégation. « Nous avons dîné ensemble », explique la réalisatrice. Un moment inspirant.

« Il pousse les minorités à rencontrer ceux qui ont vécu la marche pour les droits civiques pour l’analyser et s’en inspirer ». Et d’ajouter « vous savez, cette génération n’a rien vécu », comparée à la violence de la ségrégation institutionnalisée, faut-il comprendre.

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Election 2016, sondages réalisés à la sortie des urnes
Source/New-York Times

Pour autant, « le mot d’ordre est d’organiser la société civile. La résistance est en train de se structurer. Voyons ce que cela donne ». Depuis la victoire de Trump, les manifestations contre le républicain se multiplient dans les grandes villes, prenant un tour international avec Londres, Berlin et maintenant Paris.

Alors que 42% des femmes ont voté pour Trump, une grande marche des Femmes est prévue à Washington DC, le 21 janvier 2017. Au lendemain de l’investiture de Donald Trump et de son administration. L’appel entend dénoncer la rhétorique trumpiste à l’égard des femmes. Devenue viral sur Facebook, la mobilisation pourrait être massive. Et marquer le tournant de la résistance.

Nadia Henni-Moulaï

 

Raconter, analyser, avancer.

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