Oui, “beurette” est une insulte
De la marche des Beurs dans les années 80 à nos jours, où la télé-réalité devient le miroir de notre société, les mots évoluent aussi incisifs que les commentaires sur les réseaux sociaux. Et le mot beurette ne fait pas exception. Retour sur un mot devenu un cauchemar pour les femmes d’origine maghrébine.
Il y a l’Histoire. Et il y a des mots qui décrivent l’Histoire.
Alors certes, il est correct de rappeler que le terme “beurette” est, à l’origine, la féminisation du mot “beur” ; un terme apparu dans les années 80 lors de la Marche pour l’Egalité et contre le racisme plus connue aujourd’hui sous l’appellation “Marche des beurs”.
Le mot “Beurette” se présentait alors comme son équivalent féminin.
Mais déjà, à l’époque, ce terme posait problème puisqu’il ne renvoyait pas seulement l’origine ethnique de ces femmes mais une “essentialisation” de ce qu’elles représentaient aux yeux de la société : des femmes soumises mais facilement intégrales. Des femmes à libérer.
Souvent banalisé, le terme “beurette” n’a pourtant cessé d’évoluer et d’être utilisé encore aujourd’hui.
Cependant, il serait de mauvaise foi de dire que sa définition reste la même.
“Je croyais naïvement que «beurette» était simplement le féminin du terme argotique «beur», lui-même verlan d’«arabe». Mais ce suffixe «ette» change bien plus que le genre du nom“, explique Fatima Aït Bounoua dans son article Toutes des salopes. “Beurette à Khel”, “femme au teint orange et accro au UV”, “fumeuse de chicha”, autant de “concepts” associés à un terme bien plus “argotique” qu’il n’y parait.
On ne peut que constater que l’image de la beurette n’est pas des plus réjouissantes. Selon une étude parue dans The Economist, il s’agirait du terme de catégorie pornographique le plus recherché en France sur le site Pornhub.
Un classement, néanmoins, contesté par Les décodeurs, site de fact-checking du Monde.
Mais au-delà de ces clichés et des classements, la réalité est tout autre. Cette insulte, qui cherche à catégoriser un type de filles/femmes, est devenue, en quelques années, un carcan dans lequel on renferme toutes les femmes issues de l’immigration maghrébine ou orientale qui ne correspondraient pas au baromètre de LA femme respectable. Une insulte sexiste et raciste banalisée …
Mis en accusation par l’Unef d’Auvergne, des étudiants en chirurgie dentaire de l’UFR d’odontologie étaient – il y a peu – sous les feux des projecteurs.
En cause : une photo de l’un d’entre eux avec l’inscription “Team Beurette” lors d’une opération de bizutage.
Inconcevable pour le groupe syndicaliste qui, à travers son communiqué publié le 28 septembre sur sa page Facebook, dénonce la connotation sexiste et raciste d’un mot qu’on banalise trop souvent : “La “beurette”, dans la culture populaire, c’est une femme arabe dans la pornographie. C’est la catégorisation sexiste et raciste d’une partie de la société. C’est l’objectivisation d’une catégorie de la société : celle des femmes arabes.”
Une prise de position salutaire mais vivement contestée et incomprise de beaucoup, jugeant trop susceptibles les femmes qui se sentiraient blessées par un mot banal et sans conséquences (supposées).
Insulte “inclusive”
Il est encore difficile pour les femmes qui en sont victimes, de faire comprendre à un bon nombre de personnes (parfois même de leur entourage ) que le terme “beurette” est une insulte qui, lorsqu’elle vise une femme maghrébine, vise toutes les femmes.
Car c’est avant tout une insulte sexiste qui ne cesse de montrer du doigt les femmes maghrébines qui ne correspondraient pas à l’image de la femme respectable alors que l’inverse n’existe pas.
Fais pas ta beurette, Petite histoire d’un fantasme, Arte, 22 novembre 2016
Une différence qui illustre parfaitement le poids que la société met sur les épaules des femmes.
Et dans leur malheur d’être une “beurette” plutôt qu’une salope, les femmes maghrébines ont cette double peine d’être un fantasme exotique inaccessible pour les uns, et une honte pour les autres.
Les autres, ce sont les siens, issus de l’immigration maghrébine également et qui voient en la beurette, au-delà des clichés mentionnés plus haut, des femmes qui ne répondent pas à leurs critères.
Une approche qui laisse un champ large à son utilisation.
Car ne vous trompez pas, nous sommes toutes les beurettes de quelques-uns. Un statut qu’on nous attribue et qui varie en fonction des positions de chacun (ou chacune, car nombreuses sont les femmes qui utilisent ce mot, toujours dans l’objectif de rabaisser une femme qui ne correspondrait pas aux normes sociales et communautaires).
Le poids des mots
Et c’est là tout le danger de son utilisation abusive. On banalise un mot qui reflète le manque de respect quotidien que subissent les femmes à travers les catégorisations qu’on leur impose en fonction de leurs tenues, de leur comportement jusqu’à leur origine.
En définissant les femmes d’origine maghrébine de beurettes, on cherche à les rabaisser en instaurant un rapport de force et de domination sur elles.
Car la beurette, ce n’est pas une simple représentation des femmes maghrébines, c’est “une catégorie sexuelle”, d’après Fatima Aït Bounoua, qui renvoie l’image d’un fantasme sexiste et misogyne “aux clichés tenaces”.
Une catégorisation qui enferme ces femmes et cherche à leur imposer des codes selon le bon vouloir de celles et ceux qui les caractérisent ainsi. Inconsciemment ou non.
Refusez les avances d’un homme et il pourra vous qualifier de beurette. Soyez libre et indépendante et on vous qualifiera de beurette.
Roulez en Fiat 500 et on vous qualifiera de beurette…
La liste est longue et son utilisation immodérée montre à quel point il est encore difficile pour une femme, qui plus est maghrébine, de se faire respecter pour ce qu’elle est et non pas pour ce que les gens voudrait qu’elle soit.
Car le but ultime de cette insulte, c’est de discréditer les femmes maghrébines dans leur identité et leurs revendications.
Insultez-les de beurettes et elles deviennent l’exemple à ne plus suivre. Une épée de Damoclès qui repose sur les épaules de ces femmes.
Alors on peut continuer à minimiser la chose, il n’en reste pas moins que le mot “beurette” n’a pas sa place dans une société qui se veut respectueuse des femmes et plus égalitaire.
Nabila Khinache
Nabila Khinache est une professionnelle de la communication, militante féministe et écologiste.