Pour le rapatriement des djihadistes et de leurs enfants
On les appelle les “revenants du djihad”. Ils sont Français et n’ont que cette nationalité. Leur retour en France dérange. Sauf que, ces femmes et hommes ayant rejoint les rangs de Daesh (et leurs enfants nés sur place) ne peuvent pas être privés de leur nationalité. Laurence Dudek, psychopédagogue et psychothérapeute, est spécialisée en post-trauma et transmission familiale. Elle explique qu’il serait plus efficace de les recueillir que de les abandonner.
J’ai vu les chiffres sans équivoque donnés par les instituts de sondage, dont on peut douter de l’exactitude, mais dont l’ampleur ne permet pas de remettre en question la tendance :
80% de nos concitoyens, des gens que nous côtoyons tous les jours, des amis, de la famille, vous-même peut-être, se prononceraient donc contre le rapatriement de jeunes Français qui sont actuellement détenus en Irak et attendent d’être condamnés à la peine de mort, ainsi que leurs enfants pour la plupart âgés de moins de 5 ans, dans une logique de guerre qui ne s’embarrasse ni des droits de l’homme ni de ceux des enfants.
Cette « tendance » est soutenue par l’idée qu’il serait dangereux pour la sécurité de la France et de ses citoyens (dont on considère donc déjà que ces français-là ne feraient plus partie) de faire revenir sur le territoire des gens qui auraient déjà fomenté de l’attaquer et qui ont nourri leurs intentions de haine et de violence, ce qui est sans doute vrai pour la plupart, sauf bien sûr pour les enfants (faut-il le dire ? Il semble bien qu’il le faille, oui).
“Il existe un argument objectif et intelligent pour convaincre quiconque, même le plus aliéné par la loi du Talion”
Je condamne moralement la pensée commune de cette société qui se veut exemplaire et qui se départit pourtant de toute humanité en se déshonorant à vouloir faire subir à d’autres ce qu’elle prétend combattre. Il s’agit de mon opinion bien sûr, pas d’un argument objectif.
C’est pourquoi il vaut mieux ne pas s’aventurer plus loin dans le champ de la leçon de morale dont Léo Ferré disait qu’elle est toujours la morale des autres.
Mais il existe un argument objectif et intelligent pour convaincre quiconque, même le plus aliéné par la loi du Talion, même le plus éloigné de son empathie naturelle, de finalement décider ne pas laisser l’Etat s’enferrer dans le projet insupportable de laisser mourir des enfants et leurs parents, qui sont nos frères et soeurs en humanité et dont nous partageons en partie la responsabilité civique, mais au contraire de le supplier de leur porter assistance.
Puisque c’est soi-disant seulement pour nous protéger qu’il faudrait les laisser mourir et tuer leurs enfants, et non pour les punir ou pour nous venger (n’est-ce pas ?), examinons froidement et sans affect si, stratégiquement, il est plus efficace de les abandonner que de les recueillir.
Une rupture entre eux et la France
Il est entendu que ces jeunes adultes qui sont partis à l’étranger, souvent à peine majeurs, pour combattre de l’extérieur la France qui est leur pays étaient animés de la certitude d’avoir été abandonnés par elle. Ils étaient sans amour pour le peuple de France (dans sa grande diversité car les attentats ne trient pas leurs victimes).
Ils étaient persuadés que l’attaquer faisait d’eux les membres désirables d’un autre groupe, dont les appartenances leur ressemblaient plus et qui les aimait mieux.
C’est ainsi que la rupture relationnelle arrive : quand l’amour est déçu et que malgré tous ses efforts, un enfant ne trouve jamais assez grâce aux yeux de ses figures d’attachement, et surtout jamais pareil que les autres…
C’est ainsi que les jeunes se réfugient dans des conduites toxiques, dans des croyances à contre-courant de celles de leur entourage, dans des pratiques ostentatoires en opposition aux valeurs familiales, etc.
Et c’est en grande majorité ce qui est arrivé à ces jeunes Français : une rupture entre eux et la France. C’est dans ce cadre délétère que le recrutement se fait toujours pour l’embrigadement quel qu’il soit : dans les sectes, dans le banditisme, dans la clandestinité… les mains tendues d’un groupe d’adultes qui dit : « Viens ici avec nous, nous voulons de toi, nous t’aimons et tu seras des nôtres ».
Des générations par ce traumatisme
Comment pourrions-nous imaginer un seul instant qu’entériner définitivement cette rupture en la transformant en répudiation, alors qu’ils et elles tendent une dernière fois la main pour être aidés, pourrait de près ou de loin nous protéger de la violence qui résonne entre eux et le reste du monde ?
Et comment peut-on être assez obtus et bas du front pour ne pas prévoir ce qui risque de se passer par conséquent pour des milliers de jeunes français qui, comme eux, ont à négocier un dilemme permanent à leur interne : le choix entre se sentir aimé et aimer la France et se sentir lésé par elle et la haïr ?
Croyez-vous vraiment que ces jeunes que 80% des Français disent ne plus vouloir connaître, emporteront dans la mort avec eux la haine qui les a amenés là où ils sont, et que le repos de leurs âmes tourmentées nous sauvera du mal, nous qui aurons damné les nôtres en nous croyant légitimes à les regarder mourir sans broncher ?
De ses familles qui s’apprêtent à voir d’ici sur des écrans de télévision les exécutions par pendaison de leur fils, fille, frères, sœurs, neveux, nièces, petits-enfants, etc.
Qu’adviendra-t-il de leur confiance et de leur loyauté envers la République ? Que restera-t-il de leur citoyenneté ?
Et de quoi se nourriront les enfants qui grandiront dans ce marasme ?
Marqués pour des générations par ce traumatisme… Et qu’adviendra-t-il des vôtres qui nous observent et qui seront frappés par l’infamie pour des siècles et des siècles ?
Qui peut décemment croire qu’il s’agit là du meilleur choix qu’on puisse faire pour la paix ?
Personne, assurément.
Laurence Dudek, autrice de “parents Bienveillants, enfants éveillés” (First), psychopédagogue et psychothérapeute, spécialisée en post-trauma et transmission familiale.