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Pouria Amirshahi: “On construit la France sur des peurs” 1/2

Il a été le trublion du parti socialiste, jusqu’à ce qu’il le quitte en mars 2016. Sans perte mais avec fracas. Pouria Amirshahi, député, désormais non affilié, de la neuvième circonscription des Français établis hors de France (Afrique du Nord et de l’Ouest) a accordé une interview exclusive, à MeltingBook. Egal à lui-même, il porte un regard lucide sur la France et les sujets qui la préoccupent. Un entretien fleuve dont nous dévoilons, aujourd’hui, le premier volet. La suite demain, vendredi 22 janvier.

Le premier tour des Primaires citoyennes de la Gauche aura lieu, ce dimanche 22 janvier. Un des candidats retient-il votre attention ?

Je vais essayer de m’extraire du contexte amical. Sur le premier débat, on s’est enfermé dans un format médiatique contraint qui ne permet pas un débat intellectuel stimulant. Et puis très vite, on y a reparlé de l’islam, du terrorisme, de la sécurité.

Premier débat des Primaires de la Gauche
12 janvier 2017/ TF1

Avec un consensus assez effrayant sur presque toutes ces questions. Sur la police, l’armée, les interventions à l’extérieur, le consensus était là aussi, comme s’il était naturel alors que je sais que certains ont des réserves sur ces questions.

Comme si c’eut été une faute politique que d’exprimer une réserve sur notre implication en Irak, en Syrie, sur le déploiement policier que je trouve suffocant. Manuel Valls a été fuyant. Il ne s’est réveillé qu’au moment où on parlait du pouvoir régalien le plus sécuritaire, ce qui le résume assez bien finalement.

Comptez-vous voter ?

Je ne suis pas parti pour voter, mais je peux changer d’avis. Si je devais en choisir deux, ce serait Arnaud Montebourg et Benoît Hamon. Je n’exige pas un candidat chimiquement pur, cela n’existe pas. Je leur trouve aussi des faiblesses à l’un et à l’autre, à commencer par celle-ci : ils ont installé Valls, en connaissance de cause.

Benoît Hamon est innovant, il est le plus positif et le plus tourné vers le futur notamment d’un point de vue écologique, mais cette vieille idée du Revenu d’existence ne remet pas en question les rapports d’inégalités et de domination économique. Elle ne fait pas peur aux possédants. Néanmoins, il aborde des questions qui nous concernent tous les jours ; son engagement contre les perturbateurs endocriniens en est un exemple.

Montebourg il fait un peu super prof d’éco mais il prône à raison un nouveau rapport de force européen et d’autres choix d’investissements publics : soit on continue à les donner à des entreprises qui n’en ont pas besoin, comme on l’a fait, soit on les utilise intelligemment. Enfin, il affirme  l’indépendance de l’État face aux puissances financières.

« Belle alliance populaire » (BAP) est le nom donné à cette primaire de la Gauche. Qu’est-ce qu’il dit ou à l’inverse qu’est-ce qu’il ne dit ?

C’est un emballage. Ils ont donné ce nom pour effacer ce qui se voyait le plus, à savoir l’isolement du parti socialiste.

Mais cela ne prend pas, c’est le PS ou ce qu’il en reste et quelques alliés qu’on est allé chercher par les cheveux ou qu’on a même inventés.

Et le mot « populaire » ?

C’est une blague absolue. C’est vendre l’idée qu’on est populaire alors qu’on ne l’est plus. On fantasme ce qu’on n’est pas. Au final, la BAP importe peu. Ce qui compte, c’est de solder le passif de ce quinquennat et de décennies d’impuissance politique.

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Selon Manuel Valls, ce sont les frondeurs, dont vous avez fait partie sont l’origine du 49-3 à six reprises. Qu’en pensez-vous ?

Si d’autres ont utilisé le 49-3 avant Manuel Valls, ce n’était pas un argument pour le faire à son tour et abîmer un peu plus le débat démocratique.

Sur ce projet de loi El Khomri, il avait le parlement contre lui. Sinon il n’aurait pas eu à l’utiliser. Il avait les syndicats contre lui.

Le patronat était contre aussi, car on oublie de dire que si le Medef était pour, la Confédération générale des PMI/PME était contre et les artisans aussi. L’opinion publique était contre.

Cela s’appelle un passage en force.

Manuel Valls s’est crispé de la façon la plus archaïque qui soit. Sa pratique du pouvoir renvoie à une vision très phallique du politique, un rapport de force vertical où seule la déclaration d’autorité fait loi.

S’agit-il d’un tournant selon vous dans la situation politique de la France ?

La culture politique française du pouvoir est parfois dangereuse : la tentation sécuritaire est toujours présente, au risque d’un vrai déni de démocratie. Les seuls pays où on passe en force dans les procédures législatives ne sont pas des démocraties. Cette évidence ne semble plus inquiéter grand monde !

Manuel Valls semble incarner ce déni à lui tout seul. Pourquoi ?

Que quelqu’un qui se proclame de la gauche endosse ainsi ces habits bonapartistes est insupportable. Dire qu’il a été contraint est une grande maladresse. En politique, on assume. Cette certitude qu’on est responsable de rien ni devant personne affaiblit notre pays,  qui est déjà très fragile.

Il a pris l’opinion pour une bande d’abrutis naïfs. Il a nourri l’idée que la politique est un jeu. Il n’est pas à la hauteur. Il ne se rend pas compte des coups qu’il porte à la démocratie française en faisant cela.

Pour son autoritarisme autant que pour son libéralisme d’un autre âge, j’espère qu’il va perdre

En quoi la France vous semble-t-elle fragile ?

C’est ambivalent. La France est un pays avec de grandes richesses, mais celles-ci ne sont ni utilisées ni justement représentées par les politiques. Ce qui fait partie de ces fragilités, ce sont ces élites qui se crispent sur des débats qui ne sont pas ceux des gens. On pourrait aussi parler d’un pays qui ne se situe plus ni dans son histoire ni dans sa géographie immédiate.

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Vous parlez social quand d’autres parlent identité, laïcité pour expliquer le malaise…

Mettons de côté les polémiques créées sur l’islam ou la laïcité. Beaucoup de dirigeants nourrissent cette confusion qui mène à une impasse. Beaucoup montent les Français les uns contre les autres. Ils ont capitulé devant la percée culturelle de l’extrême droite qui a imposé ses thèmes. Ils l’ont fait soit par lâcheté, soit par conversion.

Mais dans les deux cas, c’est inexcusable. Quand on a de tels risques écologiques mais avec des solutions à portée de main, quand la société est confrontée à un tel risque de désintégration mais avec une école et des services publics aussi développés…on devrait plutôt s’engager pour le bien commun, utiliser les meilleurs atouts de la France pour tout tirer vers le haut. La faillite de nos gouvernants réside dans ce constat : on n’a jamais eu la possibilité d’encourager et de permettre un monde meilleur et pourtant … on ne le fait pas. On inocule des peurs à la société française, celle de l’islam en particulier, alors que ce n’est pas une préoccupation des citoyens. Ce qui est fragile est l’état d’esprit de nos dirigeants.

Vous dites que « l’on construit la France sur des peurs »

On ne s’inspire pas, dans les politiques publiques contemporaines, des connaissances pas plus qu’on ne s’appuie sur la société civile. Il y a même une confiscation du pouvoir dans un entre soi culturel de plus en plus médiocre.

Cet entre-soi là nous tue.

La vraie différence aujourd’hui entre les candidats est entre ceux qui nourrissent ces crispations et ceux qui ne les nourrissent pas. Les premiers maltraitent la société française, on confond désormais I’islam et terrorisme comme avant on confondait immigration et drogue.

La laïcité est-elle devenue un cache misère de l’impuissance politique ?

La laïcité a une définition simple et explicite : l’Etat est neutre et les gens sont libres. Et pas l’inverse. On essaie de nous vendre l’inverse par capitulation ou lâcheté envers le FN. Parti qui  a toujours été anti-laïque jusqu’au jour où il a utilisé la laïcité contre l’islam.

Face à une société où les Maghrébins sont désormais français, le problème du FN est d’abord le passif lié à la guerre d’Algérie qui n’a jamais été réglé.  Le FN est passé d’un racisme anti-arabe à un racisme antimusulman.

Et le 11 septembre 2001 lui a permis de faire cette mue.  Dans un pseudo-combat civilisationnel, l’instrument de cette « lutte » a été la laïcité, non plus comme moyen de protection des minorités et de la libre conscience mais comme une injonction d’effacement de soi, donc de soumission à une norme « blanche et catholique » décrétée comme exclusive de notre identité nationale. Il y a là un vrai révisionnisme historique qui considère que la France s’est constituée autour d’une seule identité.

Selon le chercheur Olivier Roy, ce que le PS « ne pardonne pas aux immigrés maghrébins, c’est d’avoir fait des enfants musulmans » . Il y a quelque chose de l’ordre de la blessure narcissique…

C’est un vieil instrument de gestion coloniale au fond, que de demander à des gens de se soumettre à la loi du maître. Et c’est cette perversion de la laïcité qui s’est imposée. La crispation identitaire, ce qu’on appelle communautarisme, vient sans doute moins des Français venus d’ailleurs que de cette partie de la France qui se voit monocolore, blanche et chrétienne. Elle ne voit pas la France telle qu’elle est vraiment : pluriculturelle et même cosmopolite.

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Le grand retard, il est là. Il suffit de voir à quel point les guerres coloniales  et la question postcoloniale sont souvent effacées de l’Histoire.

La République est dominée aujourd’hui par les conservateurs et même menacée par les réactionnaires. Mais cela n’a

pas toujours été le cas, elle a été progressiste aussi. Je me sens dans cette lignée, opposée aux vents mauvais d’aujourd’hui qui considère que la République n’est que l’ordre : sécuritaire, policier… Pour moi, la République c’est d’abord la révolution française.

Le problème vient-il de l’élite ?

C’est un discours politique qui vient d’une partie des dirigeants de la droite, avec Jacques Chirac et « le bruit et l’odeur » ou Pasqua et « les valeurs communes avec le Front National ». Cela s’est propagé ensuite à la gauche.

D’ailleurs, on parle de culture « judéo-chrétienne » pour exclure les musulmans. Dans les années 30, on parlait de « gallo-romaine » pour exclure les Juifs…

Oui, tout à fait.. Cela renvoie à la question de la fabrique de l’histoire. Comment  la transmet-on. Regardez comment les massacres et les humiliations coloniaux ont été effacée. On a pourtant besoin de connaître notre histoire.

À gauche on relativise le traumatisme, qui s’est transmis, et parfois mal transmis à force d’être caché : on dit « oui, le choc des cultures a toujours existé, ça a été le cas avec les Italiens…ça finira pas passer» sauf que les Italiens ou les Polonais n’ont pas été colonisés. L’exploitation coloniale a été vécue spécifiquement par les populations issues de l’Afrique. Cela fait partie de la France. Et l’effacer devient contre-productif. Cette question est éminemment contemporaine. Elle est devant nous et elle est une part de notre indispensable sérénité.

Propos recueillis par Hassina Mechaï et Nadia Henni-Moulaï

 

Raconter, analyser, avancer.

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