Ce que raconte la limitation de vitesse
Tous les week-ends, retrouvez une nouvelle chronique de Stéphane Bugat. Pour MeltingBook, il passe au crible un fait de société, économique, politique à la lumière son parcours de journaliste, consultant et auteur de plusieurs livres sur l’actualité politique et sociale.
Le Premier ministre a annoncé le réduction de la vitesse autorisée sur les routes nationales, de 90 à 80 kilomètres heures. Cette décision, d’apparence mineure, est pourtant de celles qui provoquent des polémiques à n’en plus finir. D’autant que sa justification est pour le moins aléatoire.
Les représentants de divers lobbys, à commencer par celui de l’industrie automobile, ne se privent donc pas d’en contester le bien fondé. Certains automobilistes y voient même une atteinte pure et simple à leur liberté.
En fait, le sujet est des plus sérieux, si l’on considère que les accidents de la route provoquent encore plus de 3000 morts par an. Un chiffre d’une froide brutalité. Et encore ne tient-il pas compte du sort réservé aux blessés, beaucoup plus nombreux. Un chiffre certes inférieur à ce qu’il était dans les années 70, où l’on relevait, sur les bas-côtés, quelques 20 000 morts par an. Ce qui n’est pas une consolation, puisque ce sont bien de 3000 morts de trop dont il s’agit, autant morts stupides et intolérables.
Bref, la sécurité routière reste un sujet grave qui mérite d’être pris au sérieux. C’est justement la raison pour laquelle cette nouvelle limitation de vitesse ne donne pas vraiment satisfaction.
Lorsque les pouvoirs publics ont pris conscience, dans les années 70, que le massacre sur route était devenu un véritable drame national et qu’il était indispensable de faire quelque chose pour y remédier, ils ont considéré que l’action à cet égard pouvait se répartir en trois domaines complémentaires : le réseau routier, les véhicules et le comportement des conducteurs. Un triptyque toujours d’actualité.
Le réseau routier était sorti fortement endommagé de la seconde guerre mondiale et se remise en état n’était que très partielle. Ce qui était alors le ministère de l’Equipement a procédé, avec le concours des fameuses directions départementales de l’Equipement encore sous sa tutelle, a un recensement des « points noirs », c’est-à-dire des endroits en plus dangereux, afin d’y concentrer les travaux d’amélioration.
Dans le même temps, le réseau d’autoroute a été activement développé grâce à un système de financement dit de « l’adossement ». Les sociétés d’autoroutes étant publiques, le péage acquitté par les usagers permettait de rembourser les emprunts collectés pour la réalisation du tronçon concerné, puis pour les tronçons à venir. Un système qu’il a fallu abandonner avec la privatisation des sociétés d’autoroutes, initiées par Laurent Fabius, alors ministre de l’Economie et des Finances du gouvernement Jospin, confirmée et généralisée par le gouvernement Villepin.
Cela correspondait, de surcroit, aux attentes des instances européennes, désireuse de faire des autoroutes un marché comme les autres, livré à la concurrences des acteurs privés. C’est maintenant le cas, les péages qui ne cessent d’augmenter profitant aux dividendes des exploitants mais plus au développement du réseau.
Cela s’est avéré d’autant plus fâcheux les que les financements disponibles sur le budget d’Etat pour l’entretien des routes a été progressivement réduit en peau de chagrin. En 2005, les DDE ont été transférés aux départements et avec elles la charge d’entretenir plus de 18 000 kilomètres du réseau routier national.
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La sophistication technique n’aurait-elle pas comme conséquence paradoxale de réduire la vigilance des conducteurs ?
Tâche que les Conseils généraux ont assuré avec zèle, jusqu’à ces dernières années. Leurs finances se trouvant dans le rouge, avec l’accroissement des aides sociales leur incombant et la baisse des dotations de l’Etat, ils ont dû s’imposer des économies drastiques, en commençant par se montrer moins exigeants sur l’entretien du réseau routier.
De leur côté, les véhicules ont bénéficié d’améliorations spectaculaires, aidés en cela par les progrès technologiques ainsi que par la réglementation de plus en plus rigoureuse imposée aux constructeurs, notamment par Bruxelles. Elles ont bénéficié aux performances, au confort mais également aux éléments de sécurisation des voitures et pas seulement dans le haut de gamme.
Qualité des suspensions, du freinage, des alertes en cas de dangers, etc. Au point, que l’on a pu se demander si cette sophistication technique n’aurait pas comme conséquence paradoxale de réduire la vigilance des conducteurs. Interrogation qui peut être bientôt hors sujet si l’on admet que ce qui se prépare actuellement c’est la voiture du futur… sans conducteur.
Admettons cependant que ces améliorations si elles font beaucoup pour l’attractivité marketing à laquelle les constructeurs sont particulièrement attentifs, contribuent également au bien être des utilisateurs.
Reste le comportement des usagers. Vaste sujet. Une certaine irresponsabilité fut longtemps partagée, les excès de vitesse, par exemple, étant considérés comme une façon brillante d’aller de l’avant, tout cela étant justifié par formule considérée comme une sorte d’infaillible grigri : « les accidents, ça n’arrive qu’aux autres. »
Dans une société qui considérait la voiture comme le signe le plus éloquent de la réussite, l’accident fut ainsi traité comme quantité négligeable. Ceux qui étaient tout de même frappés, directement ou indirectement, s’empressaient d’oublier le malheur, parce qu’il était envisagé comme la rançon de la modernité.
Les premiers efforts de communication des pouvoirs publics ont donc consisté à convaincre que les victimes de la route ne devaient pas être rangées au rayon des fatalités acceptables. Puis, ils ont tenté de démontrer que dans l’immense majorité des cas les sinistres étaient plus ou moins imputables aux conducteurs.
La principale difficulté étant que les accidents ont rarement une cause unique. On peut souvent les imputer à une défaillance du véhicule ou de la chaussée, mais la manière dont le conducteur y a fait face, à commencer par la vitesse n’est certes pas indifférente. Les circonstances et les impondérables de la circulations, eux aussi pèsent lourds dans la balance, mais ce qui leur donne un caractère dramatique c’est l’incapacité des conducteurs à y faire face, parce exemple parce qu’il est fatigué et que ses réflexes ne sont pas ce qu’ils devraient être, à plus forte s’il est par trop alcoolisé ou sous l’effet de substances prohibées.
Complexité des paramètres en cause
Sait-on que ce que redoutent le plus les exploitants d’autoroute, ce sont les effets de l’endormissement, notamment suscité par l’harmonie sécurisante du réseau dont le revers de la médaille est de provoquer une certaine lassitude. Des études très sérieuses, ont démontré que, sur un parcours Paris-Lyon, les conducteurs pouvaient dormir plusieurs dizaines de secondes au volant, à raison de séquences de micro-sommeils, il convient de le préciser.
Face à la complexité des paramètres en cause, les pouvoirs publics ont considéré que les campagne de communication ne suffisaient pas à convaincre et qu’il fallait avoir recours à des méthodes plus répressives. Ce fut le cas avec la généralisation du port de la ceinture de sécurité.
Elle est maintenant devenue un réflexe, même s’il a fallu un certain temps pour y parvenir. La limitation de vitesse entre dans cette catégorie.
Ce qui rend difficile l’acceptation de ce type de norme, c’est qu’elle n’est pas vécue de la même manière par tout le monde. Le propriétaire d’une voiture de petite cylindrée ne se sentira pas brimé de ne pas dépasser le 130 kilomètres/heure sur autoroute.
Il en sera bien différemment de celui qui dispose d’une puissante berline, au volant de laquelle il aura l’impression de ne pas avancer. Seulement, le propre d’une telle règle c’est qu’elle s’applique à tous de la même manière et que pour cela elle doit prendre en référence le plus petit dénominateur commun.
Particulièrement sensible aux enjeux de la sécurité routière, Jacques Chirac est le président qui a assumé l’approche la plus restrictive et la plus répressive en la matière. L’évolution favorable des statistiques d’accidentologie lui a donné raison, même si certains automobilistes soulignent aussi que la généralisation des contrôles a sensiblement majoré les recettes que l’Etat en retire.
Surtout, la rigueur des sanctions qui se traduit notamment par la perte des points sur les permis, peut avoir un impact assurément fâcheux. Notamment, lorsqu’elles s’appliquent à des automobilistes qui ne peuvent pas travailler sans leur voiture. Au point, que l’on estiment aujourd’hui à plusieurs centaines de milliers les conducteurs qui circulent sans permis, donc sans assurance, avec les conséquences que cela peut avoir.
Téléphones portables et dégradation du réseau routier
De plus, on observe depuis peu un renversement de la courbe jusqu’alors déclinante des accidents, en particulier les plus graves d’entre eux. L’apparition de nouveaux facteurs de risques n’y est probablement pas étrangère, telle l’utilisation des téléphones portables, pourtant sévèrement réprimée. Mais la dégradation du réseau routier y a aussi sa part.
Les pouvoirs publics ne peuvent rester indifférents. Ils maintiennent les interventions sur les situations à risques, au premier rang desquelles les sorties d’établissements de nuit en fin de semaine avec le renforcement des contrôles d’alcoolémie auprès de jeunes conducteurs susceptibles de faire preuve d’insouciance. Cela ne suffit pas. La nouvelle baisse de la limitation de vitesse est-elle pour autant la disposition opportune ?
Elle pourra peut-être donner bonne conscience au gouvernement mais, à dire vrai, on voit mal ce qu’elle améliorera. Elle pourrait même renforcer la conviction chez certains automobilistes d’être sujets à des sanctions aveugles et incohérentes.
Ce serait dommage. Car la sécurité routière est un sujet trop sérieux pour être réduit à une disposition partielle et partiale. Et elle mériterait donc, pour le moins, une réflexion et une prise de conscience collectives, tenant compte du fait que la circulation au XXIe siècle n’intègre pas exactement les mêmes éléments et les mêmes facteurs qu’au siècle précédent.
Stéphane Bugat