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Stress in the city : quand les transports en commun usent la santé

La nécessité de lutter contre la pollution et ses effets sur les dérèglements climatiques et la santé publique est établie. Dans cette perspective, il est tout à fait logique de chercher à réduire la circulation automobile en ville. Mais tout changement de société peut avoir des effets indésirables.

Plus encore quand il s’agit d’un chantier aussi énorme que de remplacer des modes de déplacement individuel – comme la voiture – par des transports en commun. Une telle mutation peut se traduire par des effets néfastes sur la santé des personnes concernées, si ceux-ci ne sont pas anticipés.

Les conditions difficiles dans les transports en commun provoquent un stress intense et prolongé pour les usagers. Avec des risques pour leur santé.

Les habitants des grandes métropoles, et singulièrement en région parisienne, travaillent de plus en plus loin de leur domicile. Les trois quarts des Franciliens exercent leur profession hors de leur commune d’habitation, selon l’Insee.

La distance domicile-travail médiane était de 23 km en 2013. Si on y ajoute les déplacements non professionnels, le temps de transport moyen est de 92 minutes par jour en région parisienne. Autre particularité, l’utilisation des transports en commun y est déjà beaucoup plus forte qu’ailleurs : 44 % des navettes domicile-travail, contre moins de 17 % au plan national.

L’utilisation des transports en commun est promue aujourd’hui par les tenants de la cause écologique, qui mettent en avant un impact positif sur l’environnement et donc sur la santé publique. Les bénéfices sont effectivement certains par rapport aux déplacements automobiles en ce qui concerne les émissions toxiques, pour les pathologies respiratoires notamment. Ce changement améliore l’état de santé et réduit la mortalité des personnes les plus vulnérables, comme les enfants jeunes, les personnes âgées ou toutes celles souffrant de maladies pulmonaires et allergiques.

Le stress excessif et durable, facteur de risque pour la santé

Mais on connaît un autre facteur de risque majeur vis-à-vis de nombre d’affections : le stress excessif et durable. Ses effets toxiques sont largement documentés sur la biologie du corps, en particulier sur le système cardio-vasculaire, le système immunitaire, le métabolisme et le cerveau dans son ensemble.

Il peut en découler une aggravation des risques d’hypertension artérielle, d’infarctus du myocarde, d’accidents vasculaires cérébraux, de diabète, d’obésité, et de tous les troubles psychiques comme la dépression et les addictions. Sans compter les troubles moins spectaculaires mais sources de souffrances réelles que sont les migraines, troubles digestifs, sensibilités aux infections ou troubles allergiques divers.

Or, les usagers réguliers des transports en commun sont soumis à un niveau de stress bien supérieur à la moyenne de la population. Les raisons en sont multiples. Il est particulièrement élevé dans les zones urbaines les plus denses où les quais, les wagons et les bus sont toujours combles, sans possibilité de place assise pour des trajets parfois très longs.

Les retards, pannes diverses et incertitudes sur les horaires produisent un sentiment de vulnérabilité majeure pour les personnes devant respecter des heures précises, au risque de perdre des journées de salaire voire leur travail. On peut y ajouter un sentiment d’insécurité lié aux risques d’agression, accentué ces dernières années par la menace accrue d’attentats dans les lieux publics.

À l’heure de pointe sur un quai de la station Shinjuku, à Tokyo au Japon.
redd angelo unsplash

L’étude du cabinet Technologia, en 2010, pointait ainsi les principales sources de stress des salariés empruntant quotidiennement les transports en commun en région parisienne. Il s’agit de :

  • la multiplicité des correspondances,
  • les transports en commun souterrains,
  • le taux de fréquentation des transports en commun,
  • la fréquence des incidents techniques ou humains,
  • la sur-stimulation visuelle et attentionnelle : les panneaux publicitaires, les informations à surveiller concernant les horaires et les directions, les annonces à répétition, etc.
  • l’ambiance sonore, l’ambiance thermique (comme les courants d’air froid et chaud), une luminosité artificielle agressive, des odeurs,
  • les comportements non respectueux des autres (comme les conversations au téléphone portable ou les bousculades en montant ou descendant des voitures).

Des conditions plus inconfortables encore en période de pointe

Ce même rapport indique que les conditions sont plus inconfortables encore en période de pointe, au plus fort de l’affluence. Les conditions de transport présentent des facteurs anxiogènes qui peuvent constituer pour les voyageurs une réelle pénibilité et les conduire à l’usure.

Voici en illustration le témoignage, tiré du rapport Technologia, d’un employé de banque habitant Pontoise et travaillant à La Défense : « Le RER A n’est pas très agréable, il est souvent bondé, il m’arrive d’en laisser passer. En temps normal, je mets 40 minutes pour joindre La Défense. Après c’est aléatoire, ça dépend si la navette est là ou si je dois l’attendre longtemps. Dans ce cas, j’y vais à pied. Enfin, en moyenne, je mets 1h15 pour me rendre à mon travail. »

D’autres témoignages éloquents se trouvent facilement sur Internet et les réseaux sociaux, à propos notamment de la ligne A du RER, une des plus fréquentées au monde. Certains surnomment le RER A comme… Angoisse ! Sur la page Facebook d’Europe 1, Véronique se dit par exemple « traumatisée du RER A ». Elle raconte « dix ans de galères […] j’étais à la limite de la dépression nerveuse […] Vous attendez avec l’angoisse dans le ventre dans le train, quelques fois sans lumière et surtout aucun portable ne marche. Je hais ce RER ! »

Cela dit, les autres lignes ne sont pas épargnées, comme en témoigne la pétition des usagers quotidiens du RER B en 2017. Ils signalent « qu’en moyenne les voyageurs subissent un incident technique par jour ouvré qui impacte leur vie personnelle et professionnelle ainsi que leur santé mentale et physique ».

Un niveau de stress multiplié par deux ou par trois

Ces constats ne sont évidemment pas limités à la région parisienne et à la France, mais concernent toutes les grandes métropoles du monde. Une étude britannique a montré par exemple que les personnes se rendant à leur travail en transport en commun ont un niveau de stress trois fois plus élevé que celles s’y rendant à pied.

Jour d’affluence dans une station du métro de Londres.
Anna Dziubinska/Unsplash

Ces résultats sont confirmés par une étude de l’université de Nottingham, montrant un risque de stress multiplié par deux ou trois chez les usagers du bus ou du train par rapport aux personnes se rendant à leur travail en voiture. Toutes les enquêtes confirment que, même si le niveau de stress des conducteurs peut aussi être élevé, dans les embouteillages notamment, les salariés et autres travailleurs considèrent un trajet en voiture nettement moins stressant qu’un trajet en transports en commun.

L’environnement du métro et des transports sous-terrains, déjà difficile pour tout un chacun, l’est plus encore pour les personnes souffrant par ailleurs d’une forme d’anxiété excessive, voire pathologique. C’est le cas d’environ 10-15 % de la population générale. En cas d’agoraphobie, de claustrophobie, d’attaques de panique, de TOC, de stress post-traumatique ou encore de phobies sociales, l’univers du métro est particulièrement anxiogène, parfois même totalement inabordable.

Le stress des usagers, un enjeu de santé publique

Il faut donc constater que les transports en commun constituent un facteur de stress important pour les usagers réguliers, surtout sur les lignes très fréquentées, aux heures de pointe, et en cas d’inconfort ou de dysfonctionnements majeurs répétés.

Or les répercussions pour la santé des voyageurs n’ont jamais été spécifiquement étudiées. Elles constituent pourtant un enjeu essentiel de santé publique dans les grandes villes, au moins aussi important que celui de la pollution provoquée par la circulation automobile. La substitution de l’une par les autres, y compris par des mesures contraignantes, ne peut donc pas constituer, en soi, une solution efficace pour améliorer la santé des citoyens.

Ceci ne signifie pas que l’objectif de réduction de la circulation automobile en ville est inadapté sur le plan de la santé publique. Simplement, ce changement doit s’accompagner d’un développement des alternatives, offrant aux usagers des moyens de déplacement non stressant. Des transports urbains collectifs confortables, fiables et en nombre suffisant constituent des solutions logiques. Ils sont malheureusement peu accessibles aujourd’hui, en région parisienne notamment.

La marche à pied, le vélo, et toutes les solutions d’intermodalités, qui permettent de conjuguer plusieurs moyens de transport (par exemple des parkings à vélo bien conçus à côté des gares) sont également des alternatives essentielles, à condition qu’elles soient sécurisées et confortables.

La pratique du vélo est indiscutablement une des meilleures options pour la santé, le bien-être et l’environnement – même si elle peut être anxiogène voire dangereuse quand les aménagements ne sont pas suffisants.

Réduire la place de l’automobile est indispensable, mais investir des moyens conséquents dans les alternatives l’est tout autant. Cela constitue même une priorité citoyenne et politique vitale.

Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Inserm, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Crédit photo de Une : ©Shutterstock

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