Le très incertain destin du Parti socialiste
Tous les week-ends, retrouvez une nouvelle chronique de Stéphane Bugat. Pour MeltingBook, il passe au crible un fait de société, économique, politique à la lumière son parcours de journaliste, consultant et auteur de plusieurs livres sur l’actualité politique et sociale.
Ce n’est pas la première fois que le Parti socialiste quitte le pouvoir par le petite porte. Mais cette fois, il n’est pas seulement frappé par un échec électoral à la présidentielle et aux législatives, puisque ce fut bien pire qu’une défaite, un véritable naufrage.
S’y ajoute une terrible hémorragie d’adhérents et de cadres. Les uns ont volé au secours du succès en ralliant les marcheurs d’Emmanuel Macron.
Les autres ont préféré répondre à l’appel à l’insoumission de Jean-Luc Mélenchon ou à l’initiative de Benoit Hamon qui, étrangement, a considéré que son score de la présidentielle constituait une base solide pour créer son propre mouvement.
Sans oublier ceux qui ont renoncé au militantisme, comme bien d’autres l’avaient fait depuis des décennies.
Pour faire bonne mesure, il faut mettre dans la balance la baisse drastique des ressources publiques qui oblige à licencier une bonne partie des permanents et à vendre le siège historique de la rue de Solférino, ou encore, dans un tout autre registre, les révélations sur les pratiques plus que machistes chez les Jeunes Socialistes, organisation que François Mitterrand qualifiait déjà « d’école du vice ».
On n’oubliera pas non plus les frasques d’un Gérard Filoche qui à force d’injurier la terre entière s’est vu indiquer le chemin de la sortie ou la énième trahison d’un Olivier Dussopt qui, après être passé par toutes les tendances socialistes vient de faire son entrée triomphale au gouvernement.
Dernière touche à ce tableau d’un parti socialiste agonisant, ce sondage selon lequel 74% des Français considèrent comme plausible l’hypothèse de sa disparition.
La disparition des idées
Au-delà de tous ces éléments d’une déroute sans précédent, ce qui incite surtout à s’interroger sur les chances de survies du PS, c’est la tragique absence d’idées singulières et de convictions porteuses.
Il s’agit tout de même de ce qui devrait être sa principale raison d’être.
Ce qui ne fait pas de doute c’est que les socialistes, à trop avoir usé et abusé de la formule magique consistant à faire des promesses lorsqu’ils sont dans l’opposition et en campagne électorale, promesses aussitôt oubliés lorsqu’ils parviennent au pouvoir, ne pourront plus trouver ainsi leur salut.
Pourtant, si l’on observe le paysage politique actuel et la manière dont il peut évoluer dans les années qui viennent, les socialistes ne sont pas nécessairement condamnés à disparaître de l’espace politique.
A condition, évidemment, de changer à la fois leur mode de pensée et celui de leur fonctionnement. Ce qui n’est pas gagné d’avance.
Emmanuel Macron doit le succès, outre son équation personnelle, à sa capacité à constituer, en partant de rien ou presque, une force politique centrale et électoralement hégémonique.
Il a pour cela pioché simultanément dans l’électorat de la droite et dans celui de la gauche.
Coup fatal pour les Républicains qui avaient déjà laissé échapper vers l’extrême droite un certain nombre de leurs électeurs, en particulier dans certaines régions (dans le Nord, l’Est et le Midi).
La fuite des électeurs et des militants fut tout aussi marquée au PS, soit parce qu’ils étaient de longue date acquis au thèses néo-libérales, soit parce qu’ils aspiraient, plus prosaïquement, à figurer, une fois encore, dans les rangs des vainqueurs, ceux qui exercent le pouvoir.
Pour être équitable, on se doit également de constater qu’une bonne partie des marcheurs ne rentrent pas dans cette répartition puisque ce sont des nouveaux venus à la politique, motivés par la promesse d’Emmanuel Macron d’inventer une nouvelle manière de faire de la politique. CQFD.
Après le flux, le reflux
Ce que l’on est aujourd’hui bien en mal d’évaluer, c’est la solidité de ces engagements, en raison même de la diversité de leurs motivations et leurs origines.
Emmanuel Macron en est certainement conscient, comme il l’a été de la nécessité de structurer et d’orienter son parti, pris dans une sorte d’inquiétant flottement dans les semaines qui ont suivi les élections.
Et s’il a appelé Christophe Castaner à la rescousse pour structurer et mobiliser la République en Marche, alors que celui-ci aurait manifestement préféré poursuivre tranquillement son travail au gouvernement, c’est qu’il n’avait probablement pas sous la main d’autres volontaires à désigner pour assumer cette lourde tâche.
Reste qu’en politique comme en bien des domaines, le flux est généralement suivi d’un reflux, plus ou moins important.
Et que les majorités introuvables – intitulé qui correspond à merveille à la vague macronniste – ne durent pas éternellement.
C’est le lot de ceux qui exercent le pouvoir : un jour ou l’autre, ils déçoivent, un peu, beaucoup, passionnément, etc..
Voilà pourquoi les Républicains comme les socialistes ont quelques raisons d’espérer des jours meilleurs.
Encore doivent-ils créer les conditions pour être effectivement bénéficiaires de cette éventuelle amélioration de la météo politique.
On considère communément que trois facteurs sont nécessaires pour qu’un parti politique puisse raisonnablement se lancer à la (re)conquête du pouvoir : des idées, une stratégie et un ou plusieurs leaders.
Ramasser les gravats
Le PS sait donc ce qui l’attend mais, pour le moment, il n’en est encore qu’à ramasser les gravats après le tremblement de terre électoral.
11 mai 2017, Le Monde
A l’Assemblée nationale son groupe parlementaire qui n’a pas osé s’appeler socialiste, est réduit à la portion congrue.
Au Sénat, son homologue en est encore à rechercher ses repères, à l’instar de son président, qui ne cesse d’expliquer tout le bien qu’il pense… du président de la République, inventant une nouvelle posture, pour le moins paradoxale, que l’on peut qualifier d’opposition complaisante.
Jusqu’alors, les 26 membres de la direction collective provisoire se sont bien davantage occupés par les questions d’intendance et à la préparation d’un congrès, prévu en avril 2018, étape probablement nécessaire mais dont on ne peut imaginer qu’il suffira à garantir l’indispensable renouveau, préalable à un avenir radieux.
Ils ont tout de même esquissé « un processus de refondation » qui sera, à n’en point douter, un travail de très longue haleine.
Dans les sections et les fédérations, les derniers des Mohicans socialistes et fiers de l’être, sont donc conviés à un travail de réflexion.
Ce n’est pas la première fois, tant les socialistes ont le goût pour les grandes messes expiatoires, sur lesquelles ils comptent pour regagner les faveurs des électeurs, quitte à renouveler allègrement les erreurs déjà commises à plusieurs reprises.
Il est tout de même à craindre que ce simulacre, cette fois, ne suffise plus.
Car ce qui pèse sur eux, c’est le lourd héritage du quinquennat de François Hollande.
L’enfant prodige de François Hollande
A cet égard, la question n’est pas de savoir ce qui mérite d’être salué et ce qu’il convient de décrier.
Pour la simple raison, que la question du bilan ne se pose plus puisque c’est le chef de l’Etat qui, de sa propre initiative, a renoncé à se représenter devant les électeurs, leur donnant ainsi acte de la situation d’échec qui est la sienne.
A plus forte raison, dans son cas précis, si l’on considère que c’est lui et personne d’autre qui a pouponné son successeur, ce qui rend fort peu crédibles ses dénonciations tacites de la supposée trahison de celui qu’il considérait comme son enfant prodige.
On peut même ajouter à cela que la politique qu’Emmanuel Macron met aujourd’hui en œuvre, plonge ces racines dans celle qu’a mené François Hollande, en particulier en matière économique, à l’instar du très controversé CICE.
En somme, la notion de devoir d’inventaire chère à Lionel Jospin (sauf après son passage à Matignon), n’est vraiment plus de circonstance.
Leur passif est tel dans l’opinion public que les socialistes n’ont d’autre issue que de tout effacer et de faire preuve de créativité et d’audace intellectuelle.
Plus facile à dire qu’à faire
Le valeureux Stéphane Le Foll a au moins tenté quelque chose. Avant de réunir ses amis, l’autre samedi, il leur a adressé un long texte de réflexion qui a déjà le mérite d’exister.
Le problème, c’est que la première moitié du document est occupée un plaidoyer pro domo visant à imputer à des tiers tout ce qui n’a pas été merveilleusement réussi lors du quinquennat de François Hollande.
Et en début de réunion, son compère François Rebsamen a conforté le propos en expliquant sereinement que les difficultés rencontrées furent toutes imputables à des phénomènes « exogènes ».
A ce degré d’aveuglement, on reste sans voix.
Surtout, procédant de la sorte, Le Foll occulte la suite de son texte, où il se revendique de Jaurès plutôt que de Clémenceau (qu’il laisse donc à l’admiration de Manuel Valls) et plaide pour une nouvelle forme d’internationalisme.
Affrontement de personnes
Bref, on s’inquiète pour le très aléatoire renouveau du socialisme français. A plus forte raison s’il se résume finalement, une fois encore, à un affrontement de personnes pour la conquête du poste – au demeurant moins attractif – de premier secrétaire du PS.
Un choc attendu des ego qui, de surcroît, risque bien de ne révéler aucun leader miraculeusement sorti de l’ombre, ce qui serait un comble !
Stéphane Le Foll y songe assurément. Il en a la carrure et le tempérament et peut s’appuyer sur quelques amis fidèles.
Seulement, est-il capable de s’amender de sa noble loyauté et de son irréductible fidélité envers François Hollande ?
Et comment peut-il démontrer autrement qu’il sait se comporter en chef et non en exécuteur des basses œuvres ?
D’autres noms sont avancés. Luc Carvounas, député et ancien maire d’Alfortville, est le premier à s’être officiellement dévoilé.
Après avoir été un « porte flingue » de Manuel Valls, il en appelle à la gauche du PS.
Il y a de bien étranges renversements idéologiques. Sur ce même versant, Emmanuel Maurel, parlementaire européen et ancien proche de Jean Poperen, a au moins le mérite de ne pas avoir dévié de ses convictions.
Et puis voici Najat Vallaud-Belkacem. Certes d’abord soucieuse de se réinventer une vie professionnelle, elle qui n’a plus aucun mandat, aurait le soutien d’une fière brochette de quadra bien décidé à faire du jeunisme leur principal argument.
Bien qu’elle soit très attentive à son image, l’ancienne ministre de l’Education nationale a bien d’autres qualités.
Celles d’un organisateur hors pair et d’un leader charismatique ? Si le zèle de ses supporters atteint son but, on aura l’occasion de s’en assurer.
« Le socialisme, une idée qui fait son chemin, » proclamait une affiche en amont de la campagne de François Mitterrand, en 1981.
Le slogan d’aujourd’hui pourrait bien être : « le socialisme, une idée qui s’est perdue en chemin. »
La question étant de savoir ce que notre démocratie aurait à gagner avec l’évaporation d’une gauche progressiste et social-démocrate.
Stéphane Bugat