“Vers une école égalitaire”, par Karima Mondon
L’égalité, un valeur phare de notre pacte républicain. Aux frontispices de nos édifices publics, l’égalité appartient donc à la devise de notre pays.
C’est au nom de cette égalité que des mouvements voient le jour que ce soit Nuit Debout au printemps 2016 ou les revendications portées par les quartiers dit populaires, depuis plus de trente ans.
L’un des outils de cette égalité, c’est l’école, lieu de l’émancipation, de la méritocratie. Karima Mondon, enseignante-formatrice, livre des pistes aux candidats à la présidentielle, pour rendre l’école plus égalitaire.
L’école devrait donc être l’outil par excellence de la production de l’égalité. Une égalité réelle, il va sans dire et non simplement proclamée.
Or, il n’en est rien. De nombreuses études révèlent que, loin de lutter contre les inégalités, l’école de la République les accentue, les renforce[1].
Nous savons que l’égalité est meilleure pour tous[2], nous pressentons que l’éducation devrait permettre ce combat pour l’équité et pourtant nous composons avec ce paradoxe : notre école est inégalitaire.
Pourtant, ce paradoxe n’est qu’apparent et ne constitue en rien une rupture épistémologique inconciliable. Nous pouvons faire de notre école, une école plus juste, plus équitable, plus égalitaire.
Ceci n’est ni un vœu pieu, ni une utopie fumeuse. Cet objectif peut être atteint avec comme toujours dans la res publica, une réelle volonté politique.
Amis lecteurs, vous ne nous croyez-pas. Je sens poindre une forme de résistance, de méfiance même. Je sens que vous pensez que l’école ne peut changer, qu’elle est figée, que c’est un mammouth etc…
Amis lecteurs, accorde-moi un peu de ton temps et voyons comment avec du bon sens et de l’envie, nous pouvons transformer ce que l’on croyait immuable.
L’école inclusive, un préalable
Tout d’abord, pour que l’école soit plus égalitaire elle doit être plus inclusive. Dans la loi, c’est chose faite depuis la loi de refondation de l’école de juillet 2013, dans les faits, ce n’est pas gagné. Lorsque l’on dit inclusive, qu’entend-on exactement ?
L’inclusion, c’est « l’aptitude du système éducatif à permettre la réussite de tout élève quelque soit sa particularité ». Une forme d’égalité. La question de l’inclusion est indissociable de la question de l’accessibilité.
Dans plupart des pays de l’OCDE, on situe les injustices dans l’inaccessibilité des organisations. On comprend aisément que l’accessibilité dépasse largement le handicap car il s’agit de situer l’injustice dans l’inefficacité des institutions à faire réussir.
Pour être juste, nous devons prendre en considération la pluralité des élèves. La méconnaissance de cette pluralité est source d’inégalité et d’injustice. Cela revient à repositionner les fonctions des institutions et notamment de l’institution scolaire.
La question de l’inclusion renvoie à une autre manière de faire école. L’école n’est plus un espace d’ordre et de normes mais le lieu de l’épanouissement social. Son climat éthique doit donc l’amener à résorber les inégalités liées au fonctionnement de l’établissement et ainsi, par ricochet, on luttera contre les inégalités dans leur ensemble.
Cela nous conduit à une rotation dans nos attentes. Une rotation qui a tout d’une révolution copernicienne car elle nous conduit à une triple inversion :
– les élèves ne sont plus inadaptés au système mais sont en situation de besoin,
– le développement et l’émancipation d’une pédagogie différenciée impliquant les familles,
– substituer à la figure du maître celle d’enseignant ressource.
L’enseignant, vecteur d’égalité
Je m’intéresserai plus particulièrement au dernier point car il est au centre des changements pour aller vers une école plus égalitaire.
L’enseignant est cœur de l’école. Au delà de cette lapalissade, on voit bien que les enseignants constituent le levier principal pour réformer notre école, pour la construire d’une façon plus juste, plus éthique.
Balayons tout de suite les habituels poncifs qui entourent le métier d’enseignant. Oui, il existe des enseignants qui ne font pas leur travail et qui sont réfractaires à tout changement, comme dans tous corps de métier.
Ils sont une minorité et ne doivent pas faire oublier que l’immense majorité des professeurs œuvrent pour la réussite des élèves qui leur sont confiés. Il n’est pas efficace d’accabler des individus car l’école est une institution et la réponse à ses problèmes ne peut être que systémique.
Or, l’organisation de l’Éducation nationale ne permet pas aux enseignants de bénéficier d’une formation satisfaisante, tant initiale que continue, notamment pour le 2nd degré. Vous viendrait-il à l’esprit d’être opéré par un chirurgien n’ayant jamais reçu un cours d’anatomie ? Evidemment, non.
Réintroduire de la psychologie
Pourtant, beaucoup d’enseignants du 2nd degré n’ont jamais reçu une formation sur les besoins psycho-affectifs des enfants et des adolescents. Comment après cela, mettre en œuvre des situations d’apprentissages qui respectent les rythmes des enfants, qui stimulent le désir ?
Une fois titularisé, le professeur n’est pas accompagné dans une démarche de formation tout au long de la carrière. Il n’est pas poussé par le système à réfléchir sur sa pratique, à l’analyser pour la rendre plus efficiente.
Sans ce retour réflexif, le risque que de mauvaises pratiques ne se figent est très grand. Sans accompagnement, comment porter un regard critique sur sa pratique, comment entrer dans une démarche de recherche-action ?
Car c’est bien là que le bât blesse. Pour ne plus être un maître mais un enseignant ressource, les professeurs doivent pouvoir intégrer la dynamique d’une démarche de recherche-action.
Or, cette possibilité n’est que rarement offerte. Les ESPE[3] devraient permettre de renforcer ce lien avec la recherche.
« Puissance d’agir »
Pour favoriser cette dynamique, il faudrait offrir la possibilité à tous les enseignants de rédiger un mémoire professionnel, au bout de 3 ans d’exercice et non pas à l’issue de leur période de stage.
Se questionner, s’interroger, collaborer avec des pairs sont autant d’éléments qui permettraient aux enseignants de vraiment développer leur puissance d’agir au bénéfice des élèves.
Différer la production d’un mémoire professionnel permet aux enseignants de réaliser un vrai travail critique sur leur pratique, d’analyser les ressorts de leur entrée dans le métier et de mieux cerner leurs besoins en formation.
Réfléchir avant que nos habitudes ne soient devenues nos certitudes. Bâtir avec droiture et équité plutôt que de redresser un monde où chacun a pris l’habitude de se tenir de travers.
C’est, en effet, en analysant sa pratique qu’un enseignant peut comprendre si son action renforce ou non les inégalités, si ses pratiques sont inclusives, si sa démarche est innovante.
Sans ce recul, il y a fort à parier que chacun restera sur ce qu’il sait faire, même si ce savoir-faire peut parfois être contre-productif au regard des avancées de la recherche en science de l’éducation.
Face à la complexité des réalités, face à l’incertitude de métiers en mutation, il est fondamental de sortir du prêt-à-penser, du standardiser, tout en conservant de solides références aux prérogatives de l’Ecole, pour permettre aux acteurs du système de s’acquitter de leur missions « d’une façon suffisamment bonne », pour paraphraser Winnicott.
Comment redonner à l’enseignement sa dimension artisanale sans temps pour polir sa pratique ? Les enseignants sont les mieux placés pour savoir ce dont ils ont besoin, pour percevoir les difficultés et les richesses du terrain s’ils sont outillés pour le faire.
Le sentiment d’impuissance des enseignants est extrêmement dangereux car il entame le postulat d’éducabilité de chacun, il introduit comme recevable l’opinion de l’inégalité des intelligences.
Notre système place les enseignants dans une zone à risques, dans un conflit éthique car on exige d’eux des choses contradictoires qui entravent l’émancipation de chacun. Or l’école ne devrait-elle pas être le lieu d’une égale possibilité d’émancipation ?
On le voit la formation des enseignants est un enjeu majeur de l’École et un véritable levier pour une institution plus égalitaire. Il ne s’agit donc pas d’allouer des moyens supplémentaires mais bien d’organiser un changement de paradigme, en redéfinissant les rôles et les fonctions des acteurs de l’école.
En changeant de focale, nous rendrons l’égalité possible et réelle pour qu’elle ne soit plus un vœu pieu ,voire une licorne que seul un groupe de happy few a pu rencontrer. Il nous faut cesser de faire peser sur les seuls élèves les causes des inégalités à l’école.
Nous devons donc réinventer la façon dont nous faisons école, un peu comme nous devrions le faire pour la façon dont nous faisons société. Rêvons avec Rancière[4], « d’une société d’émancipés » dans laquelle nous transformerions toutes nos œuvres en signe de l’humanité qui est en nous comme en chacun.
Karima Mondon, enseignante-formatrice
Passionnée par l’éducation, au sens large, je m’engage professionnellement et personnellement dans ce champ. Parce qu’éduquer, c’est libérer, je m’abreuve à toutes les sources qui peuvent m’aider dans ma quête émancipatrice. Mon seul filtre, l’éthique. Formée aux pédagogies alternatives, après avoir suivi un cursus traditionnel, mon parcours de formation et mes engagements personnels et professionnels reflètent cette quête de sens. Éclectique et iconoclaste, mon parcours de vie ne rentre dans aucune case et c’est tant mieux.
[1] On lira à titre d’exemple, ce dossier de synthèse du CNESCO
[2] Cf l’excellent pourquoi l’égalité est meilleur pour tous
[3] Ecole Spécialisée du Professorat et de l’Education
[4] Le maitre ignorant, Jacques Rancière
À lire sur Melting Book:
“Les inégalités scolaires sont favorables à une partie de la population”, de François Dubet
“On ne rénove pas l’école avec des statistiques”, de Peter Gumbel