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Le vote négatif, une alternative à l’abstention

“La sagesse des dirigeants du parti politique Ennahdha”. Ces mots, on les doit à Kamel Daoud, journaliste et écrivain algérien.

Interrogé, par Patrick Cohen sur France Inter  le 27 mai 2015  à propos des printemps arabes et particulièrement du cas tunisien, l’intellectuel exprimait son espoir de voir un jour naître une démocratie solide dans le pays du jasmin.


Kamel Daoud : “Salafiste, ça veut dire souche… par franceinter

Contrairement au parti issu de la mouvance des Frères musulmans de Mohamed Morsi en Egypte, Ennahdha n’est pas passé en force pour instiller des concepts religieux dans la constitution et la législation du pays.

Mal comprise par de sulfureux coreligionnaires, cette “sagesse” était, alors, assimilée à une forme de faiblesse du pouvoir en place.

Ces illuminés de la religion ne comprenaient pas pourquoi, fort de la majorité parlementaire, Ennahdha refusait d’implémenter les préceptes coraniques.

Démocratie et sagesse

“La majorité, n’est pas le consensus”. Dans un souci d’apaisement, Rached Ghannouchi, chef d’Ennahdha, tenait un discours lumineux résumable en ces termes, pointant les limites du mode de scrutin en démocratie.

Rachid Ghannouchi, leader of the Tunisian moderate Islamist Ennahda Party, gestures before casting his vote at a polling station in Ben Arous, Tunisia, Sunday Oct. 26, 2014. Tunisians lined up Sunday to choose their first five-year parliament since they overthrew their dictator in the 2011 revolution that kicked off the Arab Spring. (AP Photo/Aimen Zine)

Rached Ghannouchi (Huffington Post/AP Photo/Aimen Zine)

L’exemple tunisien pourrait s’appliquer à toute démocratie, qu’elle soit naissante ou bien établie dans l’Histoire.

Le danger des partis populistes qui jouent sur la peur du peuple pour accéder au pouvoir est une réalité historique.

Ces partis polarisent les débats et la pensée pour mieux diviser la société. Ils profitent de son état instable pour mieux propager leurs analyses simplistes et trouver un bouc émissaire aux difficultés.

La solution est alors toute trouvée, il faut se débarrasser du mal qui gangrène la société, cet “ennemi interne” qui nous dérange.

Souvent, les idées populistes se banalisent dans le débat public grâce à un autre effet : la surenchère des partis traditionnels.

Pour se défendre, et ramener à eux les “brebis égarées”, les partis traditionnels s’approprient les idées populistes qui attirent des électeurs, n’hésitant pas à surenchérir dans certains cas.

Mauvais raisonnement qui a pour effet de renforcer et approuver le choix des électeurs réfractaires : “il vaut mieux l’original à la copie”.

Innover dans les modes de scrutin

Cependant, les partis aux idées démagogues peinent à arriver au pouvoir au niveau national. Ils atteignent rarement une majorité absolue.

Le mode de scrutin est une des clés pour barrer la route à ces mouvements.

Contrairement au système proportionnel qui a permis l’accession au pouvoir du parti nazi en 1933, la France semble être protégée par son système de scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour la présidentielle, inscrit dans la constitution.

“Or, ce scrutin présente des faiblesses”.

Le Front national, entre autres, relève le manque de démocratie d’un système qui leur barre la route du pouvoir malgré leur majorité relative.

Si le FN se targue d’être “le premier parti de France”, il s’offusque aussi d’être peu représenté dans les institutions politiques qui dirigent le pays.


Régionales – Marine Le Pen : “Le FN est le… par LCP

Les membres du FN dénoncent, d’ailleurs, la connivence des partis traditionnels favorables au mode de scrutin en place.

Leur seule chance d’accéder au pouvoir est, donc, de pousser à un mode de scrutin proportionnel. Ils savent qu’ils n’obtiendront jamais la majorité au niveau national.

Pour la simple et bonne raison que le succès de leur politique de division de la société marque aussi leur échec à rassembler la nation et à trouver le consensus.

La stigmatisation et la mise au ban d’une partie de la société  cristallisent contre eux une majorité. Si l’on devait voter pour le parti le plus dangereux en France, le FN arriverait largement en tête.

Dans ce cas, comment pourrait-il prétendre accéder au pouvoir ? La prochaine grande bataille du FN sera celle d’un mode de scrutin proportionnel.

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S’il gagne cette étape alors les portes du pouvoir lui seront grandes ouvertes.

Il est, donc, urgent de penser à un nouveau mode de scrutin pour porter atteinte à leur principal argument, celui d’être premier parti de France mais peu représenté dans les institutions politiques.

Majorité n’est pas raison, ni consensus. Le FN est aussi le parti le plus rejeté de France. Il est aussi urgent de ramener nos politiques à leurs responsabilités, par un acte qui ne s’inscrive ni par l’abstention, ni le vote blanc ou le vote sanction, qui ne ferait qu’augmenter le pouvoir des extrêmes.

Le nouveau système de vote doit permettre la neutralisation des extrêmes et réduire la course effrénée vers la démagogie des partis traditionnels.

L’avènement d’un nouveau mode de scrutin, exprimant non seulement l’adhésion à un parti, mais aussi la répulsion envers les idées populistes d’un autre, semble une piste à explorer.

Le vote par note

Egalement intéressant, le droit de voter « négativement » grâce au vote par note, ôterait une voix au candidat considéré comme dangereux.

Le vote par note est un mode de scrutin à un tour et multinominal. Chaque électeur peut évaluer chaque candidat. Dans le vote par note, l’électeur ou l’électrice peut noter chaque candidat selon une échelle prédéterminée (-1,0,+1).

Le score de chaque candidat est la somme de ses notes. Le candidat gagnant est celui dont le score est le plus élevé.

Une récente étude du CNRS publiée en juin 2016, reprend de nombreuses publications, telles que des rapports publics au Centre d’Analyse Stratégique relatifs à l’élection de 2007 et des articles scientifiques relatifs aux élections de 2002, 2007 et 2012.

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Comparaison des classements selon les modes de scrutin
Télécharger les résultats de synthèse de l’expérimentation de 2012

Prenons l’exemple de l’élection présidentielle de 2012, dont le résultat de l’expérimentation est résumé dans le tableau ci-dessus:

Le graphique ci-dessus permet d’un seul coup d’œil de comparer les résultats du premier tour des élections présidentielles de 2012 sur la base des données corrigées des biais de participation et de représentation nationale.

Pour chaque candidat (axe horizontal), on lit son classement selon les cinq modes de scrutin étudiés (axe vertical).

Comme l’ordre d’apparition des candidats sur l’axe horizontal est celle de l’élection officielle, il est logique que la courbe représentative du classement officiel soit une droite (ici en bleu turquoise).

Les variations autour de cette droite des autres modes de scrutin permettent de visualiser rapidement l’effet du changement de règle de vote sur le résultat de l’élection au niveau national, les préférences des électeurs étant données.

En vert, le vote par note (-1,0,+1) est le mode de scrutin le plus pénalisant pour les partis ayant mené une campagne électorale polarisée, néfaste pour la société (l’UMP de Nicolas Sarkozy ou le FN de Marine Le Pen).

Le FN, parti le plus controversé, passe ainsi d’une honorable troisième place à une médiocre huitième place avec le vote par note (-1,0,+1). Au contraire, le parti centriste, mené par François Bayrou, censé être le plus consensuel, atteint la deuxième place du classement (contre une cinquième place dans le mode de scrutin actuel).

Redonner au vote sa dimension citoyenne

Il me semble que ce vote par note est plus proche de l’expression d’une voix citoyenne que l’abstention, le vote blanc ou le vote sanction.

En effet, dans le cas de l’abstention et du vote blanc, numériquement le vote ne compte pas, il est donc neutre dans la balance.

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Les candidats à l’élection présidentielles de 2012
(photo/Jean Viet)

Le vote sanction, qui consiste à voter pour un parti populiste censé sanctionner les partis traditionnels par son caractère dilutif, a des conséquences perverses sur le but recherché.

Là où le citoyen cherche à envoyer un signal de défiance aux partis traditionnels, le résultat renforce les partis populistes du fait de l’affaiblissement de leurs concurrents.

Ce mode de scrutin permet surtout de pénaliser les partis non consensuels dont les politiques démagogues divisent la nation.

Il favorise les partis qui sont à la recherche du consensus et de l’apaisement.

Cette idée de vote par note est une solution pour contrer les politiques démagogues qui le plus souvent ciblent les minorités.

Ces dernières, fortes de leur droit de veto, pourraient se mobiliser politiquement contre un candidat qui les attaque pour le neutraliser électoralement.

Et lancer ainsi un signal fort à tous ceux qui envisagent des politiques stigmatisantes. C’est surtout une bonne voie pour éradiquer les chemins populistes empruntés de par le monde, qui polarisent les populations et annoncent des prochaines tragédies.

Anice Lajnef

Photo de Une: L’Express

 

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