FN: Les petites mains de la “dédiabolisation”
Elle vient de renommer son parti: Le rassemblement national. En mai dernier, Marine Le Pen affrontait Emmanuel Macron, pour le second tour de la présidentielle. Devenu « fréquentable », le parti reste un repoussoir pour bon nombre de Français. Reste que sa stratégie de dédiabolisation a fonctionné. Il faut dire que de nombreuses petites mains l’y ont aidé. Opinion.
Ici, c’est le FN ! Et avec toute sa mythologie. Haine du système et du mondialisme, rejet des musulmans, défense de l’identité et de la laïcité, refus de l’immigration. Rien d’étonnant.
Après tout, Marine Le Pen n’est-elle pas dans son rôle ? Stigmatiser l’étranger et sa descendance, manipuler les foules et leurs peurs, mentir sur son rapport au système, jeter en pâture une frange la population parce que « pas vraiment » française, n’est-ce pas là la marque d’un parti extrémiste ?
Comme son père en 2002, elle était au second tour de la présidentielle le 7 mai 2017.
Elle a réussi l’impensable dans une France, apparemment, pétrie de valeurs républicaine (au moins sur le papier), « dédiaboliser », « normaliser » le Front national.
Une « dédiabolisation » opérante
Comme le souligne Sylvain Crépon, spécialiste du Front national, tout le génie de Marine Le Pen a été de rompre avec l’arrière-garde du parti, incarnée par son père.
La dédiabolisation actuelle du FN se joue dans le courant des années 90. Le parti se heurte, alors, à un conflit générationnel. Nostalgiques de l’Algérie française et révisionnistes découvrent la jeune garde du FNJ.
Imbibés des thèses « différentialistes » diffusées par le GRECE, sorte de think tank d’intellectuels fondé en 1968 auquel le Club de l’Horloge (devenu Carrefour de l’Horloge) s’affilie, ces nouveaux militants veulent en finir avec la question raciale, jugée trop périlleuse.
Le but consiste, alors, à glisser vers une approche culturaliste de la différence entre les peuples. Le GRECE s’appuie sur l’anthropologie pour bâtir une assise intellectuelle crédible.
Sylvain Crépon, le résume ainsi : « avec l’adoption du postulat culturaliste de l’anthropologie, l’identité des peuples n’est plus exprimée en termes raciaux mais culturels ». Je ne suis pas raciste mais chacun chez soi…
Renouveau générationnel
Cette refonte idéologique ouvre la voie au Front national que Marine Le Pen va peu à peu investir, une fois l’éviction de Bruno Mégret effective, en 1999.
Son ascension se conjugue, alors, avec une stratégie censée dépoussiérer la formation de son image raciste et xénophobe.
Comme l’explique Sylvain Crépon et Nonna Mayer, Marine Le Pen « a infléchi son discours notamment sur l’antisémitisme ».
Le parti emprunte des idées à la Gauche « sur les questions sociales et la laïcité » mais garde comme « fonds de commerce principal l’immigration ».
Un tour de passe-passe lui permettant de séduire les femmes mais aussi « une partie de l’électorat de confession juive ».
Autre coup de maître, l’exclusion du parti, le 10 août 2015, de Jean-Marie Le Pen. Une brouille avec le père, adepte des provocations, qui sert les affaires (médiatiques) de la nouvelle présidente du FN.
Elle a tué le père et avec ses idées sulfureuses dont il fallait débarrasser le parti, en apparence.
Une rupture qui n’empêchera pas Jean-Marie Le Pen de financer la campagne de sa fille. Il lui octroie un prêt de 6 millions d’euros via Cotelec, sa structure de financement du parti.
Et puis, gardons en tête que la présidente du FN a fondé sa stratégie sur la ligne défendue par les mouvements xénophobes européens.
Pym Fortuyn aux Pays Bas (assassiné en 2002), Geerts Wilders, élu avec le Partij Voor de Vrijheid depuis 2006…
Geerts Wilders et Marine Le Pen au sommet des nationalistes européens, Coblence (Allemagne, 21/01/17)
Ciment de ces mouvements populistes ? Le rejet des musulmans et de l’islam, religion « par essence opposée aux valeurs de laïcité et de sécularisation, à la liberté d’opinion, au droit des femmes ».
A noter, sur 144 points de son programme, un seul concerne le sujet des femmes. Trois petites lignes avec comme point d’orgue, la lutte « contre l’islamisme qui fait reculer les libertés fondamentales ». Quand l’islam est la cause de nombreux maux…
Cette dédiabolisation, Marine Le Pen l’opère, également, avec les représentants du parti.
Une fois, Jean-Marie Le Pen excommunié, une équipe se déploie alors dans les médias, terre à conquérir pour mettre en pratique cette visibilisation.
Parmi eux, Florian Philippot, ancien vice-président du Front national.
C’est l’homme du changement. Celui qui fait passer le FN pour un parti « lambda ». Très disponible pour les médias, il ne décline que très rarement les invitations. Autre qualité, il est souvent à Paris.
Il l’a bien compris, pour exister médiatiquement, il faut être au cœur de ce fameux système tant honni…
Un goût pour les caméras qui lui attire les critiques de la base, celle des militants.
A tel point, qu’après sa défaite aux régionales de 2015 dans l’Est, certains frontistes fustigent ses penchants médiatiques, au détriment du terrain.
Si éloignée du terrain fût-elle, cette stratégie s’avère payante. D’autant que Florian Philippot a des qualités humaines, « poli », « impeccable », « courtois » qui tranchent avec les méthodes musclées associées à certains frontistes. Un atout précieux. Enfin devant les journalistes.
L’écho de cette « dédiabolisation »
Cette dédiabolisation s’est donc jouée en interne avant de s’étendre, insidieusement, à l’externe.
Un thème populaire a servi de rampe de lancement au FN, version Marine. C’est l’islam, transformé en un terrain d’entente dans l’espace médiatique et politique.
Si bien que les cris d’orfraies, poussés dans le sillage du premier tour par un certain nombre de figures publiques françaises, laissent perplexe. Et l’impression de voir des médias et des politiques pris à leur propre jeu domine.
Exemples de Unes consacrées l’Islam par la presse: mise en perspective discutable et goût pour le sensationnalisme
La France n’est pas à un point de bascule. Elle a déjà passé un point de bascule. Le jour où les faiseurs d’opinion, ceux censés décrypter l’actualité pour des millions de Français, ont transigé avec les valeurs républicaines.
Les musulmans, marchepied de Marine Le Pen pour asseoir sa puissance, ont été jetés en pâture par certains médias et politiques dans la course à l’audimat et aux électeurs.
Pas une semaine depuis 15 ans, où des sujets sur l’islam n’ont tapissé les façades des kiosques ou les écrans.
Ainsi, les chaines en continu, symbole de l’information low-cost, symbolisent bien ce goût de la compromission.
Taper sur la femme vêtue d’un voile, sur le « jeune » de cités, sur le barbu, cela fait vendre.
Business is business après tout. Et dans le monde de l’information en continu, c’est une vérité générale.
Aujourd’hui, la presse détenue, par une poignée d’industriels, fait des ravages. L’affaire du bar PMU de Sevran en est un exemple.
Avec un taux de concentration inquiétant, nos chers médias ont un objectif, faire du chiffre. Albert Londres repassera…
Les attentes de ces patrons ne sont pas déontologiques mais commerciales. Il faut faire de l’audience et dans cette course aux chiffres, la stricte déontologie fait pâle figure.
Il ne s’agit pas d’incriminer le journaliste lambda. Son pouvoir est minime par rapport à la hiérarchie qui le surplombe.
Mais certains médias, aujourd’hui, ont permis l’ascension des idées de Marine Le Pen dans la société française. C’est un fait et les exemples sont pléthores.
Liste non exhaustive
Le 20 avril sur Cnews, Yvan Rioufol, éditorialiste au Figaro, citant une enquête de l’Institut Montaigne, affirmait que « 27% des Français musulmans se réclamaient au bout du compte de l’idéologie de l’État islamique et 50% des jeunes musulmans des cités ». Des propos démentis par le think tank. De son côté le CSA a instruit un dossier.
Sur les ondes de RMC, en 2012, Franck Tanguy, chroniqueur aux Grandes Gueules confiait « avoir envie d’accélérer » quand « je vois un barbu à un feu rouge ».
Incontournable, Eric Zemmour et ses nombreuses saillies….et condamnations. L’homme aux best-sellers déclare, en 2010, que « la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes » dans l’émission Salut Les Terriens. Hilare, Ardisson, lui, comme à son habitude se gargarise de cette sortie raciste, gage d’audimat pour la star du paf. Comme tout le monde sait, « qui ne dit mot consent… »
Pas de dérapage. Le succès d’Eric Zemmour est tout sauf le fruit du hasard. « Pendant des années, on a fait monter des gens comme Zemmour », s’irrite Aude Lancelin, ancienne directrice adjointe de la rédaction de L’Obs, licenciée politique en mai 2016…
Eric Zemmour sévit depuis 2003 dans le paysage médiatique français sans qu’aucune figure capable de se mesurer, intellectuellement, à lui n’ait été portée aux nues par ces mêmes médias. Parti pris de la presse. Certes, l’objectivité n’existe pas. La déontologie et l’équilibre journaliste, si.
Et dans ce cirque médiatique, où de nombreuses petites mains ont nourri la dédiabolisation du FN, les politiques y ont trouvé une place de choix. Là aussi, la liste est longue. De Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur de Sarkozy et son « Les Arabes, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes » à Laurence Rossignol, ministre des droits des femmes en 2016, comparant les « femmes voilées à des nègres américains » favorables à l’esclavage.
Quand Brice Hortefeux dérape par lemondefr
Etonnant, alors, cet absence de Front républicain, contrairement à 2002. Pas vraiment. La force du FN a poussé à l’ombre des faiblesses de notre pacte républicain. Une réalité qui supplante la question de la médiatisation du FN.
L’an dernier, un professeur d’Histoire de l’université de Washington concluait une discussion qui résonne, aujourd’hui. « Si les Etats-Unis ont su être une formidable machine à intégrer des immigrés d’où qu’ils viennent, c’est parce les Américains ne doutent pas de ce qu’ils sont ». Alors, la victoire de Trump, pourrait, certes, contredire son propos.
Mais le succès du Front national illustre cette compromission dont certains faiseurs d’opinion se sont rendus coupables en offrant au FN, une frange de la population sur un plateau d’argent.
Le FN se combat sur le fond. A condition d’être sûr de mener le combat contre ses idées, de ne pas nourrir de convergences avec Marine et ses idées.
Et si ces figures médiatiques étaient sûres de descendre de la patrie des Droits de l’Homme, alors s’attacheraient-elles à en être dignes. Le FN au deuxième tour de la présidentielle est la preuve que notre récit républicain est un mythe, friable, pétri de contradictions. Et qu’il faudra, un jour ou l’autre, réparer. A condition de se regarder dans le miroir, celui du présent mais aussi du passé.
Nadia Henni-Moulaï