« La dédiabolisation du FN n’est que de façade », témoignage d’un ancien proche de Jean-Marie Le Pen
Il le dit lui-même : il a un parcours atypique. Militant au Parti Socialiste et à SOS-Racisme pendant dix ans, avant de se rapprocher du centre puis de l’UMP, Omar Djellil est aussi secrétaire général d’une mosquée marseillaise.
En 2011, il se rapproche du Front National, appelant même à voter FN, commençant une plongée de 4 ans dans ce parti, durant lesquels il côtoiera de près Jean-Marie Le Pen.
Une expérience qui lui permettra de suivre de près les dissensions idéologiques du parti, entre « dédiabolisation » de façade et rivalités féroces.
Désormais cet homme de 46 ans, père de quatre enfants se fait observateur de la campagne présidentielle : « Je m’abstiendrai au second tour et je n’ai pas voté au premier ».
Qu’est-ce qui vous amené au FN?
Omar Djellil : Le fruit du hasard, je suis le secrétaire général de la plus vieille mosquée de Marseille. Nous y animons de nombreuses rencontres interreligieuses.
En décembre 2010, j’ai regardé un débat à la télévision locale « LCM » qui opposait Stéphane Ravier, à l’époque conseiller régional FN et trois personnes de la communauté musulmane locale.
J’ai trouvé le conseiller FN excessif dans ses propos, disant par exemple « La Méditerranée est une frontière naturelle ; au Nord les clochers et au Sud les minarets ».
Ses propos m’ont choqué. J’en ai parlé à l’imam et aux responsables de la mosquée et ai suggéré qu’on invite des gens du FN à venir nous parler dans notre mosquée.
Les débats ont été vifs mais on s’est rangé à ma proposition. Je suis allé au conseil régional et j’ai demandé à rencontrer un membre du FN.
La personne en permanence qui m’a reçu a été Stéphane Durbec, celui qu’on surnommait « l’Obama du FN ».
Je l’ai invité à venir avec moi à la mosquée, puis à visiter le « Marché du Soleil », un marché populaire du quartier.
L’accueil l’a tellement surpris qu’il m’a demandé de lui présenter d’autres personnes. Il comprend que les musulmans sont des Français comme les autres.
Il publie un communiqué indiquant qu’un débat a eu lieu. Les dents grincent déjà au FN.
Je rencontre un autre cadre du FN, Gérald Gérin, homme de confiance de Jean-Marie Le Pen.
Il m’écoute plaider pour que le FN cesse de stigmatiser les Français musulmans et m’invite à rencontre Jean-Marie Le Pen.
La rencontre fut glaciale. J’ai parlé de la guerre en Algérie et de la torture.
Mais une nouvelle rencontre se fait au cours de laquelle il me demande de rédiger une Charte sur l’Islam de France.
Vous n’avez pas craint d’être instrumentalisé, récupéré ?
O. D. : Il m’a surpris car il a tapé sur les “Identitaires” qui pour lui faisaient tout pour faire fuir les Patriotes musulmans.
Puis je ne voulais pas adhérer au FN. J’ai su qu’il était sincère car il allait à contre-courant de ses propres intérêts.
La région PACA est encore marquée par les ressentiments de la guerre d’Algérie, entre Pieds Noirs et Harkis.
Il a proposé ma Charte comme une nouvelle ligne au sein du FN.
Pour moi, il fallait s’affranchir des pays d’origine, ce qui lui plaisait. J’ai sympathisé avec d’autres élus.
Mais Jean-Marie Le Pen me dit alors que le FN n’a jamais été aussi proche de la scission de 1998, en raison de cette nouvelle ligne adoptée par lui en direction des Français Musulmans.
Les lepénistes ont largement soutenu cette démarche, mais les marinistes s’y sont largement opposés.
Pourtant, ses propos disent l’inverse quand elle appelait à un front large des patriotes, où elle distinguait islamisme et Islam.
Que se passe-t-il ensuite ?
O. D. : Jean-Marie Le Pen me demande d’entrer au parti et de faire vivre cette ligne. Mais c’est devenu une affaire très sensible au sein du FN.
Mais à partir du moment où Jean-Marie Le Pen a dit qu’il était favorable à la Grande Mosquée de Marseille et que des Musulmans intègrent le FN, cela a été la rupture.
Si cela collait avec le discours officiel de Marine Le Pen, elle s’y est pourtant opposée.
Elle a ainsi exigé que je renonce à ma nationalité algérienne pour garder la seule française.
Jean-Marie Le Pen a refusé de me demander cela.
Puis aux universités d’été de 201, nous avons été agressés verbalement par Julien Rochedy et Marion Maréchal Le Pen.
Des insultes lourdes.
Là encore, Jean-Marie Le Pen nous a soutenus, malgré une grosse querelle avec sa fille. J’ai compris que Jean-Marie Le Pen a encore une vision de l’Empire où les Français peuvent venir de partout.
Marine Le Pen a une vision identitaire de la nationalité, il faut pour elle être d’essence et de tradition catholique.
Comment expliquez-vous ce concept de dédiabolisation ?
O. D. : Elle n’a rien inventé. Bruno Mégret en est à l’origine.
Elle a des discours en interne qui sont à l’opposé de ce qu’elle dit au plan national.
Le FN a un vivier de réserve de voix limité.
Si elle veut dépasser cela, elle se doit d’avoir un visage rassurant, y compris envers les Musulmans français.
Pourtant, au plan interne, elle était opposée à toute ouverture vers eux.
Paradoxalement, son père est plus ouvert qu’elle.
Ses discours très républicains, très rassurants sont simplement de façade.
La dédiabolisation a été une mascarade médiatique.
Stéphane Durbec claquera même la porte du parti car il n’en supportait plus l’islamophobie.
Donc de 2011 à 2014 vous côtoyez de près ce parti ? Que diriez-vous de son fonctionnement ?
O. D. : Oui, j’étais le seul non frontiste à travailler de si près avec Jean-Marie Le Pen. Et j’ai vu que la fille est plus vindicative que le père.
Ce dernier m’a proposé de devenir conseiller régional ou municipal, que je l’assiste au Parlement européen.
Il voulait faire de moi un cadre du parti. Tout cela malgré les crises internes que cela suscitait.
Quant à son fonctionnement, je dirais qu’il y règne un vrai culte de la personnalité. Il existait avec le père, mais avec la fille, c’est plus extrême.
Elle tient des discours « de gauche » mais elle pourchasse tout collaborateur qui s’en approche.
Le cas de Gregory Gennaro incarne cette chasse aux sorcières. C’est un parti au fonctionnement très tendu.
Marine Le Pen est entourée par les « identitaires », tous des anciens mégrétistes d’ailleurs, ce qui est une ironie de l’histoire. Mais elle est mauvaise stratège, car en refusant de d’ouvrir le parti vers les Musulmans, elle a perdu des voix. Au final, avec Marine Le Pen, c’est la ligne Mégret qui l’a remporté sur la ligne lepéniste.
Vous avez un passé de militant politique très contrasté. Pourquoi le FN ?
O. D. : Il me semblait que le FN aurait pu être un parti où un musulman aurait pu s’épanouir.
J’ai quasiment milité pour tous les partis politiques, j’en suis parti à chaque fois : PS, UDF, UMP.
Ils avaient une approche des Français musulmans très condescendante.
Ils avaient en face une communauté non structurée. On a été souvent trahi.
S’il n’y avait pas cette question raciale, le FN m’intéressait. Je m’y reconnaissais dans certaines valeurs de la famille, de l’ordre. Puis l’obsession de la guerre d’Algérie me fatiguait.
L’électeur lambda du FN n’en a rien à faire de cette guerre. Il est inquiet pour sa retraite. La plupart des cadres du FN sont animés par un esprit revanchard par rapport à cette guerre.
Mais de l’intérieur, le FN est une auberge espagnole, avec des courants opposés, qui se tirent dans les pattes.
Son programme semble effectivement très flottant…
O. D. : Le FN n’a pas de programme.
Marine Le Pen réajuste constamment le tir.
Le FN vit au rythme de l’actualité, réagit constamment. Il fait des propositions en fonction de ce qui se passe.
Pourquoi l’avoir quitté ?
O. D. : Je ne voulais plus gêner Jean-Marie Le Pen. Mon cas montrait que sa fille ne l’écoutait plus, mais suivait seulement les anciens mégrétistes.
J’étais un objet de tension.
Après mon départ, d’autres ont suivi, ceux qui en avaient assez de l’islamophobie.
Puis on me faisait comprendre que j’étais indésirable.
Son entourage lui fait comprendre qu’elle avait un intérêt électoral à surfer sur les populismes islamophobes et elle l’a fait.
Propos recueillis par Hassina Mechaï