J.W.Scott/S.Dayan: “On parle de liberté sexuelle au lieu d’égalité économique”
[#Podcast]
L’art de converser. Joan W.Scott, historienne professeur à Princeton et Sonia Dayan Herzbrun, sociologue et professeure émérite à l’Université Paris Diderot se sont prêtées au jeu. Une discussion passionnante autour des contradictions françaises en matière de genre et de féminisme.
Ce podcast a été réalisé en marge du séminaire « Critiques et pratiques du sécularisme » du RTP “Islams et chercheurs dans la cité”, organisé en avril à l’EHESS.
Joan W. Scott (Institute for Advanced Study-Princeton) y a présenté son dernier livre: Sex and Secularism (Princeton University Press, 2017). La version française sera publiée en francais en octobre.
Écoutez le podcast de la rencontre :
Lire des passages clés :
Joan W. Scott :
“Il y a une construction interconnectée de la politique et du genre. Le politique regarde le genre comme justification pour le pouvoir masculin dans les démocraties. En faisant ça il fixe l’idée que le genre est la différence naturelle, biologique, entre les hommes et les femmes”.
Sonia Dayan-Herzbrun:
“Et le genre a été inventé au même moment. Les différences dites naturelles justifient la domination. Et ce sont les grandes inventions de la fin du 18 e siècle et qui sont la modernité, tous les enfermements, on créer les prisons.
On enferme les femmes dans les cuisines, les ouvriers dans les usines, les esclaves dans les plantations et on justifie tout cela par des différences de natures”.
Joan W.Scott :
“Les grandes différentiations entre « eux » et « nous » – F/H, Noir/Blanc, civilisé/non civilisé orient/occident, continuent de produire des effets de discriminations, des inégalités de pouvoir.
Je crois qu’il faut parler d’un genre racialisé. Cela veut dire que nos femmes (les femmes blanches) sont plus civilisées que les femmes noires. On prend le genre comme moyen de distinguer”.
Sonia Dayan-Herzbrun:
“Dans la République, les références à l’Antiquité sont très prégnantes. La République et la démocratie sont réservées à un petit groupe qui sont les seuls à être reconnus comme pleinement humains. Après on a un dégradé jusqu’à la déshumanisation”.
Joan W.Scott :
“Il y a des réactions au voile conscientes et inconscientes. Dans l’inconscience politique française, la sexualité est un problème.
Les Français nient l’idée que le sexe et la sexualité posent problème. En France, le voile a été ciblé comme symbole de l’oppression des femmes par l’islam.En faisant cela, il a été possible d’ignorer les problèmes : les inégalités hommes-femmes.
Je crois que le voile est devenu un moyen de couvrir les problèmes de la société même et de déplacer tous les problèmes à l’islam et aux musulmanes. Il fonctionne comme ça”.
Sonia Dayan-Herzbrun:
“Il y a cette idée de la sexualité en France : “le sexe est totalement maîtrisé.” Eric Fassin disait qu’on est dans la démocratie sexuelle, mais en même temps cela ne doit pas se voir.
Le désir ne doit pas se manifester. Le voile met en évidence le fait qu’il y a du désir et de la sexualité et qu’il faut faire avec. Le voile rend visible. Découvrir le corps c’est le rendre accessible au désir masculin”.
Joan W. Scott:
À propos de #Metoo “Il est intéressant pour comprendre “Comment s’opère la culture masculine ? ” Le risque, je crois est de présenter les femmes comme des victimes.
L’idée de la liberté sexuelle signifie une égalité sans limites.
Aujourd’hui, si l’on veut parler d’égalité, on parle de liberté sexuelle au lieu d’une égalité économique, politique, etc.
Cette idée est devenue centrale dans la discussion du droit des femmes. C’est un aspect difficile à accepter comme synonyme d’égalité.
Par exemple, la liberté sexuelle, n’était qu’un aspect, de Mai 68. Et il est devenu central”.
Interview menée par Nadia Henni-Moulaï et Warda Hadjab, doctorante en sociologie à l’EHESS.