Baignade à Lorette: un règlement plus identitaire que légal ?
A Lorette (Loire), les personnes en caleçons et les femmes vêtues d’un voile sont interdites d’accès au plan d’eau, ouvert le 23 juin dernier. Une illégalité intentionnelle du maire ? Asif Arif, avocat et auteur de “Outils pour maîtriser la laïcité” (La boite à Pandore) décortique les incohérences de cette décision du maire de Lorette, Gérard Tardy.
La saison estivale et les grandes chaleurs concourent naturellement à un afflux massif des personnes en bordure de mer ou de plan d’eau. Elle amène également les maires de France à prendre des arrêtés ou à adopter des règlements quelques fois bien farfelus ou abusifs.
Il faut évoquer le cas de la municipalité de Lorette (Loire). Après avoir demandé aux musulmans de faire moins de bruit pendant le mois du Ramadan, le maire Gérard Tardy a désormais interdit aux femmes arborant un foulard l’accès au plan d’eau de Lorette.
A analyser les pictogrammes qui sont proposés, nous pouvons en déduire plusieurs observations. Avant tout, cette interdiction ne concerne pas uniquement l’accès à la baignade mais bel et bien au site en lui-même.
Si pour des raisons de sécurité, on peut envisager d’interdire aux enfants de courir ou de jouer au football aux abords du bassin, on ne saisit pas bien le but de l’interdiction imposée aux femmes en foulard.
On peut également comprendre que l’interdiction de la musique qui pourrait importuner les usagers du plan d’eau les autres. Là encore, le rejet des femmes en question et même du caleçon posent question.
En réalité, il faut dire que la municipalité de Lorette est allée vite en besogne. L’interdiction rappelle celle affichée à l’entrée des piscines municipales, inédites jusqu’ici sur les sites de baignades.
Impossible alors de ne pas penser à l’été dernier quand l’affaire du burkini avait enflammé l’opinion publique.
Il faut dans un premier temps rappeler la décision du Conseil d’Etat du 26 août 2016 qui faisait suite à cette séquence. Le maire de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) avait interdit le port de tenues vues comme manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse lors de la baignade et sur les plages.
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat rappelait que, conformément à une jurisprudence constante depuis plus d’un siècle, il appartenait au maire de concilier l’accomplissement de sa mission de maintien de l’ordre dans la commune avec le respect des libertés garanties par les lois.
Une baignade naturelle à Lorette par tl7loire
Les mesures de police que le maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent donc être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public.
Il faut désormais appliquer ces critères, pleins de bon sens, à la situation actuelle. A considérer dans un premier temps que l’interdiction du caleçon et du voile ne s’appliquait que sur la baignade, le maire Gérard Tardy aurait pu user de la notion d’hygiène ou encore de sécurité publique pour justifier, conformément à l’arrêt Benjamin du Conseil d’Etat, d’une limitation aux libertés fondée sur l’ordre public. Or, l’imprécision et l’amateurisme avec lesquels, le règlement est présenté ne laisse rien présager du lieu de l’interdiction et des raisons objectives ayant poussé l’édile à l’adopter.
Il faut alors en déduire qu’étant donné l’aspect général de l’interdiction, qui peut concerner le site et non la baignade, cette décision est illégale. En effet, le site peut être qualifié d’espace public. Il existe, en droit administratif, plusieurs moyens de concevoir l’espace public, comme le rappelle la juriste Francesca Di Lascio.
Ici, l’espace public est considéré comme celui « à travers lesquels l’état de bien-être et les droits fondamentaux des citoyens peuvent se réaliser ».
En l’occurrence, le législateur est venu limiter cet espace public par la loi n°2010-1192 en date du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.
Dans ces circonstances, le pictogramme ne renvoyant pas à des femmes entièrement voilées mais simplement à des individus avec un caleçon ou un foulard islamique et ne définissant pas précisément les contours de l’interdiction, le règlement semble illégal car entaché d’imprécision.
Il faut également combattre ce genre d’attitude de certains maires de France qui tentent, sous le chef des pouvoirs de police qui leur sont confiés, d’adopter des politiques identitaires voire discriminantes. Les plages, les lieux de baignade n’appartiennent pas une personne, elles sont des biens communs où doit pouvoir s’exprimer la diversité française.
Que cela passe par le port du caleçon ou encore du foulard. Il faut également savoir que le droit n’entend pas limiter les individus dans l’expression de leur singularité vestimentaire ou encore dans l’expression de leurs différences religieuses.
Dès lors que la différence n’est pas assimilée à du prosélytisme agressif (imposer aux individus de se convertir à une religion), la limitation n’est pas permise car elle relève de la libre expression des individus et du droit de manifester leur foi dans l’espace public ou droit de manifester leur singularité vestimentaire dans l’espace public.
En conséquence, l’arrêté nous semble entaché d’illégalité car bien trop flou. Hommes en caleçon ou femmes arborant le voile, vous n’êtes pas en infraction !
Asif ARIF
Avocat au Barreau de Paris, Asif Arif est auteur spécialisé sur les questions de libertés publiques.
Dernier ouvrage: Outils pour maîtriser la laïcité, Ed. La boite à Pandore, préface de Jean-Louis Bianco et Nicoals Cadène (Observatoire de la laïcité), 2017