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Maroc. Rififi dans le Rif

[#Chronique]

Rififi (Masculin): mot d’argot créé par Augustin Le Breton signifiant « rixe, bagarre » immortalisé en 1957 dans la série des « Rififi » qui donna par la suite l’excellent « Rififi à Paname » en 1966 et l’éternel Jean Gabin…

Le terme lui-même vient du vocabulaire militaire le « rif »  autrement dit « zone de combat, front » … énième mot issu des campagnes coloniales… du nom de cette chaîne de montagne du nord-marocain, éternel lieu de résistance à toutes les invasions.

Depuis deux ans, cet arc montagneux de 360 kilomètres de long, entre Tanger et Al-Hoceima dans le nord du Maroc, est en effervescence. Des manifestations ont été lourdement réprimées entre 2016 et 2017 par l’Etat marocain, dans une des régions les plus pauvres et les plus « remuantes » du pays.


Qu’en est-il aujourd’hui ? Immersion

Le 28 octobre 2016 dans la principale ville du Rif, la touristique ville touristique d’Al-Hoceima, un jeune vendeur de poisson Mohcine Fikri meurt dans des conditions effroyables: broyé dans une benne à ordure en tentant de sauver sa marchandise, certes pêchée illégalement, des mains de la police. Dans cette région où le chômage frôle les 20% dans certaines contrées – quand la moyenne nationale est à 9%- des manifestations explosent: c’est l’Hirak (« la Mouvance » en berbère).

 

« Où va notre argent ? »



Pendant un an, des milliers de manifestants vont arpenter les rues de la ville- des jeunes en majorité mais pas seulement- réclamant du travail et plus d’égalité dans les investissements sur la région: « Où va notre argent ? » scandent-ils.


Symbole de cette contestation : Nasser Zefzafi

Au centre de ces foules un homme émerge et va devenir le symbole de cette contestation : Nasser Zefzafi.

Âgé de 40 ans, diplômé en sciences sociales, cet orateur charismatique, posé originaire d’Izefzafen est à l’image de cette région montagneuse et marginalisé: rebelle et fier.

Moroccan activist and the leader of the protest movement Nasser Zefzafi gives a speech during a demonstration in the northern town of Al-Hoceima
Youssef Boudlal, Al-Hoceima / REUTERS

Fidèle aux tribus berbères fuyant dans les montagnes de l’Atlas et du Rif l’avancée des cavaliers Arabes-auxquels se réclame la dynastie chérifienne- le Rif a posé constamment problème à tout pouvoir centralisé.

Abd_el-Krim_TIME_1925
Abdelkrim en une du journal américain « The Times » en 1925.

Dès 1922, le Rif se fait une renommée internationale. comme symbole de la résistance à la colonisation chez tous les opposants européens comme chez les colonisés. Protectorat français et colonie espagnol depuis le traité de Fès en 1912, (à lire dans mon ouvrage « Amado Granell libérateur de Paris » sorti en 2016 chez l’Harmattan), la région s’enflamme en 1921.

Le 21 juillet de cette même année, 3000 hommes d’Abdelkrim El Khattabi encerclent la base avancée d’Anoual tenue pas les Espagnols du général Silvestre.

C’est le désastre d’Anoual. Entre 15 000 et 20000 Espagnols sont massacrés et mutilés. Les photos choquent l’opinion publique européenne. Une des plus terribles défaites subies par une armée coloniale à l’instar d’Anoual ou de Dien-Bien-Phu.

L’ancien chancelier de l’enclave espagnol de Melilla, appelé à devenir un exemple pour Ernesto Guevara, Mao Tsé-Tong ou encore Ho-Chi Minh- fonde après cette victoire la République du Rif le 1er février 1922 avec pour capitale Ajdir. Parlement, monnaie et tutti quanti…

Français et Espagnols, pourtant rivaux dans la région, décident de s’allier contre une armée endurante et aguerrie au relief escarpé dans la région. 400 000 hommes sont confiés au « vainqueur de Verdun » le général Philippe Pétain.

Dans une guerre d’une grande brutalité- où les Espagnols contrairement aux conventions internationales n’hésitent pas à utiliser du gaz moutarde sur des populations civiles- le chef rebelle est arrêté par les Français et exilé à la Réunion avant de devenir en 1947 le porte-parole d’un éphémère « Comité du Maghreb Libre » au Caire où il meurt en 1963.

Dénonciation du manque d’investissement de Rabat pour développer économiquement la région

Beaucoup de ces hommes aidèrent les insurgés franquistes face à la République espagnole en 1936…mais c’est une autre histoire.


Cette colère endémique ancrée dans ces vallées calcaires ne s’arrête pas là… Dés le début de l’indépendance du Maroc en 1956, le Rif se révolte.

 

De 1958 à 1959, des manifestations éclatent sur tout le territoire rifain. Les manifestants dénoncent ce qu’elle perçoit comme une exclusion des nouvelles institutions  et -déjà- le manque d’investissement de Rabat pour développer économiquement la région. Réponse du prince héritier Hassan II : l’armée royale est envoyé et réprime dans le sang cette révolte faisant 3000 morts.

Afin de vider la région de ces irréductibles autochtones une solution s’impose : l’émigration. Dans les années 60-70, des accords sont passés entre le Maroc, la Belgique et les Pays-Bas.

Résultat : des milliers de Rifains partent s’exiler vers Bruxelles, Charleroi ou Amsterdam pour travailler dans les usines, le bâtiment ou dans les mines wallonnes. La majorité s’implantent et envoient de l’argent au pays permettant d’estomper la pauvreté structurelle de la région.

Si nombre des descendants de ces travailleurs s’intègrent et réussissent parfois dans le sport ou en politique, certains sombrent dans la délinquance voire le terrorisme comme Salah Abdeslam, l’un des assassins du Bataclan… de parents rifains.

Le 26 janvier 1984, la situation explose de nouveau. Hier, bergers ou agriculteurs, les nouveaux insurgés sont désormais des étudiants éduqués et cultivés. Ils dénoncent la hausse des prix de scolarité.

L’augmentation des denrées alimentaires fait grossir les troupes et des milliers de personnes battent le pavé dans la ville de Nador (ville d’origine de l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem).

La réponse de Rabat ne se fait pas attendre et, encore une fois, une féroce répression s’abat sur la région. Dans un discours, Hassan II traite les insurgés d’ « Awbach » (sauvages) et exclut le Rif des projets de développement au Maroc… marginalisant davantage une région déjà si…marginale.

 

“Hier interdit au profit de l’arabe, le berbère est désormais enseigné à l’école.”

 

Le milieu des années 90 offre une légère accalmie. L’argent des « émigrés », la création en 1996 d’une « Agence pour la promotion et le Développement du Nord » sans compter les champs de haschich, permettent à la région de sortir le bec de l’eau.

Ajouté à cela une prise en compte de la culture amazigh et de l’histoire de la région semblent démontrer qu’une nouvelle voie est prise pour un pays enfin uni. Hier interdit au profit de l’arabe, le berbère est désormais enseigné à l’école.

Mais le séisme de 2004 et de nouvelles émeutes en 2011 et 2012 fragilisent de nouveau la région… alors lorsqu’éclate en 2017, le Makhzen envoie les forces armées.

Résultat: des milliers d’arrestations souvent arbitraires comme punition collective. La majorité est jugée à Casablanca.

Le 26 mai 2017, Nasser Zefzafi est arrêté. Motif : il a arrêté le prêche d’un imam favorable au gouvernement. Des manifestations reprennent de plus belle. Une vidéo le montre à moitié-nu dans une cellule, remplis d’ecchymoses. La ville d’Al-Hoceima et les communes environnantes sont étroitement surveillées. Les policiers en civil sont partout.

“Les Rifains n’ont pour autant jamais demandé leur autonomie et encore moins une quelconque sécession.”

Farouchement attaché à sa berbérité (culture marginalisée pendant des décennies par Rabat), les Rifains n’ont pour autant jamais demandé leur autonomie et encore moins une quelconque sécession. Les quelques drapeaux de la République du Rif évoque essentiellement avec fierté leur passé.

Car leur vision est bien différente de leurs cousins Kabyles qui sous l’égide du si brillant Hocine Ait-Ahmed (fondateur du Front des Forces Socialistes en 1963) ou de Krim Belkhacem- deux dirigeants historiques du Front de Libération Nationale- ont toujours lutté dés l’indépendance contre la centralisation algéroise de Ben Bella puis de Boumédiene. Ait-Ahmed fut d’ailleurs poussé en exil sur les bords du Lac Léman en Suisse.

Le second, Belkacem exécuté  par les services algériens tenus d’une main de fer par le « Béria local », Boussouf.

À l’ouest rien de tout cela. Juste un mélange subtil de marocanité et de défiance viscéral envers Rabat.

Quid aujourd’hui ?

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Emmanuel Macron à Rabat au côté du roi du Maroc. Le roi Mohammed VI ne s’adresse jamais à la presse.© FADEL SENNA / AFP

Malgré une réponse virulente de Mohammed VI, le souverain chérifien apparaît plus ouvert que son père aux aspirations du territoire.

L’économie marocaine en plein décollage -avec le port de TangerMed II appelé à devenir le premier port de la Méditerranée occidentale– le Roi a renvoyé trois ministres responsables désignés de la situation à Al-Hoceima et dans les alentours. Un plan « Al-Hoceima phare de la Méditerranée 2015-2019 » a été mise en place avec près de 600 millions d’euros d’investissement prévus.

Mais la situation est loin d’être aussi simple.

D’après Amnesty International, les arrestations arbitraires et des actes de tortures ont été enregistrés sur les quelques 400 militants arrêtés en octobre 2016. Hormis une centaine de libérations sur ordre du Roi pour calmer les âmes, la situation reste complexe pour la majorité d’entre eux. Le 26 juin, la chambre criminelle de la Cours d’Appel de Casablanca a jugé 53 militants dont Nasser Zafzafi. Ce dernier a pris 20 ans de prison. Depuis le 30 août, il a entamé une grève de la faim mettant toute la région en émoi et une grande partie du Maroc… mais jusqu’à quand ?

Un vieux proverbe berbère dit qu “une saison ne respecte pas l’autre”… faut-il croire que la saison des pluies ne s’est jamais réellement arrêtée dans les vallées du Rif…en attendant un rayon de soleil.

Cyril Garcia

Cyril Garcia, Historien et politiste, spécialisé sur le Maghreb, je vous offre un voyage sans détour ni retour dans ce « Uber pour Tobrouk » pour une actualité souvent brûlante mais si passionnante ! Bonne route à tous : Voir tous les articles par Cyril.

 

Photo de Une :  Des manifestants dénoncent les peines prononcées à l’encontre des militants du Hirak, le 27 juin 2018, à Rabat. /© REUTERS.

 

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