“Ce n’est pas un combat féministe, c’est un combat pour nos enfants”
Le projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes est débattu à l’Assemblée nationale depuis lundi 14 mai 2018. L’article 2 suscite l’ire des associations de victimes de violences sexuelles. Julie Dénès, juriste, engagée dans cette cause, répond à 3 questions.
S.H. : L’Assemblée nationale a examiné le projet de loi contre les violences sexuelles, lundi 15 mai 2018. Pouvez-vous expliquer son contenu aux lecteurs qui ne sont pas au fait de ce texte, en particulier, les points qui posent problème ?
Julie Dénès : Dans un hémicycle quasi vide, les discussions sur le projet de loi renforçant les sanctions des violences sexistes et sexuelles viennent de débuter à l’Assemblée nationale. Le gouvernement a choisi la procédure accélérée, la complexité du sujet ne s’y prêtait pourtant pas à mon sens. D’où la nécessité de s’exprimer nous aussi rapidement et de manière massive.
En substance, le projet de loi prévoit la création d’une contravention sanctionnant le harcèlement de rue dit « outrage sexiste », la répression du cyberharcèlement, dont les éléments constitutifs peuvent prêter à discussion, modifie la définition du crime de viol et rallonge la prescription du crime de viol de 20 ans à 30 ans lorsqu’il a été commis sur un mineur.
Il n’existe dans ce texte aucune présomption de non-consentement du mineur à un rapport sexuel avec un majeur. La référence à l’âge de 15 ans existait d’ailleurs déjà en circonstance aggravante du viol.
Bien que tout ne soit pas forcément mauvais.
Il s’agit clairement d’une loi a minima, brouillon et sans envergure. Le sujet, sa gravité, son ampleur, nécessitait une véritable loi cadre avec bien plus d’ambition, un budget conséquent et une réelle protection de nos enfants.
Parce que si l’on y regarde de plus près, nos enfants sont en danger. L’article 2 points II et III prévoit en effet que la pénétration sexuelle sur mineur est une simple circonstance aggravante du délit d’atteinte sexuelle. Un délit !
En somme, dès lors que l’existence de violences, menaces, surprise ou contrainte sont contestées, le viol est requalifié en simple délit d’atteinte sexuelle avec pénétration sexuelle sur mineur. Jusqu’ici, les termes de pénétration ne s’appliquaient qu’au viol.
Nulle part, dans notre Code pénal, une infraction ne contient ces termes malgré ce qu’en disent les défenseurs du texte. Ce qui existe en revanche, c’est la pratique de correctionnalisation du viol. L’affaire récente de Pontoise où il était question de savoir si une enfant de 11 ans pouvait consentir à un rapport sexuel avec un homme de près de trente ans est emblématique, mais n’est pas du tout un cas isolé.
Ce qu’il faut bien comprendre est que correctionnaliser un viol signifie pour la victime qu’elle a consenti à son propre viol, que la justice ne l’a pas crue.
Comment se reconstruire après cela ? En se disant qu’on est coupable ? Que l’agresseur avait le droit de nous pénétrer parce qu’on n’a pas assez crié, qu’on ne s’est pas débattu, ou qu’on l’a suivi ? Un enfant ne peut pas être consentant.
C’est d’ailleurs ce que la Secrétaire d’Etat répétait en fin d’année 2017, son texte dit le contraire. En termes de récidives également être jugé pour atteinte sexuelle a un impact important.
Quand le gouvernement nous assène d’arguments nous indiquant que les mineurs de moins de 15 ans sont protégés, c’est faux, quand il nous dit que cet article ne conduira pas à la correctionnalisation massive des viols, c’est faux et il ne peut absolument pas nous le garantir tant cette correctionnalisation relève d’avantage de l’absence de moyens de la justice que de l’absence de preuves du viol, comme l’indique le Syndicat de la magistrature.
“Je m’étais prise à rêver que, le temps d’une loi, sur un tel sujet, vos normes comptables n’auraient pas pris le dessus. Que portés par le mouvement de la société, l’audace politique vous aurait gagnés pour accompagner concrètement les victimes.” #violencessexuelles pic.twitter.com/kHKm7AUAQr
— Clémentine Autain (@Clem_Autain) 15 mai 2018
S.H. : 250 personnalités, professionnel.le.s de la protection de l’enfance, militant.e.s féministes, médecins, psychologues, élu.e.s, demandent à Emmanuel Macron de retirer l’article 2 du projet de loi contre les violences sexuelles. Après #MeToo, #BalanceTonPorc, pensez-vous que cette mobilisation sera entendue ?
Julie Dénès : Le mouvement #MeToo a été un élan formidable, fondamental, et pour beaucoup inattendu, de la libération de la parole entrainant dans son sillage des femmes du monde entier. Je crois que nous ne nous sommes jamais senties aussi proches les unes des autres à ce moment-là. En France, #BalanceTonPorc a été la caisse de résonance de ce mouvement. Chacune et chacun a pu se rendre compte de l’ampleur des violences faites aux femmes.
Il est certain que les réseaux sociaux ont redistribué les cartes des débats de société. En quelques heures, il est possible de mobiliser des milliers de personnes. En un peu plus d’une journée, près de 87 000 personnes ont déjà signé la pétition demandant le retrait de l’article 2. En écho à cette demande, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes vient de publier un communiqué de presse exprimant ses réserves sur l’article 2.
Le Syndicat de la magistrature en a fait autant jugeant fondées les craintes de correctionnalisation massive des viols sur mineur. Donc oui, ce mouvement est suivi, validé, fort et efficace et surtout légitime.
Cet appel des 250 personnalités dont je fais partie regroupe des citoyens, des citoyennes, des associations reconnues, des victimes, etc. Ce n’est pas un combat féministe, c’est un combat pour nos enfants.
S.H. : Une manifestation s’est tenue, ce mardi 15 mai, à 10 h, devant l’Assemblée nationale pour protester contre ce texte. Pensez-vous qu’en France, l’opinion publique soit massivement investie et assez sensibilisée quant aux violences sexuelles et à la protection de l’Enfance ou est-ce que cela pèche encore ?
J.D. : Bien souvent, pour que l’opinion publique se mobilise, il faut malheureusement faire le buzz. Quelque part bien entendu, cela se comprend. Nous sommes constamment sollicités sur des sujets et d’autres souvent tous aussi légitimes réclamant notre attention.
Par ailleurs, comme on a pu le constater avec ce projet de loi, la communication et les réseaux ont été complètement saturés laissant peu de place à l’analyse et à la critique du texte. Et ceux qui s’y sont aventurés ont été traités de menteurs.
Dans le domaine des violences sexuelles comme dans celui de l’enfance, la priorité doit être donnée à l’éducation. Or, ce n’est pas le cas ou en tout cas, c’est insuffisant. Il ne peut y avoir de résultat sans une vision globale mêlant éducation, prévention, formation, information et sanction.
Dans tous les cas, la priorité est la protection de nos enfants. Et écrire dans notre Code pénal que pénétrer sexuellement un enfant est une circonstance aggravante d’un délit les met directement en danger.
Propos recueillis par Sarah Hamdi
Julie Dénès a exercé le métier de juriste dans différentes associations et pendant près de 6 ans au sein de l’armée de Terre en tant qu’officier. Elle est à présent Présidente fondatrice de l’Association les Berceaux de la Francophonie et co-fondatrice de l’ONG DIPLO21. En août 2017, Julie Dénès publie “Une poule sur un mur…” aux Editions Michalon.
Lien vers la pétition : https://www.change.org/p/leviolestuncrime-retirez-l-article-2