Présidentielle 2017. À chaque candidat ses Droits de l’homme
La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen : au coeur des différences entre les candidats aux présidentielles.
Maryse Emel, professeure de philosophie et rédactrice pour le site nonfiction.fr, livre une analyse à contre-courant de la présidentielle.
Les dernières présidentielles convoquaient Rousseau et Hobbes. À une anthropologie qui voyait le mal comme une institution sociale que l’État se doit de réparer, s’opposait une toute autre conception, celle d’un mal nommé égoïsme, bien plus profond qui justifiait de retirer à l’homme sa liberté politique en échange d’une totale liberté économique.
Une des explications du libéralisme à ce propos est que le commerce adoucit les mœurs (Montesquieu) ou encore que l’égoïsme et l’intérêt personnel sont bénéfiques pour l’économie. (Stuart Mill et la main invisible).
La justice et la nation mises en question
D’un côté Hollande, de l’autre, Sarkozy. La justice sociale pour l’un, la répression et l’autorité politique d’un État policier pour l’autre.
Deux idées antagonistes de la justice, certes, mais qui demeurent au coeur d’un même questionnement : quelle République voulons-nous ?
Quelle que soit sa forme – démocratique ou pas– elle a des principes intangibles protégeant l’humain de toute forme d’abus. C’est tout le sens de la Déclaration des Droits de l’homme.
Les élections 2017 sont d’un tout autre genre. Cela a des conséquences importantes pour le sens de la justice. Rousseau était soucieux d’une justice politique, tout comme Hobbes.
Leurs divergences étaient certes essentielles, mais elles ne remettaient pas en jeu l’idée républicaine que la justice est l’affaire d’un État dont les décisions et les actes sont publics.
En 2017, on se méfie de la justice, ce que créditent les multiples affaires de corruption dont on s’épargnera le détail. Le paradoxal maintien d’un candidat alors que la justice a établi sa corruption, contribue à faire des décisions judiciaires une vaste mascarade. Facile alors d’oublier cette idée de justice.
Le philosophe Pascal écrivait :
« La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste. »
La fragilisation de ce sentiment de justice à travers les « affaires », la paupérisation, etc, contribue à affaiblir aussi la nation.
Si la nation est riche d’ambiguïtés, les actes terroristes l’ont fortement secouée. On assiste dès lors à un abandon par certains candidats du concept de nation.
Ce refus du groupe et la valorisation de l’individu, c’est la fin du désir de construire un intérêt commun.
Bref état des lieux
Les raisons d’un changement de cap sont multiples. On reproche aux candidats de ne pas avoir de programme. C’est faux. Les cartes du jeu se sont simplement décentrées au regard de la modification des valeurs sociales.
Que s’est-il passé ? Si on retient l’hypothèse de Roger Sue dans La Contre société, publié en 2016, parler de délitement du lien social n’a aucun sens car on constate le surgissement de ce qu’il nomme « l’individu relationnel » engagé dans de multiples associations et créateur par voie de conséquence du déploiement à grande échelle de l’internet – et non l’inverse comme on le suppose- ce qui contribue à renforcer le lien.
Se met aussi en place une société de la connaissance qui établit un rapport nouveau au savoir, du fait de la montée en puissance du participatif associatif.
La vérité change ainsi de statut et le rapport à l’autorité d’un maître est contesté, le savoir n’étant plus l’apanage d’un seul.
Autre conséquence qui a pris une place importante dans le développement de cette « contre société », la nouvelle compréhension de l’égalité et des rapports de pouvoir.
Sans entrer dans les détails, ce qui est en jeu c’est l’exigence de relations non plus verticales mais horizontales, ce que la démocratie participative n’a su satisfaire.
Les candidats et leurs choix
C’est ce qu’a très bien compris le candidat Mélenchon en créant les insoumis et en axant sa campagne sur le tout Internet. Arrêtons nous sur son dernier ouvrage La Vertu. On peut y lire :
« la vertu est une ardente obligation dans l’espace public. Au moment où nos sociétés se remplissent de haine, la vertu est le liant qui nous maintiendra debout et ensemble ».
Le modèle de Mélenchon, c’est Robespierre. Il déclarait, en 2013, à propos du jeu Assassin’s Creed Unity :
“Et celui qui est notre libérateur à un moment de la Révolution, car la Révolution dure longtemps, Robespierre est présenté comme un monstre. Robespierre a juste donné le droit de vote aux Juifs, a juste donné le droit de vote aux comédiens, a juste proposé le droit de vote des femmes et il s’est trouvé être l’un des responsables, ils étaient 15, 12 pardon, du Comité de salut public. Et donc on accable Robespierre parce que c’est la figure la plus allante de la Révolution.”
La vertu est instrument de mesure, pas les droits de l’homme. Son modèle inversé, mais qui tente de s’inscrire aussi dans une démarche républicaine, c’est Marine Le Pen qui en tenant un discours nationaliste reste toutefois à l’intérieur de la question nationale.
« Au nom du peuple », son slogan est la promesse faite au peuple de servir d’étalon aux lois. Populisme et démagogie… de l’ancien.
Pour le candidat Fillon, c’est un tout autre refrain.
Il entretient la confusion en opposant à la laïcité la religion et parle d’identité chrétienne à propos de la France, discours usé qui manipule les peurs et se tient en dehors d’un lieu de paroles républicain.
Son combat est de récupérer un électorat ethnocentré, voire plus extrémiste. Cette volonté de valoriser la religion chrétienne a un sens bien précis.
C’est le choix de la charité contre la justice qui augure d’une mise à distance de la Déclaration des Droits de l’homme.
Tocqueville présentait deux types de charité :
« une qui porte chaque individu à soulager suivant ses moyens les maux qui se trouvent à sa portée» et « l’autre moins instinctive et souvent plus puissante qui pousse la société elle-même à s’occuper des malheurs de ses membres et à veiller systématiquement aux soulagement de leurs douleurs»
On a affaire avec Fillon à la première. Qui représente alors le second type ? Hamon.
Son slogan qui renvoie au coeur n’est pas sans faire écho à cette connaissance distincte de la raison toujours distincte de ce sentiment du coeur selon Pascal.
Réappropriation de ce qui est un effet de mode dénoncé par Yves Michaud dans son ouvrage, Contre la bienveillance (Éditions Stock).
Et que dit Macron ? Ses propos en Algérie où il affirme que la France a exporté ses Droits de l’homme mais oublié de les lire, a une dimension polémique mais aussi un sens politique : se démarquer des autres, certes, mais montrer que le débat politique est bien celui-ci.
Régression peureuse ? La question reste ouverte.
Maryse Emel
Maryse Emel est professeure de philosophie. Elle participe activement à des actions culturelles à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, où elle défend une autre vision de ce que l’on désigne du terme de “banlieue”. Elle est également rédactrice à nonfiction.fr.