Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Bruno (6/7)
#HérosOrdinaires
Près de la frontière italienne, les habitants de Névache (Hautes-Alpes) redonnent un sens au mot solidarité en aidant des migrants. Melting Book vous propose de découvrir, à partir du lundi 26 mars, ces portraits réalisés par Fanny Genoux et Camille Pouyet.
« Janvier 2017, un matin, je damais au col de l’Échelle, et je suis tombé sur deux gars en baskets, par moins quinze. » C’est ainsi que tout a commencé pour Bruno, pisteur-dameur et également pompier volontaire, comme Olivier.
« Avant, je savais qu’il y en avait qui étaient passés, déclare-t-il, j’étais touché, mais il a fallu que ça me tombe dessus pour que ça me frappe ! »
Ainsi, de par son métier et son engagement chez les pompiers, Bruno est témoin en première ligne des blessures infligées par le froid à ces migrants sous-équipés.
L’hypothermie est un des premiers risques encourus, et la prise en charge hospitalière n’est pas toujours simple, comme l’évoquait son collègue Olivier.
Ainsi Bruno se remémore le cas de plusieurs migrants qu’il a secouru et dont la température corporelle était tombée à 35°.
Indigné, il nous relate aussi l’histoire qui a circulé d’un migrant tombé « à 29° de température interne. Il fallait le descendre en caisson hyperbare à l’hôpital de la Timone à Marseille.
C’est une personne privée qui s’en est chargée car personne ne voulait le faire : la sécu ne le prenant pas en charge, les véhicules sanitaires à Briançon n’ont pas voulu le faire si on ne les payait pas…».
Alors forcément, la colère monte pour Bruno quand il constate que l’argent qui manque pour les soins est mis dans des renforts de gendarmerie « qui tournaient 24/24 à Névache à certains moments. »
Pour lui, au delà de l’aspect humain, c’est un très mauvais calcul, car on sait « qu’ils repassent (la frontière) dans état de plus en plus mauvais, par des chemins de plus en plus dangereux et au final, ils vont coûter plus cher ces gens-là, car il va falloir les hospitaliser » analyse notre interlocuteur.
Des migrants, Bruno en a connu des centaines, il en a accueilli plusieurs chez lui, dont parfois des femmes enceintes ou avec enfants. Parmi eux, quelques uns avec qui il est resté en contact, comme Boris :
« Je suis aussi en contact régulier avec un Camerounais qui est resté quatre jours, c’est lui qui m’appelle souvent » reprend Bruno, pour qui ces rencontres sont « une belle leçon de vie », « ils m’ont beaucoup enrichi » dit-il, de par le courage déployé pour traverser tout ce qu’ils ont vécu pour arriver jusqu’ici.
Bruno rappelle alors que les vagues de migrations ne sont pas nouvelles, et qu’on a su, petit à petit, intégrer ces étrangers qui font aujourd’hui la richesse de notre pays :
« Ces types, le seul truc qu’il veulent c’est être Français, ils vont pas commencer à nous planter ! Mamadou (ndlr : un malien qui a été amputé des pieds et qui est au refuge de Briançon), par exemple, son rêve c’est d’être boucher, et des bouchers on n’en a plus ! »
Pour lui aussi, offrir une place digne à ces migrants peut-être une chance pour la France. En revanche, le tout répressif, la gestion comptable et l’indifférence à leur sort, peut avoir des conséquences fâcheuses selon lui : « ne pas s’en occuper, les laisser sous les ponts, là oui, au bout d’un moment ils vont peut-être mal tourner », et Bernard (son , présent à nos côtés, de surenchérir :
« Moi, j’ai peur qu’on fournisse des gars à Daech…» dit-il, rappelant que le rejet, l’amertume d’avoir été abandonné par les pouvoirs publics est, en partie, à l’origine de nombreux départs de jeunes pour l’État Islamique.
Si aujourd’hui les deux hommes sont soudés, ainsi qu’avec les autres citoyens aidants de Névache, Bruno se souvient du temps où il devait affronter seul la situation : « Au départ, l’an dernier, j’étais seul, avant de rencontrer les autres aidants.
Ça a été hyper prenant, j’ai passé beaucoup de temps à aller chercher les migrants qui avaient passé la frontière, je quittais les chantiers, j’allais faire les courses, je leur faisais à manger… » Un investissement difficile à imaginer.
« Au printemps, au début de l’été, ça a été dur, reprend-t-il, c’était tous les matins, ils arrivaient nombreux, et mes enfants me disaient “papa t’es encore pas là ce soir”, le matin tu les prépares pour l’école et on t’appelle pour venir chercher des migrants ! »
Pourtant, Bruno ne s’est pas découragé, peu à peu, il s’est rapproché de l’association Tous Migrants, même si depuis il a souhaité s’en distancer à cause de la question des maraudes qu’il ne cautionne pas.
Puis, il a rencontré d’autres Névachais, et le réseau s’est constitué jusqu’à aboutir à ce qu’il est aujourd’hui, et dont nous tentons de donner un aperçu à travers ces portraits.
« C’est quand même beaucoup plus agréable maintenant que nous sommes plusieurs. On se soulage les uns et les autres ! » dit-il.
Le souhait principal de Bruno concerne la prise en charge des soins aux migrants. Les ennuis avec les autorités, qu’il connaît lui aussi, passent au second plan :
« Ils peuvent me mettre en prison, je leur répondrai qu’il y avait un mec devant ma porte, il était gelé, je l’ai fait rentrer.
C’est pas un souci pour moi s’ils m’embarquent, même si j’ai autre chose à faire qu’aller perdre 4h là-bas. Mais on continuera ! » affirme-t-il, se refusant par contre à envisager le scénario catastrophe de l’hôpital de Briançon les lâchant, faute de moyens.
Aussi pour continuer la lutte, les Névachais s’entraident, et la solidarité montagnarde ici, aura marqué les esprits des tous les migrants passés par la commune : « Tous disaient que c’était la première fois qu’ils étaient accueillis comme ça depuis leur départ (plus d’an et demi parfois), alors même si ce n’est que 24h, c’est ce qu’on veut leur offrir ! » conclut Bruno, avec humanité.
Tom
Tom, musher chez Nanook (chiens de traineau). Les chiens de traineau et leurs mushers sont installés le long de la route qui descend vers Briançon, en contre-bas de Névache, il n’est pas rare que des migrants descendant du col de l’Échelle ratent l’entrée du village et arrivent vers la yourte de Nanook. Tom, comme les autres ici, a recueilli ces migrants : “J’aurais fait la même chose pour des Français“, dit-il.
Fanny Genoux et Camille Pouyet
Lire les portraits de la série #HérosOrdinaires :
Migrants: La solidarité des citoyens de Névache
Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Jean Gabriel (1/7)
Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Olivier (2/7)
Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Elsa & Heidi (3/7)
Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Marcello (4/7)
Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Émilie & Matthieu (5/7)
Migrants : La solidarité des citoyens de Névache: Bernard (7/7)